Les citoyens de Guinée équatoriale se rendront aux urnes le 26 mai pour élire les membres du nouveau Parlement, ainsi que les membres des conseils locaux dans tout le pays. Ils éliront également, pour la première fois, 55 membres du nouveau Sénat mis en place conformément à la Constitution révisée promulguée en février 2012. Les 15 autres sénateurs seront directement nommés par le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.
Amnesty International, EG Justice et Human Rights Watch ont fréquemment rendu compte de violations des droits humains commises en toute impunité, notamment en période électorale. À l’approche des élections du 26 mai, les trois organisations de défense des droits humains font part de leurs inquiétudes concernant diverses questions relatives aux droits fondamentaux, exposées ci-après.
Les autorités équato-guinéennes doivent garantir le droit de leurs citoyens à exprimer librement leurs opinions et leurs choix dans les urnes.
Des arrestations motivées par des considérations politiques
Depuis le début de l’année 2013, l’opposition politique a signalé des mesures de harcèlement et d’intimidation ciblant ses membres et ses partisans présumés dans diverses régions du pays. Amnesty International, EG Justice et Human Rights Watch n’ont pas été en mesure d’enquêter de manière indépendante sur ces faits très récents. Si le passé se répète, de tels agissements risquent de se multiplier avant et pendant le scrutin.
Le pays a connu une recrudescence des arrestations basées sur des motifs politiques en 2012. Le 4 décembre 2012, Daniel Darío Martínez Ayécaba, chef du parti de l’opposition Union populaire (UP), a été arrêté sans mandat à l’aéroport de Malabo tandis qu’il se préparait à prendre un vol pour Madrid, où il devait participer à une conférence organisée par un groupe d’opposition basé en Espagne. Il a été placé en liberté conditionnelle plus tard dans la journée, après s’être vu confisquer son passeport par les autorités qui l’ont sommé de se présenter quotidiennement aux responsables de la sécurité avec interdiction de quitter la ville. Ces restrictions ont plus tard été levées.
Wenceslao Mansogo Alo, médecin, défenseur des droits humains et personnalité éminente de l’opposition, a passé quatre mois derrière les barreaux pour des motifs d’ordre politique, avant d’être libéré à la faveur d’une grâce présidentielle en juin 2012. Il a fait appel de la déclaration de culpabilité et de la peine et attend le jugement de la Cour suprême.
Ponciano Mbomio Nvó, l’un des avocats de Wenceslao Mansogo qui a souvent défendu des opposants politiques, s’est vu interdire l’exercice de la pratique juridiqueen avril 2012, et ce pendant deux ans, pour avoir soutenu au tribunal que le gouvernement avait poursuivi son client pour des motifs d’ordre politique.
Le gouvernement et le parti au pouvoir invoquent fréquemment des « raisons de sécurité » au lendemain de tentatives de coups d’État réelles ou supposées, dans le but d’enfermer des opposants réels ou présumés. Certaines affaires de ce type ont vu le jour ces derniers mois, et d’autres risquent d’éclater au fur et à mesure que la campagne s’intensifie.
Agustín Esono Nsogo, enseignant, a été arrêté chez lui à Bata le 17 octobre 2012, puis transféré à la prison de Black Beach à Malabo, où il est incarcéré depuis plus de six mois sans inculpation ni jugement. Son avocat, Fabián Nsue Nguema, a affirmé à Amnesty International et Human Rights Watch que son client avait été détenu au secret pendant au moins une semaine, et torturé. La police l’a accusé de faire partie d’un complot visant à déstabiliser le pays, qui aurait été fomenté par un ancien dirigeant de l’opposition exilé en Espagne.
Fabián Nsue Nguema a lui-même été victime d’une disparition forcéelorsqu’il s’est rendu à la prison pour rendre visite à son client. Il a été arrêté sans mandat et détenu au secretdans un lieu inconnu pendant plusieurs jours avant d’être remis en liberté grâce aux pressions internationales huit jours plus tard, sans avoir été inculpé.
Dans une autre affaire liée à la « sécurité », plusieurs personnes ont été interpellées à Malabo, Bata et Mongomo les 12 et 13 mars 2013, en lien avec un complot supposé contre l’État, selon plusieurs sources en Guinée équatoriale qui se sont entretenues avec Amnesty International. Tous les suspects ont nié les accusations et, après avoir été retenus une semaine au poste central de la police de Malabo, la plupart ont été remis en liberté sans inculpation.
