Communiqué de presse

Amnesty n’a pas pu se rendre en Azerbaïdjan

La conférence de presse sur la répression contre les médias et les ONG en Azerbaïdjan a été annulée, mais les conclusions de l’organisation sont néanmoins rendues publiques

Amnesty International a été contrainte d’annuler une visite qu’elle avait prévu d’effectuer en Azerbaïdjan, après avoir été informée au dernier moment que la venue de l’organisation devait être reportée après les Jeux européens.

Cette visite, dont l’objectif était de rendre public un rapport intitulé Azerbaijan : the Repression Games. The voices you won’t hear at the first European Games , a été annulée après qu’un message en provenance de l’ambassade d’Azerbaïdjan à Londres est parvenu à l’organisation mardi 9 juin en fin d’après-midi indiquant que « l’Azerbaïdjan n’[était] pas en mesure d’accueillir la mission d’Amnesty à Bakou en ce moment » et suggérant qu’une telle visite ne pourrait avoir lieu qu’après les Jeux.

Quelle ironie que le lancement d’un rapport montrant que les voix critiques à l’intérieur du pays sont systématiquement réduites au silence à l’approche des Jeux européens ne puisse pas avoir lieu ! Au lieu d’étouffer le message que l’organisation veut transmettre, l’attitude des autorités ne fait que mettre en lumière leurs tentatives désespérées pour créer autour des Jeux un climat sans aucune critique, a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint d’Amnesty International pour l’Europe et l’Asie centrale.

« Loin de faire progresser l’objectif de la Charte olympique de promouvoir la dignité humaine et la liberté de la presse, l’héritage de ces Jeux incitera les régimes répressifs de par le monde à considérer les grands événements sportifs mondiaux comme un sésame permettant d’obtenir prestige et respectabilité sur la scène internationale. »

Le rapport révèle qu’au cours de l’année écoulée des journalistes, des défenseurs des droits humains, des opposants et de jeunes militants pro-démocratie azerbaïdjanais ont été harcelés, arrêtés, incarcérés, attaqués et torturés dans le cadre de la répression contre la dissidence qui monte en puissance à l’approche des Jeux européens. Le démantèlement systématique de la société civile avant l’ouverture des Jeux a considérablement réduit l’espoir que ces Jeux aient un effet positif durable.

Amnesty International a recensé au moins 20 prisonniers d’opinion en Azerbaïdjan. Ils sont incarcérés uniquement pour avoir exercé sans violence leur droit à la liberté d’expression. Certains sont inculpés de fraude et d’évasion fiscale, depuis l’adoption de lois restrictives sur le financement et l’enregistrement des ONG en 2013. D’autres sont inculpés d’accusations fallacieuses, allant du houliganisme et de la détention de stupéfiants, à la trahison.

De nombreux militants et activistes ont quitté le pays, et ceux qui restent ont souvent trop peur pour dénoncer les atteintes aux droits humains commises par les autorités, en raison des menaces qui pèsent sur eux-mêmes ou leurs familles.

Les médias indépendants sont quasi inexistants, et le gouvernement se sert des journaux et des chaînes de télévision qu’il détient ou contrôle pour calomnier ses détracteurs. Les atteintes aux droits humains commises par les autorités sont donc occultées.

L’été dernier, les autorités sont parties en campagne contre leurs principaux détracteurs, les arrêtant et les plaçant en détention provisoire. Depuis deux mois, alors que l’ouverture des Jeux européens se profile, certains ont vu leur détention provisoire prolongée, d’autres ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement.

Des procès iniques

Rasul Jafarov, fondateur de l’ONG Human Rights Club a été arrêté en août 2014. Il mettait au point une campagne intitulée « Le sport pour la démocratie » afin d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la dégradation de la situation des droits humains dans le pays. En avril, il a été condamné à six ans et demi d’emprisonnement, pour des accusations forgées de toutes pièces : évasion fiscale et transactions commerciales illégales.

Leyla Yunus, militante des droits humains âgée de 60 ans, primée pour son travail, qui figure parmi les plus véhémentes et les plus en vue des critiques du gouvernement, a été arrêtée en juillet 2014, quelques jours après avoir appelé au boycott des Jeux européens en raison du bilan déplorable du régime en matière de droits humains. Son placement en détention provisoire, depuis son arrestation, vient d’être prolongé jusqu’après les Jeux. Elle aura passé un an derrière les barreaux sans jugement. Son époux Arif Yunus a été appréhendé cinq jours après elle. Ils sont tous deux détenus sur la base de fausses accusations, notamment de trahison, de transactions illégales, d’évasion fiscale, d’abus de pouvoir, de fraude et de fabrication de faux. Leyla Yunus et son époux souffrent de graves problèmes de santé et il leur est interdit de communiquer entre eux et avec des membres de leur famille.

