Le meurtre d’un journaliste connu, abattu le 25 septembre devant un tribunal à Amman, représente une attaque contre la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International.
Nahed Hattar était poursuivi en justice pour « insulte à la religion » et « incitation à la discorde confessionnelle » au titre de la sévère législation nationale sur le blasphème, parce qu’il avait partagé une caricature considérée comme offensante pour l’islam. Sa famille a signalé qu’il avait reçu plusieurs menaces de mort depuis son arrestation, en août.
« Cet assassinat d’un journaliste tué en plein jour représente un message très inquiétant en ce qui concerne l’état de la liberté d’expression en Jordanie à l’heure actuelle. En recourant à la législation sévère sur le blasphème pour poursuivre en justice une personne ayant exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression, les autorités jordaniennes alimentent un climat favorisant les menaces de violences à l’encontre de ceux qui ont des opinions considérées par d’autres comme offensantes, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
« Les autorités jordaniennes doivent faire clairement savoir que ces attaques visant des personnes qui expriment pacifiquement leurs opinions, quand bien même elles seraient impopulaires, ne seront pas tolérées. Elles doivent s’engager à protéger ceux qui expriment des opinions impopulaires, et à abroger les dispositions sévères du Code pénal sur le blasphème qui violent le droit à la liberté d’expression et peuvent contribuer à encourager de telles violences. Elles doivent aussi diligenter une enquête sur ce meurtre et déférer les responsables présumés à la justice dans le cadre d’un procès équitable et sans recours à la peine de mort.
« Le fait que Nahed Hattar faisait l’objet de poursuites et risquait d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour avoir partagé une caricature controversée, représente en soi une atteinte flagrante à la liberté d’expression. Nul ne devrait être emprisonné pour avoir partagé une caricature n’incitant pas à la violence, même si certains considèrent qu’elle est offensante. »
L’avocat de Nahed Hattar avait dit craindre que des manifestations et des émeutes n’aient lieu devant le tribunal le jour du procès. Les proches de Nahed Hattar avaient demandé qu’il bénéficie d’une protection durant la journée où il devait comparaître au tribunal, mais cette protection ne lui a manifestement pas été accordée. À la suite de sa mort, un certain nombre de gens l’ont critiqué sur les réseaux sociaux en le qualifiant d’« infidèle » et en « justifiant » son assassinat.
Le gouvernement jordanien restreint couramment les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion avec des lois qui répriment pénalement le fait d’exprimer pacifiquement des opinions. Depuis 2015, de très nombreux journalistes et militants ont été arrêtés et incarcérés au titre de dispositions du Code pénal qui répriment la diffamation de la religion, de la monarchie et d’autres institutions. Des personnes ayant exprimé des critiques, parmi lesquelles des journalistes, des réformateurs et des membres des Frères musulmans, ont été arrêtées et jugées au titre de la législation antiterroriste telle que modifiée en 2014, qui permet d’engager des poursuites contre ceux qui sont accusés de porter atteinte aux relations qu’entretient la Jordanie avec des États « amis ».
Citons à titre d’exemple le cas d’Eyad Qunaibi, qui a purgé une peine d’un an d’emprisonnement, prononcée contre lui par la Cour de sûreté de l’État jordanienne l’an dernier en raison, apparemment, d’un billet pacifique posté sur Facebook dans lequel il critiquait les relations entre le gouvernement jordanien et Israël, et le traitement réservé aux religieux jordaniens. Il a été déclaré coupable du chef d’« atteinte au régime politique […] ou d’incitation à s’y opposer ».
Complément d’information
Nahed Hattar a été arrêté le 13 août, deux jours après avoir posté une caricature représentant une scène de débauche dans l’au-delà avec, semble-t-il, un membre du groupe armé qui se donne le nom d’État islamique (EI). Il a supprimé ce billet le lendemain du jour où il l’avait partagé, en disant qu’il ne voulait pas offenser les musulmans, mais il a malgré cela été arrêté. Il a été incarcéré dans le centre de détention de Marka, à Amman. Les autorités ont d’abord refusé à trois reprises de lui accorder une libération sous caution, mais il a finalement été remis en liberté sous caution le 8 septembre.
Le procureur général avait interdit aux médias de diffuser des informations sur cette affaire.