Arabie saoudite : Le parquet demande l’exécution de militants et de responsables religieux

Les autorités saoudiennes intensifient la répression contre les dissidents, comme le montrent les récents appels du parquet en faveur de l’exécution d’un certain nombre de responsables religieux et de militants qui doivent être jugés par le tribunal pénal spécial, la juridiction antiterroriste du pays.

Six personnes doivent comparaître la semaine prochaine devant ce tribunal. Elles sont passibles de la peine de mort pour des faits relevant de l’exercice non violent de leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Parmi elles figurent un responsable religieux de premier plan, Sheikh Salman al-Awda, et la militante Israa al-Ghomgham.

Les appels réitérés du parquet, ces trois derniers mois, à condamner à la peine capitale au moins huit personnes, suscitent une vive inquiétude quant au sort de dizaines de militants actuellement en détention sans inculpation ni jugement, ainsi que des personnes comparaissant actuellement devant le tribunal pénal spécial.

Amnesty International demande aux autorités saoudiennes de libérer immédiatement toutes les personnes arrêtées pour avoir seulement voulu exercer sans violence leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, d’abandonner les poursuites entamées contre elles et de renoncer à toutes velléités de soumettre à la peine de mort celles qui sont actuellement en cours de jugement. Les pouvoirs publics doivent immédiatement arrêter toutes les exécutions et commuer les peines capitales déjà prononcées. Ce serait un premier pas vers l’abolition du châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.

Des responsables religieux passibles de la peine de mort

Sheikh Salman al-Awda doit comparaître le 30 octobre en troisième audience devant le tribunal pénal spécial. Il risque la peine de mort, le ministère public ayant demandé qu’il soit exécuté.

Sheikh Salman al-Awda a comparu devant le tribunal en août 2018, dans le cadre d’une audience secrète, au cours de laquelle 37 chefs d’accusation lui ont été signifiés. Il était notamment accusé d’appartenir à l’organisation des Frères musulmans et d’avoir appeler à des réformes au niveau de l’État, ainsi qu’à un changement de régime dans le monde arabe.

Il a été maintenu en détention au secret et à l’isolement pendant les cinq premiers mois ayant suivi son arrestation, sans contact avec sa famille ni avec un avocat, excepté un bref appel téléphonique un mois après son interpellation.

Sa famille a appris en janvier qu’il avait été hospitalisé, car son état de santé s’était dégradé en détention. Il n’a été autorisé à appeler ses proches qu’un mois plus tard. Les membres de la famille proche de Salman al-Awda sont tous interdits de déplacement à l’étranger.

Salman al-Awda a été interpellé chez lui le 7 septembre 2017 par des agents des services de sécurité, sans mandat, quelques heures après avoir posté un tweet en réaction à un article sur la possible réconciliation entre l’Arabie saoudite et le Qatar dans un contexte de crise diplomatique. Il avait écrit : « Que Dieu mette leurs cœurs en harmonie pour le bien des peuples ». D’après sa famille, les autorités avaient demandé à Salman al-Awda et à d’autres personnalités de poster des tweets en soutien au gouvernement saoudien durant la crise avec le Qatar, l’an dernier, ce qu’il avait refusé de faire. Selon des informations parvenues à Amnesty International, des hommes en civil et cagoulés appartenant vraisemblablement à la Direction de la sûreté de l’État auraient perquisitionné son domicile en novembre 2017, sans mandat, et auraient saisi du matériel électronique et des livres.

Âgé de 61 ans, Sheikh Salman al-Awda est une personnalité religieuse en vue, qui appelle de ses vœux depuis le début des années 1990 des réformes politiques et démocratiques en Arabie saoudite et dans d’autres pays arabes. Il s’était prononcé en faveur de la mise en place d’un Conseil consultatif, qui a finalement été créé officiellement et étendu en Arabie saoudite. Il a déjà été arrêté en 1994 et a passé cinq ans en détention, jusqu’en 1999, sans inculpation ni procès, pour avoir maintenu ses appels à la réforme et avoir publié des déclarations sur la coexistence, les droits et les libertés dans un cadre islamique. Au moment des soulèvements qui ont secoué le monde arabe, en 2011, Sheikh Salman al-Awda avait fait paraître un ouvrage intitulé « Questions de révolution », invitant les États de la région a se pencher sur les causes profondes du mécontentement. Avant son arrestation, l’année dernière, il avait en outre été interdit à plusieurs reprises de déplacement, de prise de parole et d’expression dans la presse.

Ali al-Omari et Sheikh Awad al-Qarni, ont également été interpelés dans le cadre de la vague d’arrestations qui a frappé en septembre 2017diverses personnalités religieuses, des écrivains, des journalistes, des universitaires et des défenseurs des droits humains. Ces deux responsables religieux risquent aujourd’hui la peine de mort, le paquet ayant publiquement demandé qu’ils soient exécutés. Ali al-Omari est une personnalité médiatique en vue. Il est le fondateur de la chaîne de télévision par satellite « 4Shabab », qui fait la promotion des valeurs religieuses et traite de la place dans la société de diverses questions historiques, sociales et politiques. Sheikh Awad al-Qarni est un important responsable religieux, auteur d’essais sur des questions spirituelles et sociétales.

