Les autorités saoudiennes ont une nouvelle fois recouru lundi 19 octobre à une loi antiterroriste répressive et vague pour purger la petite société civile du royaume en condamnant le défenseur des droits humains Abdulkareem al Khoder à 10 ans de prison, a déclaré Amnesty International.
Abdulkareem al Khoder, cofondateur de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), a été condamné en juin 2013 à huit ans de prison, à l’issue d’un procès devant un tribunal pénal. Sa sentence a été annulée en 2014, mais il a été maintenu en détention arbitraire. Sa dernière condamnation a été prononcée par le Tribunal pénal spécial d’Arabie saoudite au titre d’une loi antiterroriste promulguée en février 2014.
« En s’appuyant sur une loi antiterroriste abusive et sur un tribunal spécial défaillant pour intimider et enfermer les défenseurs des droits humains, l’Arabie saoudite fait savoir que quiconque ose s’exprimer sera éliminé », a déclaré James Lynch, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
Abdulkareem al Khoder, ancien professeur à la Faculté de jurisprudence islamique de l’Université al Qassim, est l’un des 11 membres fondateurs de l’ACPRA, qui se trouvent déjà derrière les barreaux ou sont actuellement jugés pour avoir prôné des réformes politiques et dans le domaine des droits humains.
Il a été arrêté en avril 2013 à la suite d’une répression visant l’ACPRA en mars 2013 : le gouvernement avait alors incarcéré ses deux membres fondateurs, Abdullah al Hamid et Mohammad al Qahtani, et ordonné la dissolution du groupe. Abdulkareem al Khoder était accusé de plusieurs infractions, notamment « désobéissance au souverain », « incitation à troubler l’ordre public pour avoir appelé à des manifestations », « atteinte à l’image de l’État pour avoir transmis de fausses informations à des groupes étrangers », et « participation à la création d’une organisation non autorisée », à savoir l’ACPRA.
Un autre membre de l’ACPRA, Abdulrahman al Hamid, a été condamné par le Tribunal pénal spécial le 14 octobre à neuf ans de prison. Son frère Abdullah al Hamid purge une peine de 10 ans depuis 2013. Un troisième frère, Issa al Hamid, devait être condamné la semaine dernière, mais son audience a été reportée en novembre.
Le Tribunal pénal spécial a récemment rouvert son dossier contre le plus jeune membre de l’ACPRA, Omar al Said, qui avait déjà été condamné en 2013 à quatre ans de prison et à 200 coups de fouet pour son militantisme.
Parmi les autres membres de l’ACPRA déjà incarcérés figure un ancien juge de 80 ans, Sheikh Suliaman al Rashudi, qui a été arrêté et a commencé à purger sa peine de 15 ans de prison en décembre 2012, deux jours après sa conférence sur la légalité des manifestations pacifiques dans la charia.
« La condamnation des membres de l’ACPRA pour leur militantisme en faveur des droits, qui vient s’ajouter au bilan déjà désastreux de l’Arabie saoudite en matière de droits humains, tourne en dérision son obligation en tant que membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’être à la hauteur des plus hautes normes en la matière, a déclaré James Lynch.
« Les récentes condamnations à mort de trois militants mineurs et les peines cruelles, inhumaines et dégradantes, comme dans le cas du blogueur Raif Badawi condamné à être flagellé, témoignent une nouvelle fois de la volonté du royaume d’écraser la dissidence sous toutes ses formes. »
Sept militants chiites sont actuellement condamnés à mort en Arabie saoudite, dont Ali al Nimr, mineur au moment des faits qui lui sont reprochés, et son oncle Sheikh Nimr al Nimr. Dawood Hussein al Marhoon et Abdullah Hasan al Zaher étaient également mineurs au moment de leurs crimes présumés.
Condamner à mort des personnes mineures au moment des faits qui leur sont reprochés bafoue le droit international. Amnesty International est opposée en toutes circonstances à la peine de mort, sans exception, car elle constitue une violation du droit à la vie inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ainsi que le châtiment le plus cruel, le plus inhumain et le plus dégradant qui soit.
Au moins 137 personnes ont été exécutées en Arabie saoudite depuis le début de l’année. En 2014, le total se montait à 90.
Amnesty International demande à l’Arabie saoudite de mettre un terme à toutes les exécutions et de libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion.
Complément d’information
Fondée en octobre 2009, l’ACPRA est une ONG indépendante qui défend les droits humains. Elle signale des atteintes aux droits humains et aide de nombreuses familles de personnes détenues sans inculpation à se retourner contre le ministère de l’Intérieur devant le Tribunal des plaintes, une juridiction administrative chargée d’examiner les plaintes déposées contre l’État et les services publics.
Avant sa dissolution, l’ACPRA était considérée comme une épine dans le pied par le gouvernement saoudien. Ses membres se sont exprimés à maintes reprises contre les pratiques de détention des autorités saoudiennes, critiquant particulièrement le ministère de l’Intérieur et son service sécurité et renseignements, ainsi que la Direction générale des investigations (GDI) ou al Mabahith, dont les agents jouissent de pouvoirs étendus qui leur permettent d’arrêter, de détenir, de torturer et de maltraiter les suspects, en toute impunité.
Les agents de la GDI utilisent ces pouvoirs contre les terroristes présumés, mais aussi contre toute personne ou presque qui critique les autorités, notamment les détracteurs pacifiques tels que les membres de l’ACPRA ou d’autres militants ou organisations de défense des droits fondamentaux. Toutes ces organisations indépendantes ont été fermées et leurs fondateurs incarcérés ou réduits au silence par les autorités. Une loi et des décrets antiterroristes récemment promulgués élargissent la couverture juridique de ces violations et abus de pouvoir, ce qui signifie que même les critiques pacifiques sont souvent qualifiées de terrorisme contre l’État.