« Si on ne peut pas compter sur la police pour nous protéger, sur qui peut-on compter ? »
Un citoyen autrichien d’origine turque, qui a représenté l’Autriche à deux reprises aux Jeux olympiques
Un racisme institutionnel est en train d’imprégner la police autrichienne et certaines composantes de la justice pénale du pays, écrit Amnesty International dans un rapport qu’elle rend public ce jeudi 9 avril. L’organisation demande que des mesures soient prises de toute urgence pour que la police et les instances judiciaires fournissent la même qualité de service à toutes les personnes, quelles que soient leur origine ethnique et la couleur de leur peau.
« L’appareil judiciaire à deux vitesses qui prévaut de facto aujourd’hui en Autriche bafoue le principe même de justice, a déclaré John Dalhuisen, spécialiste de l’Autriche au sein d’Amnesty International. Les préjugés et les stéréotypes à l’égard des étrangers et des personnes d’origine ethnique ou de religion différentes n’ont pas leur place au sein des structures chargées de faire respecter la loi. »
« Les autorités autrichiennes doivent clairement faire savoir aux responsables de l’application des lois et à l’opinion publique que les mauvais traitements à l’égard de détenus et les agissements racistes sont strictement interdits en toutes circonstances et feront l’objet d’enquêtes et de sanctions. »
Intitulé Victim or suspect : A question of colour. Racist discrimination in the Austrian justice system , le rapport décrit plusieurs cas où la police s’est rendue coupable de violence et de mauvais traitements à caractère raciste, et fait état plus largement de l’incapacité de la justice pénale à traiter les migrants et les membres des minorités ethniques comme le reste de la population.
Les recherches qu’a menées Amnesty International montrent que les Autrichiens n’ayant pas la peau blanche sont plus susceptibles que les autres d’être soupçonnés d’infractions et maltraités par la police. Leurs plaintes ont beaucoup moins de chance d’être examinées dans des délais raisonnables et de manière approfondie et les auteurs de mauvais agissements à leur encontre d’être déférés à la justice.
« L’impact des pratiques discriminatoires de la police est tel que le sentiment d’injustice n’est pas éprouvé simplement par des individus isolés mais par des groupes entiers de la population, qui en viennent à considérer qu’ils sont spécifiquement visés », a commenté John Dalhuisen.
S’il n’y a pas de données officielles sur l’origine ethnique des plaignants ou des victimes de mauvais traitements imputables à des policiers, les données empiriques et le fait que la grande majorité des cas signalés à Amnesty International et recensés par l’organisation concernent des membres de minorités ethniques soulèvent la question d’un racisme latent au sein des différents organes responsables de l’application des lois.
Amnesty International est préoccupée par le fait que la réaction de la police et de la justice à la majorité des plaintes pour violences policières déposées par des membres de minorités ethniques est inadéquate. Il n’y a pas d’enquête satisfaisante sur ces plaintes, les policiers sont rarement poursuivis et les sanctions sont très peu sévères.
« Il est grand temps que les dirigeants politiques et les hauts responsables de la police reconnaissent l’existence du racisme au sein des forces de l’ordre, a déclaré John Dalhuisen La police ne peut conserver la confiance de la population si des policiers restent en fonction alors qu’il est de notoriété publique qu’ils ont commis de graves violations des droits humains. »
Amnesty International appelle les autorités autrichiennes à :
– veiller à ce que toutes les allégations d’agissement raciste de la part de responsables de l’application des lois fassent l’objet d’une véritable enquête et donnent lieu à des sanctions adaptées ;
– améliorer la détection des pratiques racistes au sein des organes responsables de l’application des lois, ainsi que la réponse institutionnelle à ce phénomène ;
– sensibiliser davantage les responsables de l’application des lois au devoir qu’ils ont de ne faire preuve de discrimination à l’égard de personne ;
– veiller à ce que des enquêtes soient menées et des poursuites engagées en cas d’infractions signalées par des ressortissants étrangers et des membres de minorités ethniques et pouvant être motivées par des considérations racistes.
Cas
Le 7 avril 2006, Bakary J., ressortissant gambien, a été conduit dans un avion pour la Gambie, à sa sortie de prison. Une fois à bord, Bakary J. a dit aux membres de l’équipage qu’il était expulsé contre son gré, et le pilote a insisté pour qu’il soit débarqué. Des policiers l’ont alors conduit dans un hangar isolé où ils l’ont frappé et jeté à terre. Un des policiers est monté dans la voiture et a fait mine d’écraser Bakary J. qui gisait au sol, le blessant au dos et au cou. Les policiers l’ont emmené à l’hôpital où ils ont affirmé que c’était en essayant de s’enfuir que Bakary J. s’était blessé à la tête, aux hanches, à l’épaule gauche et à la colonne vertébrale. Pendant ce temps, sa femme a alerté Amnesty International et les médias sur le traitement qui avait été réservé à son époux. Grâce à cette intervention, une enquête a été menée et les policiers ont été jugés. Ils ont été condamnés à des peines de moins d’un an d’emprisonnement avec sursis, qui ont par la suite été commuées en amendes, dont le montant a été réduit ultérieurement. Sept mois après les événements, les policiers ont repris leurs fonctions, dans d’autres services cependant.
En octobre 2006, A., ressortissant Ghanéen, revenait chez lui à pied de son travail quand un homme a surgi devant lui dans la rue et l’a pris en photo en le traitant de dealer. A. a tenté de lui enlever son appareil photo mais l’épouse de l’homme est arrivée en courant et a aspergé A. de gaz poivre. Il était au sol après l’attaque au gaz poivre et l’homme s’apprêtait à le frapper avec une batte de baseball lorsque des passants sont intervenus et ont appelé la police. Les policiers n’ont pas recueilli les témoignages des passants, et les poursuites contre le couple qui avait attaqué A. ont été abandonnées.
H., citoyen autrichien d’origine polonaise, rentrait chez lui tard le soir en juin 2007, à Vienne, lorsqu’il est tombé sur un groupe de personnes s’exprimant en polonais qui se disputaient avec deux autres personnes. H. a essayé sans succès de calmer la situation. La police est arrivée alors que la bagarre était en train de tourner court. Au lieu de prendre son témoignage, la police aurait insulté et frappé H. et l’aurait fait tomber au sol. H. a réussi à appeler, avec son téléphone portable, le service des urgences qui a pu enregistrer le bruit des coups qui lui étaient assénés et les insultes que lui proféraient les policiers. H. a été précipité dans un véhicule de la police où il a affirmé avoir été de nouveau frappé. Inculpé de résistance envers un représentant de l’autorité, H. a porté plainte devant la justice. Les charges contre la police ont été classées sans suite, mais celles retenues contre H. n’ont été abandonnées qu’après qu’il eut porté l’affaire devant le tribunal administratif indépendant de Vienne.