Selon des informations parvenues à Amnesty International, Ali al-Omari a été autorisé à parler brièvement au téléphone avec sa famille cinq mois après son arrestation. Depuis, il est détenu au secret et n’a eu aucun contact ni avec sa famille ni avec un avocat en plus de sept mois.

Selon des sources d’information proches du gouvernement, son procès a débuté dans le plus grand secret le 5 septembre. Il faisait l’objet d’une trentaine de chefs d’accusation, dont « adhésion à une entité terroriste dans le Royaume (les Frères musulmans) qui œuvre dans le secret total et cherche à semer la discorde, à déstabiliser le sécurité et à désobéir au souverain », « la mise en place d’antennes des Frères musulmans visant les jeunes dans les pays arabes » et « la création d’un chaîne de télévision par satellite dans deux pays arabes afin de diffuser la pensée des Frères musulmans ». Les dates des prochaines comparutions d’Ali al-Omari et de Sheikh Awad al-Qarni ne sont pas connues.

La réquisition à plusieurs reprises de la peine de mort par le parquet contre des personnes arrêtées pour avoir voulu exercer pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion est un événement sans précédent, du moins dans un passé récent. C’est également un motif de grave préoccupation pour le sort d’autres personnes détenues sans inculpation ni jugement depuis septembre 2017, parmi lesquelles des écrivains, des journalistes et des défenseurs des droits humains.

Des manifestants chiites passibles de la peine de mort

Israa al-Ghomgham a elle aussi été traduite devant le tribunal pénal spécial. La date de sa prochaine comparution est fixée au 28 octobre 2018. Cette militante est la première femme saoudienne susceptible d’être condamnée à mort pour avoir participé à des manifestations en faveur d’un renforcement des droits et de réformes dans la province orientale d’Arabie saoudite, à majorité chiite.

Elle a été traduite devant le tribunal pénal spécial en compagnie de cinq autres personnes : Ahmed al-Matrood, Ali Ouwaisher, Mousa al-Hashim, Khalid al-Ghanim et Mujtaba al-Muzain. Selon le dossier judiciaire, le parquet a requis la mise à mort de cinq des accusés (Israa al-Ghomgham, Ahmed al-Matrood, Ali Ouwaisher, Mousa al-Hashim et Khalid al-Ghanim) pour avoir notamment pris part à des manifestations, infraction réprimée aux termes du Décret royal 44/A, émis en application de la Loi de 2014 sur les crimes relatifs au terrorisme et à son financement, et s’être rendus en Iran pour y suivre une formation théorique sur la manière d’organiser et de fomenter des émeutes. Il était également reproché à plusieurs des accusés d’avoir apporté un soutien moral aux émeutiers en participant aux funérailles des personnes tuées lors d’affrontements avec les forces de sécurité dans la province orientale. Ahmed al-Matrood, Ali Ouwaisher, Mousa al-Hashim et Khalid al-Ghanim étaient en outre inculpés d’atteinte à la Loi de 2014 sur les crimes relatifs au terrorisme et à son financement, pour avoir reçu de l’argent afin de se rendre en Iran et en Turquie. Le parquet a requis contre le sixième accusé, Mujtaba al-Muzain, la peine maximum prévue par le Décret royal 44/A, soit 20 ans d’emprisonnement. Les six prévenus ont passé plus de trois ans en détention provisoire avant le début de leur procès.

Amnesty International a recueilli des informations sur au moins 34 hommes de religion chiite condamnés à mort pour avoir participé à des manifestations et pour des infractions relatives à la sûreté de l’État à l’issue de procès totalement inéquitables, où l’accusation était très largement fondée sur des « aveux » apparemment obtenus sous la torture ou par d’autres mauvais traitements.

Yousuf al-Mushaikhass et trois autres hommes ont été exécutés l’an dernier après avoir été reconnus coupables par le tribunal pénal spécial d’infractions en rapport avec des manifestations commises dans le cadre du mouvement de contestation qui s’était développé dans la province orientale.

À partir de février 2011, des milliers de Saoudiens appartenant à la minorité chiite du pays sont descendus dans la rue, un peu partout dans la province orientale, pour dénoncer leur marginalisation économique et politique et exiger des réformes religieuses, politiques et sociales. Ils demandaient notamment la libération de personnes détenues depuis longtemps sans inculpation ni procès et exigeaient le respect de leur droit à la liberté d’expression. Les pouvoirs publics répliquent depuis par des mesures de répression contre les personnes soupçonnées d’apporter leur soutien ou de participer aux manifestations, et contre les personnes qui critiquent les autorités.

Les autorités saoudiennes ne montrent aucun signe de remise en question du recours à la peine capitale. Celle-ci est non seulement appliquée pour toute une série d’infractions, allant de l’homicide volontaire au trafic de drogue, mais elle sert également d’arme politique pour punir les membres de la minorité chiite saoudienne qui osent protester contre la manière dont ils sont traités et pour réduire les autres au silence.

