Les autorités turques ont commis de très nombreuses violations des droits humains lorsque le gouvernement a tenté d’écraser le mouvement de protestation du parc Gezi cet été, a déclaré Amnesty International.
Dans un rapport rendu public mercredi 2 octobre, l’organisation décrit les excès dont la police s’est rendue coupable pendant les manifestations, en soulignant que ces agissements n’ont fait l’objet d’aucunes poursuites tandis que les personnes ayant manifesté ont, elles, été harcelées et inculpées.
« La répression du mouvement de protestation du parc Gezi a donné lieu à des violations des droits humains à très grande échelle, a déclaré Andrew Gardner, spécialiste de la Turquie à Amnesty International. Le droit de se réunir pacifiquement a été systématiquement bafoué et les violations du droit à la vie, à la liberté et à ne pas être torturé et maltraité ont été nombreuses. »
Le « programme de démocratisation » annoncé par le Premier ministre turc lundi 30 septembre ne résout pas le problème de ces violations et ne propose aucune mesure sérieuse pour éviter qu’elles ne se reproduisent à l’avenir.
Intitulé Gezi Park protests : Brutal denial of the right to peaceful assembly in Turkey , le rapport d’Amnesty International décrit comment les tirs de balles réelles, de gaz lacrymogène, de canon à eau, de balles en caoutchouc ainsi que les coups ont fait plus de 8 000 blessés sur le lieu des manifestations. Il montre aussi que la mort d’au moins trois manifestants était liée à l’utilisation d’une force excessive de la part de la police.
L’organisation a observé des manifestations à Istanbul et Ankara et interrogé dans quatre villes turques de nombreuses personnes qui avaient été blessées par la police, arrêtées illégalement et frappées ou agressées sexuellement pendant leur détention.
Le rapport montre que :
– au moins trois manifestants sont morts à la suite de l’utilisation d’une force excessive de la part de la police (coups, balles réelles, grenades lacrymogènes) ;
– la police a fréquemment tiré des balles en caoutchouc en visant la tête ou le haut du corps ;
– des grenades lacrymogènes ont été tirées directement sur les manifestants, les passants et parfois en direction de bâtiments d’habitation ou médicaux ;
– des irritants chimiques ont été ajoutés aux réservoirs des canons à eau ;
– des policiers ont infligé des violences sexuelles à des manifestantes.
« Le niveau de violence utilisé par la police face au mouvement de protestation du parc Gezi montre ce qui se passe lorsque des policiers peu formés et mal supervisés reçoivent l’ordre d’utiliser la force - et sont encouragés à l’utiliser sans modération - en sachant qu’ils risquent peu d’être identifiés puis poursuivis pour les violences qu’ils commettent », a déclaré Andrew Gardner.
Il apparaît déjà que la grande majorité des violences policières resteront impunies, tandis que les personnes ayant organisé les manifestations ou y ayant participé ont été vilipendées et violentées et font maintenant l’objet de poursuites injustes ou disproportionnées. Les personnes ayant aidé des manifestants ou diffusé des informations sur les manifestations – médecins, avocats, journalistes et même des commerçants – ont été menacées et harcelées.
« La détermination des autorités turques à mettre fin aux manifestations du parc Gezi et à décourager toute reprise du mouvement est manifeste, a déclaré Andrew Gardner. Pour y parvenir, elles ont opté pour la force, les menaces, les insultes et les poursuites en justice. »
« Des centaines de personnes sont menacées de poursuites judiciaires simplement pour avoir participé aux manifestations, en l’absence de tout élément attestant qu’elles aient pris part à des actes violents. »
« Un grand nombre de personnes accusées d’avoir organisé les manifestations font l’objet d’une enquête en vertu de la loi antiterroriste. »
« Le gouvernement turc doit apprendre à tolérer les opinions divergentes exprimées par le biais de manifestations dans la rue, et veiller à ce que les policiers disposent de l’équipement, de la formation et des instructions pour assurer le maintien de l’ordre en toute légalité en cas de mouvement de protestation. »
Amnesty International appelle les gouvernements et les fournisseurs de matériel antiémeute à interdire immédiatement les exportations ou les transferts vers la Turquie. Cette interdiction devrait concerner notamment le gaz lacrymogène et le gaz poivre, ainsi que les balles en caoutchouc et autres projectiles à impact cinétique.
Une telle interdiction devrait rester en vigueur jusqu’à ce que les autorités autorisent l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale sur les allégations d’usage arbitraire ou excessif de la force, et fassent la preuve de leur engagement à n’utiliser ce matériel que dans le strict respect des normes internationales.