Communiqué de presse

Amnesty International termine sa visite en République dominicaine

De nouvelles actions s’imposent pour protéger les Dominicains d’origine étrangère.

Amnesty International a effectué une visite en République dominicaine du 14 au 27 juin 2015, afin d’évaluer la situation des personnes privées de la nationalité dominicaine par la décision 168-13 de la Cour constitutionnelle. Cette visite avait également pour but de demander aux autorités dominicaines qu’elles mettent un terme aux expulsions de ces personnes et à d’autres violations des droits humains.

Amnesty International remercie les autorités dominicaines pour leur disponibilité, pour les informations fournies et pour le dialogue constructif.

Depuis plusieurs années, Amnesty International recense en République dominicaine les violations des droits humains liées à la privation de documents d’identité qui a placé des milliers de personnes dans un vide juridique affectant leur vie de multiples manières et les empêchant d’exercer leurs droits. Amnesty International reconnaît que la Loi 169-14 visait à trouver une solution pour un certain nombre de personnes d’origine haïtienne et nées en République dominicaine à qui on avait refusé pendant des années des documents d’identité, et aussi pour les personnes rendues apatrides du fait de la décision de 2013 de la Cour constitutionnelle.

Cependant, pour les personnes nées en République dominicaine de parents étrangers sans papiers et dont la naissance a été enregistrée à un moment donné (le « groupe A »), cette solution a été mise en place très lentement et sans la clarté et la transparence requises. Malgré l’adoption de la Loi 169-14, Amnesty International recense encore des dizaines de personnes dont les droits ont été négligés ou gravement bafoués parce que l’État refuse de leur fournir les documents d’identité auxquels ils ont droit.

Amnesty International a salué l’annonce de la Commission électorale centrale du 26 juin 2015, selon laquelle 55 000 personnes du groupe A seraient maintenant en mesure d’obtenir leurs documents d’identité. Il est important de noter, cependant, que jusqu’au 22 juin, Amnesty International a constaté la persistance d’obstacles bureaucratiques et procéduriers qui ont empêché les personnes affectées d’obtenir ou de recouvrer leurs papiers dans plusieurs localités. Les autorités doivent mettre en place un processus de suivi rigoureux intégrant la pleine participation des organisations de la société civile afin de confirmer que les personnes du groupe A peuvent recevoir leurs documents d’identité, inscrire leurs enfants et bénéficier de tous les droits inhérents à leur citoyenneté.

Amnesty International craint que les certificats de naissance de nombreuses personnes appartenant à la liste de 55 000 soient transcrits dans un registre d’état civil séparé (« libro de transcripción »), selon un mécanisme mal défini par la loi, qui pourrait donner lieu à des décisions arbitraires. Par ailleurs, comme les personnes concernées ayant besoin d’inscrire leurs enfants doivent désormais passer par un processus plus long que si elles avaient été en mesure de le faire dans les 60 jours à compter de la naissance, les autorités dominicaines doivent fournir un soutien juridique et financier adéquat aux familles afin qu’elles soient en mesure de mener à bien ce processus d’inscription, d’autant plus que le retard dans l’enregistrement est imputable à l’État.

Concernant les personnes du « groupe B » (nées en République dominicaine de parents étrangers en situation irrégulière et dont la naissance n’a jamais été enregistrée), Amnesty International note que bon nombre des 8 755 personnes ayant demandé à faire partie du plan de naturalisation prévu par la Loi 169-14 ne semblent pas avoir reçu une réponse finale à leurs demandes, cinq mois après l’expiration du plan.

Outre cette situation incertaine, Amnesty International est surtout préoccupée par le sort des personnes qui ne sont pas en mesure de s’inscrire au plan de naturalisation prévu par la Loi 169-14.

Les autorités dominicaines ne semblent pas admettre que de nombreuses personnes ont été exclues du processus de naturalisation établie par cette loi et contestent le fait que la grande majorité des personnes de ce groupe demeurent apatrides, sauf lorsqu’elles ont acquis une autre nationalité.

Amnesty International a rencontré des dizaines de personnes qui ne se sont pas inscrites au plan de naturalisation pour plusieurs raisons, notamment la méconnaissance du processus, le manque de ressources pour payer les documents demandés, l’incapacité à faire la demande dans les délais, et l’impossibilité d’obtenir les documents d’identité de leurs parents. Cette dernière condition n’est pas prévue par la Loi, ni par son règlement d’application, mais la plupart des unités chargées de traiter les demandes l’imposent néanmoins.

Après l’expiration de la date limite fixée par la Loi 169-14, le 1er février 2015, il n’y a actuellement aucun recours juridique pour les personnes du groupe B, qui ne peuvent plus obtenir la nationalité dominicaine ni de documents d’identité, pourtant indispensables à l’exercice de plusieurs droits, y compris l’accès à l’enseignement supérieur, aux soins médicaux adéquats et à l’emploi formel.

