Les autorités soudanaises doivent cesser de réprimer systématiquement les manifestants et les militants

Amnesty International est préoccupée par la répression systématique des manifestations ces dernières semaines et appelle les autorités soudanaises à mettre fin immédiatement à la vague de meurtres, d’actes de torture et de détentions prolongées dont sont victimes les personnes arrêtées lors de ces événements. Le harcèlement du personnel médical et des manifestants blessés cherchant à recevoir des soins doit également cesser.

Les autorités soudanaises emploient une force excessive de manière habituelle pour réprimer les manifestations généralement non violentes qui surviennent régulièrement dans les principales villes du Soudan depuis la mi-juin 2012. Ces dernières semaines, les forces de police ont utilisé des matraques, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc tirées à faible distance contre les manifestants.

La dernière vague de protestations a éclaté le 16 juin 2012, lorsque des étudiantes de l’université de Khartoum ont organisé un rassemblement contre les prix trop élevés et la politique du gouvernement. Les semaines suivantes, les manifestations se sont étendues à d’autres endroits de la région de Khartoum ainsi qu’à des villes de province, notamment Port-Soudan, El Obeid, Dongola, Atbara, Kassala et Al-Qadarif.

Le 31 juillet, les forces des services de sécurité et de la police paramilitaire ont tiré à balles réelles sur des manifestants à Nyala, dans le Darfour du Sud. Au moins dix étudiants ont été tués et une douzaine ont été blessés. Une grande partie des victimes étaient des élèves de l’enseignement secondaire.

En réponse au mouvement de protestation, le Service national de la sûreté et du renseignement (NSIS) a arrêté des centaines de militants notoires de la sphère politique et de la société civile, indépendamment de leur implication dans les manifestations. Bon nombre d’entre eux ont déclaré à Amnesty International avoir été torturés à coups de poing, de bâton et de tuyau d’arrosage et avoir été contraints de rester en plein soleil toute la journée.

Lors des manifestations, les policiers ont reçu des jets de pierre.

Les affrontements ont fait au moins 40 blessés, dont des manifestants, des policiers et des habitants. Outre les tirs directs sur la foule, les forces de sécurité ont tiré en l’air avec des mitrailleuses lourdes de type Douchka, blessant les résidents se trouvant chez eux lorsque les balles sont retombées.

Les auteurs de la fusillade de Nyala sont la police de la réserve centrale - police paramilitaire formée au combat - et des agents en civil du NSIS.

Obstruction aux soins médicaux

Amnesty International a reçu des informations indiquant que, ces dernières semaines, le NSIS a également empêché des manifestants blessés de recevoir des soins médicaux en déployant des agents dans les hôpitaux publics de la région de Khartoum.

Un homme de 26 ans ayant été torturé lors de sa détention par le Service national de la sûreté a indiqué que son admission avait été refusée au Royal Care Hospital de Khartoum, alors qu’il cherchait à s’y faire soigner immédiatement après avoir été libéré, le 23 juin. Le personnel médical lui aurait expliqué que l’hôpital avait reçu l’ordre du NSIS de refuser tous les patients ayant un lien avec les manifestations et de les rediriger vers l’hôpital universitaire (« Khartoum Teaching Hospital »).

Un agent de sécurité de l’hôpital d’Omdourman a signalé avoir vu des membres du Service national de la sûreté arrêter un manifestant blessé le 29 juin, alors qu’il sortait de l’hôpital où il avait voulu se faire soigner. Un médecin a déclaré en avoir vu d’autres réaliser des contrôles d’identité visuels à l’entrée de l’hôpital.

Des personnes blessées lors des manifestations ou du fait d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements subis dans les locaux du NSIS ont affirmé à Amnesty International qu’elles avaient préféré ne pas chercher à se faire soigner dans les hôpitaux, par peur d’être arrêtées ou menacées.

Les agents du Service national de la sûreté ont harcelé du personnel médical qui avait installé des centres de santé mobiles dans des logements pour soigner les manifestants blessés. Une femme médecin a révélé avoir été suivie, le 10 juillet, et avoir reçu des SMS de menace pour avoir fait son travail auprès des manifestants.

Des témoins ont affirmé avoir vu des manifestants blessés se faire arrêter et des agents du NSIS se déployer à l’intérieur de l’hôpital général de Nyala le 31 juillet.

Torture et détention prolongée

Des dizaines de militants et de manifestants sont toujours en détention administrative, plus d’un mois après leur arrestation, fin juin ou début juillet.

Après avoir été maintenus en détention dans les locaux du NSIS, où beaucoup d’entre eux auraient été torturés ou auraient subi d’autres mauvais traitements, ils ont été transférés vers de grands centres de détention, tels que la prison de Kober, à Khartoum, ou la prison d’Omdourman. Pour la plupart, ils n’ont pas été inculpés ni n’ont eu la possibilité de consulter un avocat.

Parmi ces détenus figurent : Khaled Bahar, dirigeant du mouvement Haq, en détention depuis le 20 juin ; Yassir Fathi, dirigeant des jeunes du parti Oumma (parti de l’indépendance), en détention depuis le 21 juin ; Ussamah Mohammed, jeune militant et blogueur, arrêté le 22 juin ; Rashida Shams al Din, militante du mouvement de jeunes Girifna, en détention depuis le 23 juin ; Mohammed Salah, étudiant militant, en détention depuis le 24 juin ; Abdul Hadi Mahmoud, militant étudiant membre de Girifna, arrêté le 26 juin ; Amira Osman, membre éminente du Parti communiste soudanais, en détention depuis le 28 juin ; Mai Ali « Shatta », membre de Girifna, en détention depuis le 1er juillet ; Naheed Jabralla, directrice de SEEMA, ONG de défense des droits des femmes et des enfants, arrêtée le 3 juillet ; Marwa al Tijani, journaliste, en détention depuis le 3 juillet ; Tariq Ibrahim al Shaikh, membre de l’Ordre des avocats du Darfour, en détention depuis le 3 juillet.

Par ailleurs, le NSIS a intenté une action pour terrorisme contre Rudwan Dawod, membre de Girifna résidant aux États-Unis, et Ahmed Ali « Kawarti », militant étudiant. Les deux hommes ont été arrêtés le 3 juillet alors qu’ils participaient à une manifestation dans le quartier de Haj Youssef, à Khartoum, et Rudwan Dawod a ensuite été torturé lors de sa détention dans les locaux du NSIS. D’après l’article 65 du Code pénal soudanais de 1991, ils sont passibles de la peine de mort. Amnesty International considère Rudwan Dawod et Ahmed Ali « Kawarti » comme des prisonniers d’opinion, détenus uniquement pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions.

Amnesty International appelle les autorités soudanaises à :

  cesser d’avoir un recours excessif à la force à l’égard des manifestants et empêcher, en particulier, que des balles réelles soient utilisées par les forces de sécurité ;

  enquêter immédiatement sur les circonstances entourant les homicides dont ont été victimes des manifestants et le recours à la force employée contre eux et suspendre immédiatement les membres des services de sécurité impliqués dans ces agissements ;

  faire cesser la torture et donner des instructions claires aux forces de sécurité pour garantir qu’elles respectent le droit à la vie et l’interdiction ;

  libérer les manifestants et les militants maintenus en détention de manière prolongée ou les inculper d’infractions reconnues par la loi ;

  cesser la pratique de la détention administrative prolongée et réformer la législation nationale pour limiter la durée de la période de détention précédant le procès.

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