Communiqué de presse

Arabie saoudite : le prix des manifestations

Abeer al Sayed raconte comment elle a été arrêtée le week-end du 9 février 2013, après avoir participé avec d’autres femmes et des enfants à une manifestation contre la détention de certains de leurs proches. Ce rassemblement a eu lieu devant les locaux de l’Organisation nationale de défense des droits humains, fondée par l’État saoudien. Suliaman al Rushudi, l’époux d’Abeer al Sayed, est détenu au secret depuis décembre 2012.

Samedi après-midi, lorsque nous sommes arrivés à l’Organisation nationale de défense des droits humains, à Riyadh, on nous a informés qu’aucun responsable n’était disponible pour s’entretenir avec nous.

Nous sommes donc restés debout devant le bâtiment ; nous étions une dizaine de femmes et cinq enfants. Certains brandissaient des pancartes sur lesquelles étaient inscrits les noms de maris détenus sans inculpation ni jugement depuis de nombreuses années, plusieurs d’entre eux étant toujours derrière les barreaux alors qu’ils ont purgé leur peine.

Il y avait une voiture de police à notre arrivée et, dès que nous avons sorti les pancartes, deux autres se sont arrêtées. Nous avons entendu des policiers dire : « Ils ont des pancartes. » Très vite, une quinzaine de voitures de police nous ont encerclés.

Un responsable de l’Organisation nationale de défense des droits humains est sorti pour nous parler. Presque au même moment, on a vu apparaître des bus et de nouvelles voitures de police.

Les forces de sécurité s’en sont d’abord prises à la plus fragile d’entre nous – une femme se déplaçant à l’aide d’une canne.

Elles ont essayé de nous arracher nos pancartes par la force et ont battu plusieurs femmes. Une femme est même tombée dans un trou, juste à côté. Les agents ont frappé un garçon de 12 ans, dont le père est détenu sans inculpation ni jugement depuis 10 ans, et lui ont enlevé de force les pancartes qu’il tenait. Ils nous ont menacés de nous arrêter tous.

Nous avons alors tenté de les semer dans les rues pour ne pas qu’ils prennent nos pancartes. J’étais en train de filmer toute la scène lorsque j’ai entendu un policier crier : « Celle-là est en train de prendre des photos. » J’ai couru mais des policiers m’ont suivie, alors j’ai demandé de l’aide à des automobilistes. Deux hommes cagoulés en civil, qui appartenaient à la Direction générale des enquêtes, se sont emparés de moi et m’ont lancée vers une agente, qui m’a ensuite jetée dans un des bus. On nous a battus et insultés.

Des agents ont commencé à fermer les fenêtres du bus, qui a démarré en trombe ; nous étions 13 personnes du groupe à l’intérieur.

Ils nous ont emmenés au Département des enquêtes criminelles vers 15 heures. Nous avons été interrogés à trois reprises : par le Département des enquêtes criminelles, par l’Unité chargée des preuves en matière pénale et par le Bureau des enquêtes et des poursuites du ministère public. À chaque fois, on nous a posé les mêmes questions.

Des agents ont relevé nos empreintes et prélevé un échantillon de notre ADN ; ils nous ont demandé qui nous étions, qui était notre chef, comment nous coordonnions nos activités et si nous avions des comptes Twitter.

« Vous ignorez que la charia interdit de manifester ? », m’a demandé l’un d’eux. J’ai répondu que ce n’était pas le cas et que les opinions divergeaient sur ce point. J’ai dit que même leur interrogatoire ne se déroulait pas dans les règles puisque je n’étais pas assistée d’un avocat. Le même homme m’a expliqué que j’avais le choix entre continuer sans avocat et rester en prison. Alors je les ai laissés poursuivre.

Pendant tout ce temps, nous n’avons rien eu à manger. Nous avions pourtant des enfants avec nous. Nous avons supplié les agents pour obtenir de la nourriture et finalement, vers minuit, ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas nous donner de quoi nous alimenter car tout était fermé. Après, ils nous ont apporté du jus et un paquet de chips à partager entre les enfants.

Vers 1 h 30 du matin, ils m’ont libérée ainsi que plusieurs autres femmes mais quatre femmes et trois enfants étaient toujours détenus. Ma belle-fille Bahia et sa fille de 23 ans, Fatima, en faisaient partie.

Au moment des arrestations, Fatima s’était évanouie à la suite d’une crise d’asthme et n’avait repris connaissance que lorsqu’on lui avait versé de l’eau sur le visage. Les policiers l’avaient séparée de sa mère, battue et traînée dans le bus. Son abaya (longue robe) avait été déchirée. Une agente s’était assise sur elle et lui avait tordu le bras.

« Je voyais les autres subir des mauvais traitements et je ne savais pas si je devais pleurer à cause de ce qui m’arrivait ou de ce qui leur arrivait », a déclaré plus tard Fatima.

Sa mère est l’une des trois femmes encore détenues à la prison d’Al Malaz – auxquelles nous n’avons pu ni rendre visite ni parler. On nous a dit qu’elles seraient déférées au tribunal mais nous ignorons pour quels motifs.

Autres manifestations

Selon les informations reçues par Amnesty International, la police de la ville de Buraida, au nord de Riyadh, a arrêté au moins 15 femmes et 10 enfants samedi 9 février, après que ces personnes ont manifesté devant le Comité des doléances, juridiction administrative qui examine les plaintes contre l’État et les services publics.

Une femme dont l’époux – qui serait malade et présenterait du sang dans les urines – est détenu sans inculpation ni jugement depuis plusieurs années a expliqué à l’organisation que les manifestants avaient été battus et traînés par les forces de sécurité, qui les avaient emmenés en prison. Ils avaient alors été interrogés mais elle avait refusé de donner autre chose que son nom et son âge si son avocat n’était pas présent. Elle a déclaré qu’un autre groupe de femmes avait été emmené dans la même prison à la suite d’une manifestation. Elles ont toutes été libérées sans inculpation depuis lors.

Amnesty International considère comme des prisonniers d’opinion toutes les personnes détenues pour avoir exercé, pourtant pacifiquement, leur droit à la liberté d’expression et de réunion, et elle demande leur libération immédiate et inconditionnelle.

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