AMÉRIQUE : La violence contre les femmes relève des droits humains Déclaration d’Amnesty International à l’occasion de la Journée internationale de la femme

Index AI : AMR 01/001/2003

En cette Journée internationale de la femme, Amnesty International souhaite souligner le lien qui existe entre mondialisation économique et violence contre les femmes. Sur le continent américain, la violence contre les femmes est une réalité omniprésente - dans les conflits internes, dans le cadre d’une certaine militarisation ou des mouvements de migrations internes, dans la vie privée et au sein du village ou du quartier.

Dans le domaine du travail, le développement de la pauvreté et la marginalisation entraînée par les profondes répercussions de la mondialisation sur les catégories les plus défavorisées ont également eu de graves conséquences pour la sécurité physique des femmes.

Amnesty International a ouvert une enquête sur deux cas typiques, celui des violences dont sont victimes certaines femmes à Ciudad Juárez, au Mexique, et celui des conditions de travail des employées des usines de sous-traitance (maquiladoras) d’Amérique centrale. Dans un cas comme dans l’autre, on assiste à une remise en cause des droits fondamentaux des femmes, pourtant reconnus par les instruments internationaux de protection des droits humains.

Amnesty International a récemment eu connaissance de trois nouvelles disparitions et de la découverte, à Ciudad Juárez, de trois corps de jeunes femmes et d’une fillette de six ans, portant des traces évidentes de torture et de violence sexuelle.

Esmeralda Juárez, portée disparue depuis le 8 janvier 2003, a été retrouvée morte le 17 février. Les cadavres de Violeta Mabel Alvidrez, dix-huit ans, et de Juana Sandoval Reyna, dix-sept ans, disparues respectivement depuis le 4 février 2003 et le 23 septembre 2002, ont été retrouvés au même endroit.

Comme lors de plusieurs affaires similaires survenues au cours des dix dernières années, les corps des victimes ont été découverts dans la zone inhabitée du Cerro Cristo Negro. Au moins une vingtaine de cadavres de jeunes femmes et de fillettes ont déjà été retrouvés dans cette zone de décharge. Les victimes étaient toutes à moitié nues et avaient les mains liées dans le dos. Les autopsies qui ont été pratiquées sur les dernières victimes indiquaient que celles-ci avaient été violées et torturées, avant d’être tuées.

Amnesty International a été informée par les autorités qu’elles appliquaient une politique de prévention, de formation et de lutte contre l’impunité. Ces nouveaux crimes viennent pourtant s’ajouter à plus de 200 autres assassinats signalés depuis 1993.

Bon nombre des victimes venaient d’autres régions du Mexique, qu’elles avaient quittées pour des raisons économiques. Elles faisaient partie de communautés marginalisées et travaillaient pour les entreprises de sous-traitance installées près de la frontière avec les États-Unis. Ces entreprises à capitaux étrangers exploitent la main-d’œuvre bon marché et bénéficient de conditions fiscales avantageuses.

Amnesty International constate avec une profonde préoccupation que ce genre de violence se produit dans un contexte de déréglementation et de libéralisation économique, où les effets des changements rapides que connaît la société ne sont pas atténués par des politiques sociales, et où les acteurs économiques opèrent sans contrôle et sans la moindre surveillance.

Amnesty International estime que de multiples irrégularités ont ouvert la voie à l’impunité judiciaire, permettant aux coupables d’échapper à la justice et créant un vide qui, au fil des ans, a eu des conséquences funestes pour de nombreuses femmes de Ciudad Juárez, victimes de la persistance de conditions propices aux actes criminels de certains.

Pour Amnesty International, il est fondamental que soit appliquée la Recommandation 44/98 de la Comisión Nacional de Derechos Humanos (CNDH, Commission nationale des droits humains), qui invite les autorités à se pencher sur l’attitude des fonctionnaires chargés d’enquêter sur ces affaires et qui, par omission coupable et par négligence, n’ont pas cherché sérieusement à faire la lumière sur les meurtres de femmes commis à Ciudad Juárez.

Amnesty International déplore le harcèlement dont sont victimes les plaignants, leurs avocats, les témoins et les défenseurs des droits des femmes. Ce harcèlement a créé un climat intolérable, dans lequel ces personnes se sentent sans protection, et dont l’État mexicain doit répondre devant la communauté internationale.

L’organisation de défense des droits humains est également alarmée par les allégations, selon lesquelles des personnes seraient torturées dans le cadre d’enquêtes judiciaires, ainsi que par les irrégularités constatées lors de procès de droit pénal. Elle déplore en outre vivement l’assassinat, en cours d’enquête, d’un avocat, d’un de ses proches et de responsables présumés des faits examinés, sans que les circonstances de ces homicides aient été éclaircies ni que leurs auteurs aient été traduits en justice.

La violence contre les femmes est une forme de discrimination et constitue une violation des droits à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté, à la sécurité et à la protection par la justice - autant de droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Ces normes internationales rappellent toutes l’obligation qu’ont les États d’établir la vérité sur toutes les infractions et de veiller à ce que les victimes obtiennent justice et réparation.

Grâce à l’action du mouvement américain de défense des droits des femmes, l’Amérique est actuellement le seul continent qui dispose d’un traité régional dédié à la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes - la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme. Le système interaméricain a également été le premier à rappeler, il y a plus de vingt ans, que la responsabilité de l’État était engagée, au niveau international, lorsqu’il n’enquêtait pas avec toute la diligence nécessaire sur les atteintes aux droits humains perpétrées par des particuliers ou qu’il ne sanctionnait pas de manière appropriée de tels actes. Ce faisant, il fondait une doctrine qui prend toute sa pertinence dans le cas des femmes confrontées à des violences systématiques dans leur milieu familial ou au sein de la société.

Lors des récentes auditions de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, la rapporteuse chargée des droits de la femme a dénoncé l’inaction des services chargés d’enquêter sur les crimes de Ciudad Juárez et d’empêcher que d’autres faits similaires ne se produisent, priant instamment les autorités mexicaines de prendre de toute urgence les mesures qui s’imposaient.

Amnesty International appelle parallèlement les gouvernements des pays du continent américain à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la protection juridique garantie par le système interaméricain devienne une réalité, pour une meilleure sécurité des femmes et des fillettes du continent.

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