Des arrestations arbitraires pour museler les voix critiques

Les autorités nigériennes doivent immédiatement arrêter la série d’arrestations arbitraires de voix dissidentes et promouvoir la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International aujourd’hui.

Entre le 30 mars et le 5 avril, deux syndicalistes ont été arrêtés, apparemment pour des motifs d’ordre politique. Le premier, Baba Alpha, journaliste de la chaine privée Bonferey, a été arrêté le lundi 3 avril dernier et accusé de faux et usage de faux. Son audition est prévue aujourd’hui 6 avril. Le second, Maikoul Zodi, Président du Mouvement des jeunes républicains, une organisation de défense des droits des jeunes, a été interpellé le 5 avril par des éléments de la Police judiciaire. Il n’a pas encore été inculpé.

« Ces arrestations arbitraires témoignent d’une nouvelle tentative de museler la liberté d’expression. Le message adressé à ces voix dissidentes du Niger est clair : s’exprimer librement sur la situation économique et sociale et exiger la transparence dans la gestion des affaires publiques pourraient vous conduire en prison », a déclaré Kiné Fatim Diop, chargée de Campagnes sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Les autorités doivent veiller à ce que chaque citoyen puisse jouir sans crainte et sans subir de manœuvres d’intimidation ni de harcèlement, de son droit à la liberté d’expression. Mais, tout porte à croire qu’elles veulent faire de ces arrestations une arme pour s’en prendre à des lignes éditoriales et opinions critiques ».

Maikoul Zodi est enseignant et syndicaliste. Il préside une organisation de la société civile et est en même temps membre du collectif « Tournons la Page ». Il a été interpellé en présence de son épouse tôt le 5 avril par des éléments de la Police judiciaire qui ne lui ont ni présenté de mandat d’arrêt ni de motif d’arrestation.

Selon des informations recueillies par Amnesty International Zodi serait poursuivi pour « concussion ». Recruté en 2014 comme professeur d’histoire et de géographie, il n’aurait pas reçu d’affectation après sa démission de son poste de rapporteur de la société civile à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et malgré sa demande adressée au ministre de l’enseignement secondaire en janvier 2017. Alors que les autorités clament qu’il n’aurait jamais pris service et aurait régulièrement perçu son salaire, Zodi déclare qu’il n’a pas reçu de sommation pour reprendre service conformément à la procédure administrative.

Maikoul Zodi a été l’un des signataires de la « plainte contre X » qu’un collectif de la société civile a déposé le 30 mars dernier pour réclamer une enquête sur une vente présumée douteuse d’uranium nigérien, baptisée "Uranium Gate". Cette vente a donné lieu à un virement de 297 millions d’euros des comptes à Paris d’une société publique nigérienne vers un compte à Dubaï, selon ce collectif.

Issu d’une famille originaire du Mali, Baba Alpha est un journaliste célèbre pour ses critiques sur la chaîne privée Bonferey. Président de l’association de la Maison de la presse du Niger, il avait, en juin 2016, appelé au boycott de la cérémonie de rupture du jeûne avec le président de la République. Il a été inculpé le lundi 3 avril pour faux et usage de faux pour être soupçonné d’avoir utilisé de faux documents pour obtenir sa nationalité nigérienne en 2011. Son père, âgé de 70 ans, arrêté le même jour, est aussi poursuivi pour les mêmes raisons. Son ami Sidi Mohamed est poursuivi pour complicité.

Selon son avocat, Baba Alpha est né au Niger de parents maliens. L’avocat précise que c’est au moment de son arrestation que l’astuce de le poursuivre pour faux et usage de faux a été trouvée.

Amnesty International considère que des prétextes fallacieux ne doivent pas être utilisés pour faire taire des voix critiques de l’action des autorités.

L’organisation a documenté en décembre et janvier derniers, aux moins deux arrestations de syndicalistes. El Hadji Sani Chekaroua Garo, 65 ans, président du Syndicat des commerçants importateurs, exportateurs et grossistes du Niger a été convoqué le 22 décembre à la Police judiciaire où il a été arrêté à son arrivée, détenu durant quatre jours, inculpé pour attroupement non armé suivi d’effet et mis sous mandat de dépôt à la prison civile. Il a bénéficié « d’un jugement de relaxe » le 23 janvier dernier.

Seyni Harouna, premier secrétaire général adjoint du Syndicat national des agents contractuels de l’éducation de base (SYNACEB) a été arrêté le 17 mars et libéré le 23 du même mois après avoir comparu devant le procureur qui n’a déclenché aucune poursuite contre lui pour insuffisance de preuve.

« Arrêter et poursuivre des personnes pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression portent toutes les apparences d’une pression sur les voix dissidentes. Cela envoie un signal préoccupant que les autorités du Niger devraient se garder de donner à l’opinion », a déclaré Kiné Fatim Diop.

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