Algérie. Les restrictions frappant les chaînes privées doivent être levées

À la veille de la Journée nationale de la presse en Algérie, Amnesty International demande aux autorités algériennes d’autoriser la chaîne de télévision privée El Watan TV, fermée la semaine dernière après une descente de police, à diffuser de nouveau. Elle leur demande instamment, de façon plus générale, de lever les restrictions abusives imposées à des journalistes et à des médias, en particulier les refus d’autorisation de diffuser qui sont utilisés pour censurer du contenu.

Fermeture de la chaîne de télévision

Dans la matinée du 12 octobre, la police a effectué une descente dans les studios de la chaîne de télévision privée El Watan El Djazairia, plus connue sous le nom d’El Watan TV, à Alger, escorté le personnel à l’extérieur des locaux et mis sous scellés leur matériel. Les policiers n’ont pas produit de mandat autorisant cette descente de police, selon le personnel de la chaîne.

Des journalistes de la chaîne se sont alors rassemblés devant le ministère de la Communication en signe de protestation et ont demandé à rencontrer le ministre, mais cela leur a été refusé. Des membres du personnel ont dit à Amnesty International que les forces de sécurité avaient dispersé par la force le rassemblement, et arrêté quatre journalistes qui ont été relâchés dans l’après-midi. Le 14 octobre, des journalistes d’El Watan TV, auxquels s’étaient joints d’autres journalistes et des militants, ont manifesté pacifiquement devant le Parlement à Alger, et ont demandé à rencontrer les législateurs. Les forces de sécurité ont dispersé par la force la manifestation, blessant plusieurs journalistes au cours de cette opération ; l’un d’entre eux au moins a dû être transporté à l’hôpital pour y recevoir des soins. La police a arrêté 18 manifestants, parmi lesquels des membres du personnel d’El Watan TV, qui ont été relâchés plus tard le même jour.

La fermeture de la chaîne de télévision est intervenue après que le ministère de la Communication se fut élevé contre des déclarations faites par Madani Mezrag, ancien dirigeant de la branche armée dissoute du Front islamique du Salut, au cours d’une interview préenregistrée diffusée sur la chaîne le 3 octobre. Le ministère s’est apparemment inquiété des vives critiques formulées par Madani Mezrag à l’égard du président Abdelaziz Bouteflika parce que ce dernier a refusé de lui permettre de faire enregistrer un nouveau parti politique, et de ses menaces de révéler des informations de nature à susciter des controverses qui porteraient sur le conflit armé interne en Algérie dans les années 1990. L’année 2015 marque le 10e anniversaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui a accordé l’immunité de poursuites aux membres des parties au conflit tout en privant les membres du Front islamique du Salut, dont la branche armée était l’une de ces parties, du droit de participer à la vie politique.

Le ministère de la Communication a convoqué le directeur de la chaîne le 6 octobre, avant d’annoncer publiquement son intention de porter plainte contre El Watan TV et son directeur pour diffusion illégale et contenus subversifs portant atteinte aux symboles de l’État, dans un communiqué diffusé le lendemain par une agence de presse gouvernementale. El Watan TV a déposé une demande d’autorisation de diffuser au titre de la Loi relative à l’activité audiovisuelle, dernièrement le 1er juin 2015, mais la chaîne n’a toujours pas reçu de réponse.

Les autorisations de diffuser s’avèrent difficiles à obtenir dans la pratique. En conséquence, la grande majorité des chaînes privées demeurent sans statut juridique et elles ont tenté de contourner cet obstacle en diffusant depuis des pays étrangers tels que la Jordanie et Chypre. Elles sont largement tolérées par le gouvernement, qui exerce une répression sélective contre les chaînes qui diffusent des propos critiques à l’égard des autorités. En mars 2014, les autorités ont de manière similaire fermé la chaîne privée El Atlas TV, apparemment en représailles parce qu’elle avait couvert des manifestations et des propos critiques en rapport avec l’élection présidentielle d’avril 2014.