Début des procès de militants devant le tribunal pénal spécial

Selon des informations parvenues à Amnesty International, Essam al-Zamil, chef d’entreprise de premier plan et auteur d’essais sur l’économie, a été traduit ce mois-ci devant le tribunal pénal spécial. Il lui était reproché, entre autres, d’avoir déstabilisé le tissu social et la cohésion nationale ; semé la discorde par ses messages sur Twitter ; critiqué la politique étrangère des dirigeants du pays ; eu des contacts avec les autorités du Qatar après la crise diplomatique avec ce pays ; et rencontré des diplomates étrangers, en leur faisant part de renseignements et d’analyses concernant les politiques publiques du Royaume sans en informer les autorités saoudiennes.

Essam al-Zamel a été arrêté en septembre 2017, en même temps qu’une vingtaine de religieux, d’écrivains, d’intellectuels et de militants. Il a passé plus d’un an en détention provisoire avant que son procès ne s’ouvre. La date de sa prochaine comparution n’est pas connue.

Amnesty International demande aux autorités saoudiennes d’abandonner toutes les charges retenues contre Essam al-Zamel et de le libérer immédiatement et sans conditions.

Essam al-Zamel publie des essais et des commentaires sur des questions économiques et sur les réformes nécessaires selon lui en Arabie saoudite. Avant son arrestation, en 2017, il avait critiqué l’introduction en bourse de la société Aramco, mesure clé du programme stratégique dit « Vision 2030 » de l’Arabie saoudite. Il est également le fondateur de la société Rimal Ventures, spécialisée dans les technologies de l’information.

Aucune nouvelle des militants et proches de militants en détention sans inculpation ni procès depuis mai 2018

Au moins 12 militants sont toujours détenus sans inculpation ni avocat depuis la dernière vague d’arrestations, qui a eu lieu en mai 2018. Parmi eux figurent notamment Loujain al-Hathloul, Iman al-Najfan et Aziza al-Yousef, trois défenseures des droits fondamentaux des femmes, arrêtées un mois avant la levée de l’interdiction faite aux femmes de conduire. Ces trois militantes sont à la pointe du combat pour les droits des femmes en Arabie saoudite, et notamment de la mobilisation pour mettre fin au système de la tutelle masculine. Elles sont toutes les trois, de même que deux autres militants arrêtés en même temps qu’elles, Ibrahim al-Modeimigh,qui est avocat, et Mohammad al-Rabea, un jeune activiste, accusées par la presse favorable au régime d’avoir enfreint le Décret royal 44/A, en constituant une « cellule » et en menaçant la sûreté de l’État par leurs « contacts avec des entités étrangères, avec la volonté de compromettre la stabilité et le tissu social du pays ». Amnesty International craint que ces cinq personnes ne soient traduites devant le tribunal pénal spécial.


Photo : Loujain al-Hathloul, militante du droit des femmes

Selon des informations parvenues à Amnesty International, le Décret royal 44/A de février 2014 a été invoqué pour la première fois dans le procès de deux défenseurs des droits humains, Essam Koshak et Issa al-Nukheifi, condamnés il y a quelques mois à quatre et six ans d’emprisonnement, respectivement, en raison de leur engagement militant et de leur action en faveur des droits fondamentaux.

Deux militantes de premier plan de la cause des droits humains des femmes, Samar Badawi et Nassima al-Sada ont également été arrêtées en août. Elles sont toujours détenues sans avoir été inculpées. Parmi les personnes arrêtées récemment figurent également des militantes des droits des femmes comme Nouf Abdulaziz et Mayaa al-Zahrani, et des défenseurs des droits humains qui avaient déjà été pris pour cible en raison de leur action, comme Mohammad al-Bajadi, membre fondateur de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), et Khalid al-Omeir. L’universitaire Hatoon al-Fassi, militante très active des droits des femmes, aurait elle aussi été arrêtée quelques jours après la levée de l’interdiction de conduire pour les femmes, en juin. Elle est toujours en détention, sans avoir été inculpée.

Depuis le début de la vague d’arrestations en mai 2018, les autorités saoudiennes s’en prennent également aux membres des familles des militants et des défenseurs des droits humains. Amal al-Harbi, mère de deux enfants et épouse du défenseur des droits humains Fawzan al-Harbi,, membre fondateur de l’ACPRA, a été arrêtée le 31 juillet. Elle est toujours en détention, sans avoir été inculpée et sans pouvoir bénéficier des services d’un avocat. Ahmad al-Zahrani et Abdelmajeed al-Zahrani, les frères du militant saoudien Omar Abdulaziz, qui vit au Canada, ont également été arrêtés début août. Ils auraient été interpelés en raison des activités de leur frère sur Internet et de son attitude ouvertement critique vis-à-vis des autorités saoudiennes. Omar Abdulaziz anime sur YouTube un programme satirique, dans lequel il s’en prend aux autorités de son pays d’origine.

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