« La situation au regard de la législation sur l’immigration est sans rapport avec la dignité de tout être humain et son droit à la vie. Au lieu d’exposer la santé des personnes à un risque accru, les gouvernements devraient faire tout leur possible pour protéger ces personnes, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International.
« Afin de combattre efficacement le COVID-19 dans les Amériques et de prévenir des milliers de décès qui pourraient être évités, les États devraient libérer sans délai les personnes détenues pour des motifs liés à l’immigration, n’incarcérer les personnes migrantes que dans des situations exceptionnelles, et veiller à ce qu’elles aient accès à des soins vitaux, sans discrimination aucune. »
CANADA
Le 24 mars, Amnesty International a écrit au gouvernement canadien [1] afin de lui faire part de son inquiétude quant à l’insuffisance des mesures prises pour prévenir la propagation du COVID-19 parmi les personnes migrantes détenues, et de lui recommander de réduire rapidement au strict minimum le nombre de personnes incarcérées dans les centres de détention qui leur sont dédiés.
Si l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne compte jamais plus de quelques centaines de personnes à la fois dans ses centres de détention pour migrant·e·s, le nombre de décès parmi ces personnes est nettement supérieur à celui des personnes migrantes détenues aux États-Unis.
L’ASFC ne doit incarcérer des personnes que dans les circonstances les plus exceptionnelles et devrait, de façon générale, mettre fin aux placements en détention pour des motifs migratoires. Outre les risques réels qui pèsent sur la santé physique des personnes en détention pendant la pandémie de COVID-19, la pression psychologique est forte pour ces personnes et leurs familles. Des migrants incarcérés au Centre de surveillance de l’immigration de Laval (Québec) ont si peur de contracter le COVID-19 en détention qu’ils ont entamé une grève de la faim pour exiger leur libération. La décision de placer ou de maintenir une personne en détention ne devrait être prise qu’à l’issue d’un examen approfondi de l’impact psychologique d’une telle décision.
CURAÇAO
À compter du 30 mars et jusqu’au 12 avril, l’accès à Curaçao est interdit à tous les voyageurs et voyageuses, y compris aux personnes qui résident légalement sur l’île.
Il n’est pas rare que les autorités de Curaçao incarcèrent des migrant·e·s, demandeurs et demandeuses d’asile du Venezuela, et leur refusent l’accès à une protection internationale. À l’issue d’une visite effectuée sur l’île en avril 2019, l’ONG Refugees International a conclu [2] que, non seulement les pouvoirs publics n’avaient pas mis en place de dispositif de protection pour ces personnes, mais qu’ils appliquaient une « stratégie active de renvoi » en procédant à l’arrestation, à la détention et à l’expulsion des Vénézuéliens et Vénézuéliennes en situation irrégulière.
D’après les estimations de la Plateforme régionale de coordination interinstitutions, 16 500 Vénézuélien·ne·s vivaient sur l’île en mars 2020, mais on ne savait pas combien se trouvaient en détention pour des motifs migratoires. Amnesty International s’est rendue sur l’île en 2018 et en 2019 ; l’organisation a pu constater les conditions épouvantables [3] (surpopulation, mauvaises conditions d’hygiène et literie inadéquate, notamment) dans lesquelles étaient détenues les personnes en situation irrégulière.
En mai 2018, plusieurs cas de mauvais traitements infligés lors de l’arrestation ou en détention ont été signalés à Amnesty International. Des gardiens auraient notamment agressé sexuellement des femmes détenues en sollicitant de leur part des actes sexuels en échange de savon et de serviettes hygiéniques. En janvier 2020, des avocat·e·s exerçant leur activité sur l’île et spécialisés dans le droit d’asile ont indiqué à l’organisation que plusieurs Vénézuélien·ne·s, détenus depuis déjà plus de huit mois, avaient entamé une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de détention.
Curaçao devrait relâcher toutes les personnes migrantes et demandeuses d’asile détenues pour des motifs liés à l’immigration, et donner à ces personnes l’accès aux soins de santé dont elles ont besoin ainsi qu’à d’autres services essentiels.
ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
On trouve aux États-Unis le plus vaste système de détention de migrant·e·s au monde, avec une population moyenne qui s’élève chaque jour à près de 40 000 personnes migrantes et demandeuses d’asile réparties dans plus de 200 établissements.
Le 24 mars, le Service de contrôle de l’immigration et des douanes (ICE) du Département de la sécurité intérieure a annoncé le premier cas confirmé de COVID-19 dans un centre de détention pour migrant·e·s aux États-Unis. Depuis, l’ICE a indiqué que 33 membres de son personnel avaient contracté la maladie, et que plusieurs dizaines de personnes détenues avaient été mises en quarantaine, car elles étaient susceptibles d’être infectées.
Amnesty International a recueilli des témoignages inquiétants de la part de personnes détenues faisant état de conditions dangereuses dans les centres de détention pour migrant·e·s de l’ICE, conditions qui soumettent les personnes souffrant de maladies chroniques à un risque plus élevé de contracter le COVID-19 et d’en mourir.
La semaine du 6 avril, Amnesty International publiera un rapport dénonçant l’incapacité du Département de la sécurité intérieure et de l’ICE à adopter des mesures satisfaisantes pour protéger la santé publique dans l’intérêt de toutes et tous. Ces mesures comprennent notamment la mise à disposition de savon et de solution hydroalcoolique pour les personnes en détention, la facilitation de la distanciation sociale conformément aux recommandations mondiales, et la prise en charge médicale adéquate et rapide des personnes présentant des symptômes du COVID-19.
MEXIQUE
Après la fermeture de la frontière mexicaine avec le Guatemala et la mise en place de restrictions par d’autres gouvernements d’Amérique centrale, les autorités du Mexique n’ont pas envisagé de mesures de substitution à la détention pour les personnes migrantes. Celles-ci sont ainsi bloquées dans des centres de détention au lieu d’être remises en liberté et renvoyées en bus vers l’Amérique centrale. Bien que le gouvernement ait annoncé un taux d’occupation de 45 % des centres de détention et le respect dans ceux-ci des recommandations sanitaires visant à prévenir la propagation du COVID-19, certains de ces centres seraient surpeuplés et même ne sépareraient pas les enfants et les adolescents de la population adulte du fait du manque d’espace, par exemple dans celui de Tenosique (État du Tabasco).
Le 31 mars, un demandeur d’asile guatémaltèque est mort dans un incendie qui s’est déclaré dans le centre de détention de Tenosique, alors que des personnes migrantes protestaient et réclamaient leur libération. Amnesty International a reçu des informations donnant à penser que les forces de l’ordre qui se trouvaient sur place ont dans un premier temps refusé d’ouvrir les portes en dépit de l’incendie dans le centre. Les autorités mexicaines n’ont pour le moment communiqué aucun élément sur ce décès d’un migrant en détention, ni sur la dizaine d’autres personnes migrantes et en quête d’asile qui auraient été blessées pendant cet épisode. Ce n’est pas le seul mouvement de contestation qui a éclaté ces derniers jours.
Le 23 mars, plusieurs centaines de personnes migrantes et demandeuses d’asile ont protesté dans le plus grand centre de détention du Mexique qui leur est dédié, appelé « Siglo XXI » et situé à Tapachula (État du Chiapas), tandis que des mouvements de contestation ont également été signalés dans d’autres centres de détention.
Les personnes détenues courent toujours un risque grave d’être exposées à une flambée de la maladie, et l’action menée par les autorités en réponse à la situation est insuffisante. Qui plus est, en l’absence d’informations sur la durée pendant laquelle les migrant·e·s et demandeurs ou demandeuses d’asile vont être maintenus en détention, les autorités mexicaines sont susceptibles d’enfreindre leurs propres lois en matière d’immigration et d’autoriser un régime de détention de durée indéterminée, bafouant ainsi les normes internationales relatives aux droits humains.
