En réaction à l’annonce de manifestations en Égypte, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement plusieurs centaines de personnes lundi 25 avril, a déclaré Amnesty International à la suite du déploiement massif des forces de l’ordre visant à empêcher les manifestants de se rassembler au Caire et ailleurs.
Le Front de défense des manifestants égyptiens a indiqué à Amnesty International, le 26 avril au matin, qu’il avait eu connaissance d’au moins 238 arrestations survenues la veille dans toute l’Égypte. Parmi les personnes arrêtées figurent des étrangers, des militants et des journalistes. Le Front de défense des manifestant égyptiens est un groupe de militants locaux, dont des avocats spécialisés dans les droits humains, qui s’est formé pour protéger les manifestants pacifiques des violations des droits humains. Le mouvement Liberté pour les braves, autre mouvement local de vigilance, avait établi une liste de 168 noms le 25 avril au soir, et ses militants poursuivaient leur travail d’identification des personnes arrêtées.
« Les autorités égyptiennes semblent avoir monté une opération musclée, d’une efficacité redoutable, pour réprimer cette manifestation avant même qu’elle n’ait commencé. Les nombreuses arrestations, les barrages routiers et le déploiement massif des forces de sécurité ont empêché le déroulement des manifestations pacifiques », a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
« Malheureusement, la répression de la liberté de réunion pacifique et les violations d’autres droits sont la réponse habituelle du gouvernement égyptien à toute forme de critique. »
L’appel à manifester avait été lancé après la cession par l’Égypte de deux îles de la Mer rouge à l’Arabie saoudite – une mesure jugée anticonstitutionnelle et critiquée pour son manque de transparence par un certain nombre de groupes de la société civile. Le 25 avril, anniversaire du retrait d’Israël de la péninsule du Sinaï en 1982, est un jour férié en Égypte.
D’après les chiffres publiés par des organisations égyptiennes de défense des droits humains et par Liberté pour les braves, plus de 90 personnes avaient déjà été arrêtées en amont des manifestations, entre le 21 et le 24 avril.
Beaucoup ont été placées en détention provisoire pour diverses accusations, telles que des violations de la législation antiterroriste, de la Loi relative aux manifestations et d’autres lois réglementant les rassemblements publics, ainsi que des atteintes à la « sécurité nationale » en vertu du Code pénal.
Parmi les personnes arrêtées au cours de la semaine précédant les manifestations figuraient plusieurs militants de premier plan liés aux mouvements égyptiens de défense des droits humains et de protestation. C’est le cas par exemple d’Ahmed Abdullah, président du bureau exécutif de la Commission égyptienne des droits et des libertés, arrêté à son domicile le matin du 25 avril par des membres des « forces spéciales », d’après ses porte-parole. Il est sous le coup de plusieurs chefs d’inculpation, dont l’incitation à la violence en vue de renverser le gouvernement, la participation à un groupe « terroriste » et la promotion du « terrorisme ».
Haytham Mohammedein, avocat spécialisé dans le droit du travail et porte-parole du Mouvement socialiste révolutionnaire, a lui aussi été arrêté à son domicile, le 22 avril aux premières heures de la matinée, par des membres de l’Agence de sécurité nationale, qui ont refusé de lui présenter un mandat d’arrestation.
Les agents lui ont bandé les yeux pendant son interrogatoire, et il a été présenté au parquet plus de 24 heures après son arrestation, en violation de la Constitution égyptienne, a indiqué l’un de ses avocats à Amnesty International. Le procureur général a ordonné son placement en détention pour 15 jours pour « participation au mouvement interdit des Frères musulmans », « conspiration en vue de renverser le régime » et « appel à manifester contre la modification des frontières maritimes du pays », a précisé l’avocat. Haytham Mohammedein est détenu dans un camp des Forces centrales de sécurité appelé « Kilo 10.5 », situé en plein désert, sur la route qui relie Le Caire à Alexandrie.
Parmi les victimes de cette répression figure aussi la militante célèbre Sanaa Seif, qui a déclaré avoir été convoquée pour interrogatoire par un procureur, et l’avocat Malek Adly, qui a fait l’objet d’un mandat d’arrestation.
Le 25 avril, dès l’aube, des informations faisant état d’une importante présence des forces de sécurité dans le centre du Caire ont commencé à circuler. Elles signalaient la mise en place de barrages routiers et le déploiement de policiers armés, indiquant l’intention du gouvernement égyptien de réprimer les manifestations. Le président a qualifié les manifestations prévues de tentative de déstabilisation de l’État, et le ministre de l’Intérieur a menacé de graves conséquences toute personne qui « franchirait la ligne rouge ».
« Les autorités affirment rétablir la stabilité et la sécurité, mais leur paranoïa les aveugle et semble les avoir rendues incapables de faire la distinction entre une manifestation pacifique et une véritable menace à la sécurité a déclaré Magdalena Mughrabi. »
Amnesty International exhorte les autorités égyptiennes à respecter les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression. Toute personne détenue pour avoir manifesté pacifiquement doit être libérée.
La Loi égyptienne relative aux manifestations interdit d’organiser une manifestation sans l’autorisation des autorités, et accorde de larges pouvoirs aux forces de sécurité pour disperser les manifestations « non autorisées ». Concrètement, les autorités facilitent la tenue des manifestations de sympathisants du président Abdel Fattah al Sissi, mais dispersent systématiquement les manifestations de ses opposants.
Amnesty International a exprimé à plusieurs reprises les préoccupations que lui inspire la législation draconienne de lutte contre le terrorisme en Égypte. Sa définition trop vague et trop large d’un « acte terroriste » permet aux autorités de réprimer toute forme d’opposition pacifique.
Des manifestations massives avaient déjà eu lieu 11 jours auparavant, après l’annonce de la cession des îles inhabitées à l’Arabie saoudite. Les manifestations du 15 avril ont été les plus grosses observées en Égypte depuis plus de deux ans.