Ce groupe représente une des populations les plus vulnérables et marginalisées de la République dominicaine. La plupart de ces personnes vivent dans une pauvreté extrême, dans des communautés rurales éloignées, et sont exposées aux violences et à l’exploitation. En raison de leur situation irrégulière, elles ne peuvent pas améliorer leur situation socio-économique ni faire reconnaître leurs enfants. Amnesty International a recensé des familles composées de trois générations de personnes sans-papiers d’origine haïtienne. Dans certaines parties du pays, Amnesty International a recensé des cas où les hôpitaux refusent de délivrer des certificats de naissance, ce qui empêche automatiquement la reconnaissance de ces enfants nés de mères haïtiennes, ou dominicaines d’origine haïtienne.

Les autorités dominicaines ont affirmé que les personnes appartenant au groupe A et celles du groupe B ayant demandé à bénéficier de la Loi 169-14 ne seront pas expulsées, mais la situation des personnes du groupe B qui ne pouvaient pas s’inscrire au plan de naturalisation et continuent donc d’être sans-papiers reste encore incertaine, alors que des opérations d’expulsion vont bientôt commencer.

Les autorités dominicaines ont assuré à Amnesty International qu’aucune expulsion massive n’aurait lieu. Elles se sont engagées à évaluer chaque cas individuellement et à respecter une procédure régulière. Elles ont expliqué que, si elles sont interceptées par des agents de migration ou détenus, les personnes du groupe A et du groupe B ayant demandé à bénéficier de la Loi 169-14 seront facilement identifiées et protégées contre les expulsions. Selon les autorités, les personnes sans-papiers qui affirment être nées en République dominicaine, en cas d’interception ou de détention par les agents de l’immigration, devront démontrer, au cours de divers entretiens, qu’elles sont bien nées dans le pays.

Amnesty International demande aux autorités dominicaines de :

  accélérer la délivrance ou le renouvellement des documents d’identité pour toutes les personnes dont les noms ont été publiés par la Commission électorale centrale le 26 juin, et veiller à ce que tous leurs enfants soient rapidement enregistrés, y compris en fournissant un soutien juridique et financier aux familles ;
  veiller à ce qu’aucune personne, née en République dominicaine, dont le nom ne figure pas dans la liste de la Commission électorale centrale, ne soit privée de documents d’identité sur la base de son ascendance ou de l’origine de ses parents ;
  éliminer les pratiques qui empêchent la déclaration de naissance d’enfants d’origine haïtienne, et notamment des enfants de personnes appartenant aux groupes A et B ;
  fournir rapidement des documents valides aux 8 755 personnes du groupe B ayant demandé à bénéficier du plan de naturalisation, leur permettant de demander la nationalité dominicaine dans les deux ans ;
  reconnaître l’existence d’un certain nombre de personnes du groupe B qui n’ont pu bénéficier de la Loi 169-14 et qui, dans la majorité des cas, sont apatrides, sauf si elles ont acquis une autre nationalité ;
  mettre en place des mesures adéquates et efficaces pour assurer que les personnes rendues apatrides soient identifiées (en tenant compte du fait que les familles appartenant à ce groupe vivent dans des zones très reculées, disposent de ressources financières très réduites et ont un accès limité aux médias) et puissent demander la nationalité dominicaine ;
  mettre en place des procédures transparentes, claires et équitables pour protéger contre l’expulsion les personnes nées en République dominicaine de parents étrangers en situation irrégulière, en particulier celles qui manquent de tout document d’identité, et rendre ces procédures publiques ;
  maintenir l’interdiction des expulsions de masse et veiller à ce que chaque cas soit évalué individuellement et qu’une procédure régulière soit respectée ;
  examiner toutes les législations pertinentes afin de s’assurer que les arrêtés d’expulsion soient émis dans le cadre d’une procédure judiciaire et que chaque personne risquant d’être expulsée puisse faire appel de la décision d’expulsion ;
  accorder l’accès des centres de détention aux organisations nationales de défense des droits humains et aux observateurs internationaux ;
  autoriser les organisations nationales de défense des droits humains et les observateurs internationaux à effectuer un suivi rigoureux des opérations d’expulsion ;
  établir des mécanismes de reddition de comptes, et renforcer ceux qui sont déjà en place, afin d’assurer que tous les agents de l’immigration et les membres des forces de sécurité impliqués dans des opérations d’expulsion se conforment à des procédures régulière et respectent les droits humains. Les allégations de violations des droits humains devront faire l’objet d’enquêtes indépendantes et approfondies.

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