Intigam Aliyev, célèbre avocat spécialisé dans la défense des droits humains, qui a soumis avec succès plusieurs cas de violations des droits humains à la Cour européenne des droits de l’homme contre l’Azerbaïdjan, a été arrêté en juillet 2014, pour des motifs fallacieux d’évasion fiscale et de transactions commerciales illégales. Il a été maintenu en détention jusqu’à l’ouverture de son procès au mois d’avril. Il a alors été condamné à sept ans et six mois d’emprisonnement.

La liberté de la presse

En juillet 2014, les autorités ont gelé les avoirs de l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters (IRFS), une ONG qui monte au créneau pour défendre la liberté de la presse depuis 2006. Une descente a été effectuée dans les locaux de l’ONG, des documents et du matériel ont été saisis, et elle est fermée depuis lors. Des employés, dont le directeur Emin Huseynov, ont été interrogés. Lorsque ce dernier a été inculpé d’évasion fiscale et de transactions illégales, il s’est réfugié à l’ambassade de Suisse. L’ambassade lui ayant accordé un statut de protection humanitaire, il y demeure depuis août 2014. Il est convaincu que s’il part, il sera arrêté sur-le-champ.

En décembre 2014, le bureau de Radio Free Europe/Radio Liberty à Bakou a été perquisitionné et fermé par des membres du bureau du procureur. Aucune explication officielle n’a été donnée, mais des documents et du matériel ont été saisis, 12 employés ont été arrêtés et interrogés, et relâchés uniquement après avoir signé un document leur interdisant de s’exprimer.

Journaliste à Radio Free Europe, Khadija Ismayilova enquêtait sur des allégations faisant état de liens entre la famille du président Ilham Aliyev et un projet de construction lucratif à Bakou, lorsqu’elle a été interpellée en décembre 2014. Elle a été inculpée d’incitation au suicide d’une collègue, et d’autres charges à caractère politique. La collègue en question a plus tard admis qu’elle avait été contrainte de porter plainte contre Khadija, et que sa tentative de suicide n’avait rien à voir avec elle. Depuis des années, Khadija Ismayilova subit le harcèlement des autorités, et encourt aujourd’hui jusqu’à 12 ans de prison si elle est reconnue coupable de tous les chefs d’inculpation.

Les jeunes militants

Le rapport d’Amnesty International montre également que l’Azerbaïdjan est un pays dangereux pour les jeunes militants en faveur de la démocratie. Des jeunes militants du mouvement bien connu NIDA, qui utilisent Facebook pour critiquer ou remettre en question les autorités, ou organiser des rassemblements pacifiques, ont été arrêtés et inculpés de détention d’explosifs et de planification d’actes visant à troubler l’ordre public. Amnesty International estime que ces accusations sont forgées de toutes pièces. Des membres de NIDA ont été battus et torturés afin de leur extorquer des « aveux ». Shahin Novruzlu, militant âgé de 17 ans, a perdu quatre dents de devant lors de son interrogatoire.

« C’est le règne de la terreur, tout le monde a peur… Les attaques contre NIDA ont adressé un message fort à tous les militants : si le gouvernement peut briser NIDA, un groupe de jeunes éduqués et intelligents, alors il peut faire ce qu’il veut à toute personne qui osera s’exprimer », a déclaré Turgut Gambar, membre du conseil d’administration de NIDA.

Amnesty International demande au gouvernement azerbaïdjanais de libérer tous les prisonniers d’opinion, immédiatement et sans condition, et de respecter pleinement la liberté d’expression, d’association et de réunion. La communauté internationale, notamment les gouvernements européens et le Comité olympique européen, doit faire pression sur les autorités azerbaïdjanaises à ce sujet.

« Le fait que l’Azerbaïdjan accueille les Jeux européens offrait une occasion précieuse de faire avancer la situation des droits humains dans le pays. Toutefois, le Comité olympique européen et la communauté internationale n’ont pas pris la défense de ceux qui tentent de s’exprimer, permettant ainsi aux autorités de paralyser progressivement une société civile indépendante et critique », a déclaré a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint d’Amnesty International pour l’Europe et l’Asie centrale.

NOTES

 Quatre délégués d’Amnesty International devaient se rendre en avion à Bakou mercredi 10 juin au matin. L’annonce de leur visite avait été soumise aux autorités azerbaïdjanaises par Amnesty International le 1er juin. Le refus n’a été envoyé qu’en fin d’après-midi le 9 juin.

 Les Jeux européens se dérouleront du 12 au 28 juin, sous la houlette du Comité olympique européen. Bakou accueillera quelque 6 000 athlètes venus de 50 pays, pour participer à des épreuves dans 20 sports. Cet événement aurait coûté 8,9 milliards d’euros (10 milliards de dollars américains).

 Le rapport d’Amnesty International se fonde sur une mission effectuée par des chercheurs d’Amnesty International en Azerbaïdjan en mars 2015.

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