Les autorités mexicaines sont tenues d’œuvrer à la recherche de mesures de substitution à la détention qui soient appropriées et viables, et doivent dès à présent s’atteler à cette tâche, en particulier pour les groupes dans une situation vulnérable. L’Institut national des migrations (INM) a confirmé le 17 mars que 3 059 migrant·e·s en situation irrégulière étaient maintenus en détention.
Le Mexique devrait relâcher rapidement le plus grand nombre de personnes migrantes et en quête d’asile que possible, car le droit à la santé physique et mentale de ces personnes ne peut être garanti dans les centres de détention qui leur sont réservés.
En raison des conditions de sécurité désastreuses pour les personnes migrantes et demandeuses d’asile au Mexique, où celles-ci sont les cibles privilégiées de la violence et de l’exploitation, les autorités mexicaines doivent non seulement les remettre en liberté, mais aussi leur fournir une protection humanitaire d’urgence pour que toutes et tous, sans discrimination aucune, aient accès à la sécurité, à la santé et aux services essentiels, y compris à l’alimentation et aux soins médicaux de manière satisfaisante.
TRINITÉ-ET-TOBAGO
En réponse au COVID-19, Trinité-et-Tobago a interdit l’entrée sur son territoire de tous les étrangers pendant 14 jours le 18 mars et, quatre jours plus tard, a également fermé ses frontières internationales à ses propres ressortissant·e·s.
Il n’existe pas dans le pays de loi sur les réfugié·e·s. Selon les estimations de la Plateforme régionale de coordination interinstitutions, 24 000 Vénézuélien·ne·s vivaient dans le pays en mars 2020. En janvier 2020, ils étaient 17 391 à avoir sollicité l’asile auprès du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), l’agence des Nations unies en charge du traitement des demandes d’asile. Des visas et des permis de travail temporaires ont également été accordés en 2019 à 16 500 personnes environ, qui s’étaient fait enregistrer auprès des autorités dans le cadre d’un programme d’enregistrement de deux semaines.
Néanmoins, Trinité-et-Tobago continue de poursuivre en justice les personnes migrantes et réfugiées – en particulier celles qui fuient la crise au Venezuela – arrivant de façon illégale, et de placer ces personnes en détention, en contradiction avec les normes internationales relatives aux droits humains. La police a indiqué avoir arrêté 33 Vénézuélien·ne·s le 17 mars tandis que, d’après des informations relayées dans les médias, 60 ressortissant·e·s de ce pays étaient maintenus en détention au poste de police de Cedros au motif qu’ils étaient entrés clandestinement sur le territoire.
Amnesty International a envoyé au ministre de la Sécurité nationale plusieurs demandes officielles de visite du centre de détention pour migrants de Trinité, où plusieurs centaines de personnes migrantes et demandeuses d’asile, d’origine vénézuélienne pour la plupart, ont été placées en détention ces dernières années, mais l’organisation n’a pas pu s’y rendre. D’autres ONG et associations indépendantes de défense des droits humains ne sont elles non plus pas autorisées à se rendre dans ce centre. On ne connaît pas le nombre exact de personnes qui y sont actuellement détenues, mais sa capacité d’accueil est estimée à 150 personnes.
L’une des rares institutions à avoir pu effectuer une visite – la Commission d’enquête mixte sur les droits humains, l’égalité et la diversité – a noté en juin 2018 toute une série de problèmes touchant à la santé et à l’assainissement dans les locaux, qui risquaient de faire courir un risque accru aux personnes détenues en cas d’épidémie du COVID-19. La Commission a notamment constaté le manque de moyens financiers pour construire un quartier qui serait réservé aux personnes détenues devant être mises en quarantaine en cas de maladie ou pour d’autres motifs.
Les autorités de Trinité-et-Tobago devraient remettre en liberté toutes les personnes migrantes et demandeuses d’asile détenues pour le simple fait d’être arrivées clandestinement sur le territoire ou dans l’attente du traitement de leur demande d’asile, et leur accorder l’accès aux soins de santé dont elles ont besoin ainsi qu’à d’autres services essentiels, sans discrimination aucune.