Cependant, l’un d’entre eux, Eleuterio Esono, citoyen équato-guinéen qui est rentré au pays en 2013 après une période d’exil en Suède, est toujours derrière les barreaux. Il n’a pas été inculpé, ni présenté à un magistrat dans les 72 heures afin que sa détention soit légalement autorisée, comme l’exige le droit national. Cinq étrangers, dont le seul lien avec le soi-disant complot serait d’avoir loué des chambres à l’un des suspects arrêtés et plus tard relâchés, demeurent emprisonnés au poste de police de Bata. Ils n’ont à répondre d’aucun chef d’inculpation, et leur détention n’a pas été validée par un magistrat.
Des restrictions imposées aux libertés fondamentales
Bien que la loi équato-guinéenne garantisse la liberté d’expression, d’association et de réunion, ces libertés ne sont pas respectées.
L’absence quasi-totale d’une presse libre en Guinée équatoriale restreint le débat public, y compris en ce qui concerne les élections. Les partis de l’opposition n’ont qu’un accès limité aux médias officiels, ce qui leur porte préjudice, notamment lorsqu’il s’agit de briguer des mandats. La couverture partiale dans les médias contrôlés par le gouvernement penche lourdement en faveur du parti au pouvoir.
Les journalistes des médias contrôlés par l’État ne peuvent pas critiquer le gouvernement ni traiter de sujets qui n’ont pas reçu l’aval des autorités sans risquer la censure et les représailles. Les quelques médias privés appartiennent pour la plupart à des personnes proches du président Obiang. L’autocensure est monnaie courante.
On ignore encore si le gouvernement accordera des visas aux journalistes étrangers désireux de couvrir les élections. L’entrée en Guinée équatoriale a été quelque peu facilitée en 2012 pour les journalistes étrangers assistant à des événements majeurs dans le pays. Toutefois, selon certaines informations, plusieurs d’entre eux ont été harcelés ou intimidés. En 2011, le gouvernement a placé en détention des journalistes étrangers qui avaient obtenu des permis de presse et confisqué leurs films et leurs photos. Le gouvernement est allé jusqu’à arrêter et expulser du pays des journalistes étrangers qui avaient leurs permis de presse.
Les demandes des partis de l’opposition visant à organiser des manifestations et des rassemblements pacifiques, notamment à l’occasion du 1er mai, ont été rejetées.
En outre, Human Rights Watch et EG Justice sont préoccupées par les préparatifs relatifs au déroulement des élections et par les restrictions de la surveillance du scrutin.
Des processus électoraux injustes
Le gouvernement finance les campagnes de tous les partis reconnus, mais les chefs de file de l’opposition objectent que les fonds publics qui leur sont alloués ne sont pas suffisants pour mener une campagne à l’échelon national et que le parti au pouvoir bénéficie de manière injuste d’un accès bien plus grand aux fonds et aux ressources de l’État.
L’enregistrement des électeurs s’est achevé en septembre et a été approuvé en février, mais les listes électorales n’avaient toujours pas été rendues publiques début mai.
La Guinée équatoriale ne dispose pas d’un organe indépendant et impartial chargé de surveiller le processus électoral ou d’examiner les recours ayant trait aux scrutins. La Commission électorale nationale est contrôlée par le parti au pouvoir et dirigée par le ministre de l’Intérieur, membre éminent de ce parti.
De lourdes restrictions imposées aux observateurs
Le décret présidentiel du 28 mars mettant en exergue les conditions générales relatives aux observateurs internationaux ne leur permet pas d’effectuer une surveillance indépendante. Les conditions définies ne sont pas conformes à la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections ni au Code de conduite des observateurs électoraux internationaux, adoptés par les organisations intergouvernementales et non-gouvernementales chargées d’observer les élections, y compris par l’Union africaine. Le décret présidentiel restreint à bien des égards l’indépendance et la liberté de mouvement des observateurs internationaux :
- Les observateurs sont autorisés à se déplacer pour observer le déroulement du scrutin uniquement « dans le respect du programme établi à cette fin par le gouvernement » (articles 11, 12 et 18).
- Ils doivent signaler tout « problème » ou toute « anomalie » directement au gouvernement (articles 20 et 22).
- Avant de s’adresser aux « médias d’information officiels » concernant leurs « activités » durant le scrutin, ils doivent obtenir l’aval du ministère de l’Information (article 21).
- Ils peuvent publier leurs conclusions une fois l’élection terminée, mais le contenu de leurs déclarations doit être coordonné avec la Commission électorale nationale, contrôlée par le parti au pouvoir (articles 24 t 25).
- Il leur est interdit de « s’ingérer » dans les « affaires politiques » ou de faire des « déclarations controversées » sur les autorités électorales ou des remarques « dénigrantes » sur le gouvernement , les partis politiques ou les candidats (articles 4, 22 et23).