« Colombia : Hidden from justice. Impunity for conflict-related sexual violence, a follow-up report » examine ce qu’ont fait les autorités durant l’année 2011 pour amener les responsables présumés de violences sexuelles perpétrées dans le cadre du conflit armé qui déchire le pays depuis de longues années à répondre de leurs actes devant la justice.
« En ne procédant pas à de véritables enquêtes sur les violences sexuelles commises contre les femmes, les autorités colombiennes envoient un dangereux message aux auteurs de ces actes, le message qu’ils peuvent continuer à violer et à commettre des violences sexuelles sans craindre de conséquences. », a déclaré Marcelo Pollack, chercheur sur la Colombie à Amnesty International.
« Le respect des droits humains doit figurer tout en haut de l’ordre du jour des pourparlers de paix qui se tiendront prochainement entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Sans un engagement clair de toutes les parties au conflit de mettre un terme aux violences sexuelles et aux autres atteintes aux droits humains, il ne peut y avoir de paix stable et durable en Colombie. »
Dans le contexte du conflit armé en Colombie, les violences sexuelles contre les femmes sont utilisées comme arme pour semer la terreur dans les communautés afin de les contraindre à quitter leurs terres, pour assouvir une vengeance contre l’ennemi, pour contrôler les droits sexuels et reproductifs des combattantes ou pour exploiter les femmes et les filles en tant qu’esclaves sexuelles.
Un nombre croissant de militantes des droits humains mobilisées pour dénoncer et combattre ces violations ont elles-mêmes été prises pour cibles, faisant l’objet de menaces et d’attaques.
Un grand nombre de cas de violences sexuelles ne sont pas signalés aux autorités, en particulier lorsqu’ils interviennent dans le cadre du conflit ; en effet, beaucoup de femmes ont trop peur pour oser parler, craignent d’être mises à l’écart, comme le sont généralement les victimes de violences sexuelles, ou pensent qu’aucune enquête sérieuse ne sera menée sur le crime.
Un certain nombre d’éléments font obstacle à la justice, notamment : l’absence de sécurité effective pour les victimes et les personnes impliquées dans les procédures judiciaires ; le traitement inégal réservé par les fonctionnaires de justice aux femmes victimes de violences sexuelles, et leur mise à l’écart ; et l’absence de stratégie globale de lutte contre l’impunité dans ces affaires. Les dysfonctionnements administratifs, le manque de moyens et l’infiltration des institutions locales par les groupes armés illégaux sont aussi des entraves au bon fonctionnement de la justice civile.
« Le problème en Colombie ne réside pas véritablement dans le manque de lois, de décrets, de protocoles et de directives de qualité acceptable, a déclaré Marcelo Pollack. Ces textes existent, en grand nombre. Le problème est qu’ils ne sont pas appliqués correctement et de manière cohérente dans tout le pays. »
Un certain nombre de responsables de haut niveau – notamment le vice-président Angelino Garzón et le procureur général – ont exprimé publiquement leur détermination à faire en sorte que justice soit rendue aux victimes de violences sexuelles liées au conflit.
Un certain nombre d’initiatives législatives ont par ailleurs vu le jour en 2011, dont les dispositions, si elles sont réellement mises en œuvre, pourraient avoir un impact positif en ce qui concerne le droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations.
En 2012, les parlementaires Iván Cepeda et Ángela María Robledo ont présenté au Congrès, avec l’appui de la déléguée du médiateur pour les enfants, les adolescents et les femmes, une proposition de loi visant à combattre l’impunité dans les affaires de crimes sexuels liés au conflit.
Ce texte prévoit notamment l’introduction dans le Code pénal d’une infraction spécifique de violences sexuelles liées au conflit, conformément aux normes internationales.
Toutefois, un certain nombre de projets ou propositions de loi pourraient, s’ils étaient adoptés, compromettre davantage encore les tentatives en vue d’amener devant la justice les responsables présumés de crimes de droit international.
L’un des textes actuellement en débat au Congrès prévoit le renforcement du rôle de la justice militaire dans les enquêtes et les poursuites pénales pour les crimes de droit international dans lesquels sont impliqués des membres des forces de sécurité. Si le projet prévoit que les crimes sexuels liés au conflit soient exclus de la compétence des tribunaux militaires, il octroie à la justice militaire un plus grand contrôle des premiers stades de l’enquête – qui ont une importance cruciale.
Un autre texte, le Cadre légal pour la paix, a été adopté par le Congrès en juin 2012 et promulgué par le président Santos peu de temps après. Cette loi pourrait permettre à des personnes s’étant rendues coupables d’atteintes aux droits humains, notamment des membres des forces de sécurité, de bénéficier d’amnisties de fait. Elle donne au Congrès le pouvoir de suspendre l’exécution de peines d’emprisonnement prononcées contre des acteurs du conflit, notamment des membres des forces de sécurité.
« La seule manière d’en finir avec les violences sexuelles contre les femmes et les filles en Colombie est de faire en sorte que tous les responsables présumés soient traduits en justice. », a déclaré Marcelo Pollack.
« Si la Colombie continue de se montrer incapable, ou pas vraiment désireuse, de traduire en justice les responsables de crimes sexuels liés au conflit, il se pourrait qu’une intervention de la Cour pénale internationale soit nécessaire. »
Amnesty International a demandé aux autorités colombiennes d’élaborer et de mettre en œuvre un plan global d’action interdisciplinaire rationnel dans le domaine de la lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes, et d’apporter leur soutien à la proposition de loi déposée au Congrès qui vise à « garantir l’accès à la justice pour les victimes de violences sexuelles, en particulier les violences sexuelles commises dans le cadre du conflit armé. »