Dans une analyse détallée, Amnesty International révèle que, bien que la loi ait introduit certaines réformes positives, comme un âge minimal pour le mariage, elle inscrit également dans la législation certaines des pratiques inhérentes au système de tutelle masculine, elle ne protège pas suffisamment les femmes des violences domestiques et elle renforce un système de discrimination liée au genre dans le cadre du mariage, du divorce, de la garde des enfants et de la succession.
« Bien qu’elle soit présentée par le prince héritier Mohammad bin Salman comme une avancée vers le progrès et l’égalité, la Loi relative au statut personnel ne respecte pas l’autonomie des femmes quant aux décisions concernant leur vie et celle de leurs enfants et elle perpétue la discrimination dont elles font l’objet », a déclaré Heba Morayef, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Pour assurer de véritables progrès, les autorités saoudiennes doivent respecter leurs obligations au regard du droit international relatif aux droits humains, en modifiant sans délai la Loi relative au statut personnel et en abrogeant les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment celles liées au système de tutelle masculine. Elles doivent également veiller à ce que les femmes aient les mêmes droits et responsabilités dans le cadre du mariage, du divorce, de la garde et de la tutelle des enfants et de la succession. »
La Loi relative au statut personnel fait partie d’un ensemble de réformes législatives annoncées en février 2021 par le prince héritier Mohammad bin Salman en vue de « préserver les droits, renforcer les principes de justice, assurer la transparence, protéger les droits humains et parvenir à un développement global et durable ».
Avant l’adoption de la Loi relative au statut personnel, les questions liées à la vie de famille étaient soumises à l’application discrétionnaire du droit islamique par les juges. L’inscription dans la législation de la Loi relative au statut personnel limite les décisions judiciaires discrétionnaires et contradictoires concernant les affaires familiales. Cependant, l’analyse d’Amnesty International démontre que la loi laisse de vastes pouvoirs discrétionnaires aux juges.
Droits concernant le mariage et violence domestique
La loi ne protège pas efficacement les femmes contre la violence domestique. Au contraire, elle renforce l’assignation patriarcale des rôles en fonction du genre, en exigeant des femmes qu’elles « obéissent » à leur époux. Elle conditionne également l’octroi du soutien financier des hommes à leur femme pendant le mariage au fait que les femmes « se soumettent à leur époux ». Ces dispositions exposent les femmes à un risque d’exploitation et de violences, notamment de viol conjugal, qui n’est pas érigé en infraction dans le droit saoudien.
Au titre de la nouvelle loi, les femmes, contrairement aux hommes, doivent obtenir l’autorisation d’un tuteur de sexe masculin pour se marier et pour valider le contrat de mariage.
Bien que la nouvelle loi fixe l’âge minimum légal du mariage à 18 ans, elle donne la possibilité aux tribunaux d’autoriser le mariage de garçons et de filles de moins de 18 ans dans certains cas. Le ministère de la Justice a publié un projet de décrets d’application en avril 2022 présentant les conditions pouvant justifier le mariage d’enfants de moins de 18 ans. Cependant, ces décrets d’application n’ayant pas encore été officiellement adoptés, la manière dont les tribunaux décideront des mariages pour les personnes de moins de 18 ans reste floue.
Obstacles au divorce et charges financières injustes
Au titre de la Loi relative au statut personnel, seuls les hommes bénéficient du droit inconditionnel de demander le divorce. La Loi prévoit simplement qu’une femme doit être « informée » du divorce et qu’elle pourra bénéficier d’une indemnisation financière si elle ne l’a pas été. En revanche, une femme n’a pas le droit de mettre un terme de manière unilatérale à un mariage.
Dans tous les cas de dissolution de mariage, la Loi relative au statut personnel désavantage les femmes du point de vue économique. Dans les cas de khula’ (séparation) et de faskh (annulation de mariage prononcée par un tribunal), qui permettent aux femmes de demander la dissolution du mariage, elles font face à des obstacles juridiques, financiers et pratiques qui sont prévus par la Loi relative au statut personnel et ne s’appliquent qu’aux femmes.
Une femme peut faire une demande de séparation, mais elle doit obtenir le consentement de son mari et la demande ne sera accordée que si elle rembourse le mahr (la dot).
Une femme peut également obtenir une annulation de mariage prononcée par un tribunal, mais uniquement dans des circonstances très spécifiques, notamment en cas de maladie, d’incapacité du mari à payer la dot, de refus ou d’incapacité du mari à fournir un soutien financier ou de mauvais traitements infligés à la femme à condition que « la blessure soit prouvée ». Même lorsqu’une femme est maltraitée par son mari, c’est à elle que revient la charge de prouver la blessure, et la loi peut imposer au couple une procédure judiciaire qui peut durer jusqu’à deux ans. Ces dispositions, qui créent des obstacles supplémentaires à la dissolution d’un mariage, donnent la priorité à la réconciliation de la famille plutôt qu’à la sécurité de la femme.
En outre, au titre de la Loi relative au statut personnel, en cas de séparation, une mère ne bénéficie pas des mêmes droits que le père concernant leurs enfants. Bien que la garde des enfants soit automatiquement accordée à la mère, le père reste le tuteur légal des enfants et a le pouvoir de prendre des décisions importantes concernant leur vie. Du fait de cette loi, il est également difficile pour les femmes divorcées de voyager avec leurs enfants, de déménager à l’étranger ou de se remarier.
La Loi relative au statut personnel est également discriminatoire à l’égard des femmes en ce qui concerne la succession, puisqu’elle accorde une part largement supérieure des actifs aux hommes qu’aux femmes, ce qui renforce la discrimination économique fondée sur le genre.
« Compte tenu du caractère endémique de l’assignation patriarcale des rôles en fonction du genre en Arabie saoudite et du fait que les femmes sont généralement financièrement dépendantes de leur mari, ces dispositions financières injustes placent les femmes dans une situation de vulnérabilité économique si un mariage est dissous », a déclaré Heba Morayef.
Une réforme dans un contexte de répression de la liberté d’expression
Pendant de nombreuses années, les autorités saoudiennes ont arrêté, emprisonné et condamné des personnes courageuses militant en faveur des droits des femmes et faisant campagne pour mettre fin au système de tutelle masculine. Même les personnes libérées après plusieurs années d’emprisonnement font aujourd’hui l’objet d’interdictions de voyager [1] et de restrictions de leur liberté d’expression.
Des militant·e·s des droits humains ont déclaré à Amnesty International que les personnes qui étaient en première ligne des appels en faveur des droits des femmes n’avaient pas été autorisées à apporter la moindre contribution à la Loi relative au statut personnel. Les femmes qui font face à des obstacles dans le cadre du mariage, du divorce et de la garde des enfants au titre de la Loi relative au statut personnel ne peuvent pas exprimer librement leurs inquiétudes, de peur de la répression des autorités.
Le 8 mars 2023, Amnesty International a publié une déclaration conjointe avec Human Rights Watch et d’autres organisations, appelant les autorités saoudiennes à prendre de nouvelles mesures pour mettre un terme à la discrimination à l’égard des femmes et à démanteler le système de tutelle masculine.