Une législation restrictive pour les chaînes privées

Les chaînes privées de télévision par satellite se sont multipliées en Algérie depuis 2011, le président Bouteflika s’étant alors engagé à mettre fin au monopole de l’État sur la télévision et la radio à la suite des soulèvements populaires dans le pays. En janvier 2012, les autorités ont adopté un nouveau Code de l’information, qui a autorisé la création de chaînes de télévision et de radio privées. L’année suivante, le président Bouteflika a décrété le 22 octobre Journée nationale de la presse, et il s’est engagé à protéger et renforcer les libertés des médias dans le pays. Or, les lois adoptées depuis lors par le gouvernement algérien n’ont ouvert qu’un espace étroit pour le fonctionnement des chaînes privées, qui sont dès lors constamment sous la menace de la censure.

La Loi relative à l’activité audiovisuelle de février 2014 prévoit que les chaînes de télévision et de radio privées doivent obtenir une autorisation délivrée par l’autorité de régulation de l’audiovisuel avant de pouvoir commencer à diffuser (article 20). En cas de non-respect de ces dispositions, des peines disproportionnées et non nécessaires sont prévues, qui incluent la confiscation des matériels et installations utilisés, et de lourdes amendes allant de 2 à 10 millions de dinars algériens – soit près de 19 000 à 95 000 dollars des États-Unis (article 107).

La loi ne précise pas le délai dans lequel les autorités doivent répondre aux demandes d’autorisation, et elle ne permet pas de contester les refus d’autorisation devant une autorité judiciaire, ce qui expose les chaînes au risque de censure par le biais de délais non raisonnables ou d’un refus. Le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression (rapporteur spécial sur la liberté d’expression) a indiqué dans ses recommandations : « La délivrance des licences devrait être administrée exclusivement par une autorité indépendante protégée de toute pression gouvernementale et ne devrait pas être utilisée subjectivement pour interdire ou suspendre les activités des médias indépendants, en particulier des chaînes de télévision et des stations de radio ».

Cette loi prévoit aussi des contrôles indûment restrictifs et invasifs sur le contenu des programmes des chaînes de télévision et de radio privées. Ces dernières ne peuvent être que « thématiques » (article 5), se concentrant sur un ou plusieurs sujets, contrairement aux chaînes publiques qui peuvent être « généralistes », diffusant des programmes variés destinés à un large public (article 7). De plus, elles ne peuvent pas être des chaînes d’information diffusant 24 heures sur 24, et ne peuvent diffuser des programmes d’information que selon des volumes horaires précisés par les autorités (article 18).

Une fois l’autorisation obtenue, les chaînes privées doivent signer avec l’autorité de régulation de l’audiovisuel une convention (article 40) qui comprend des clauses détaillées concernant le contenu des programmes, portant notamment sur « les exigences de l’unité nationale, de la sécurité et de la défense nationales », « les intérêts économiques et diplomatiques du pays », « la référence religieuse nationale » (l’Islam), « les valeurs de la société » et « les valeurs nationales et les symboles de l’État » (articles 47 et 48). Ceux qui enfreignent ces dispositions sont passibles d’une peine allant jusqu’à un mois de suspension du droit de diffuser (articles 98 à 101).

De plus, l’autorité de régulation de l’audiovisuel a le pouvoir de suspendre immédiatement une autorisation de diffuser quand elle estime que les exigences en matière de « défense et de sécurité nationales » n’ont pas été respectées, ou qu’il est porté atteinte « à l’ordre public et à la moralité publique » (article 103), ce qui représente une sanction excessive.

Le droit international relatif aux droits humains permet des restrictions dans l’intérêt de la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, et de la santé ou de la moralité publiques. Les autorités doivent toutefois démontrer que l’information ou l’opinion exprimée constituent une menace, et les restrictions doivent être les plus faibles possible. Ces concepts, en particulier « la sécurité nationale », doivent être définis de façon précise et ne doivent pas être utilisés de manière abusive pour limiter la liberté d’expression et la liberté de circulation de l’information. La liberté d’expression implique le droit de critiquer sévèrement, et même de manière offensante, les actions et les politiques gouvernementales.

Les restrictions prévues par la Loi relative à l’activité audiovisuelle enfreignent l’article 41 de la Constitution algérienne, qui garantit la liberté d’expression, ainsi que les obligations de l’Algérie en matière de droits humains au titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a insisté sur la responsabilité des gouvernements de promouvoir la pluralité des médias (Observation générale 34 sur l’article 19 du PIDCP, paragraphe 40).

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