3 mai : Journée mondiale de la liberté de la presse

Azerbaïdjan — « Il n’y a pas de censure officielle, mais quiconque mène de vraies activités journalistiques est en danger »

Le chemin entre une cellule de prison azerbaïdjanaise et l’École des études orientales et africaines à Londres n’est peut-être pas le plus conventionnel qu’un étudiant puisse prendre.
Mais cela signifie que l’intérêt d’Emin Milli pour la liberté d’expression et l’utilisation de plateformes numériques pour s’exprimer et contourner les restrictions imposées par l’État est très personnel.
Ce militant rédige actuellement un essai sur les nouveaux médias et les révolutions arabes.
Mais c’est sa propre campagne, menée en Azerbaïdjan au moyen de blogs et des réseaux Facebook et Twitter, dans le but de révéler les exactions du gouvernement et la répression lancée par celui-ci, qui l’a conduit en prison pour 16 mois en 2009.
Il y a trois ans, Emin Milli, accompagné d’Adnan Hajizade, lui aussi militant et blogueur, a été agressé par deux inconnus dans un restaurant.
Les deux hommes ont signalé l’incident à la police mais ils ont été arrêtés pour houliganisme. Cette agression a eu lieu seulement une semaine après qu’ils ont publié sur YouTube une vidéo satirique montrant un homme déguisé en âne donnant une conférence de presse.
Emin Milli aime faire preuve d’humour lorsqu’il critique le gouvernement, mais les autorités n’ont clairement pas vu la plaisanterie. Néanmoins, les deux blogueurs n’ont pas été inculpés à cause de ce qu’ils avaient écrit ; au lieu de cela, on les a accusés d’avoir commis une infraction inventée de toutes pièces.
« Le président azerbaïdjanais essaye de donner du pays une image tolérable d’un régime autoritaire, explique Emin Milli. Ici, ce ne sont pas des milliers de gens qui sont massacrés dans la rue. Ici, les attaques visent des personnes représentant toutes les classes sociales et différentes professions. Ils ne mettent pas tous les blogueurs en prison. Ils en choisissent deux ou trois qui vont trop loin, d’après eux. »
Le fait que ces événements se passent dans un État membre du Conseil de l’Europe rend la situation plus grave, pense Emin Milli.
Emin Milli donne l’exemple d’Eynulla Fatullayev, journaliste emprisonné après avoir exprimé son opinion sur le Haut-Karabakh, qui a fortement déplu au gouvernement. Amnesty International a lancé une campagne mondiale pour la libération d’Eynulla Fatullayev ; la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que les charges qui pesaient sur celui-ci bafouaient son droit à la liberté d’expression, et a demandé sa libération immédiate.
Les autorités azerbaïdjanaises ont alors « découvert » de la drogue sur cet homme quand il était en prison et elles l’ont accusé d’infractions à la législation sur les stupéfiants tout en abandonnant les charges initiales pour se conformer au verdict de la Cour. Eynulla Fatullayev est maintenant libre à la suite d’une campagne mondiale pendant laquelle Twitter et Facebook ont beaucoup servi. Après quatre ans et demi d’emprisonnement injustifié, il a même reçu une indemnisation s’élevant à 28 000 euros.
Cependant, Emin Milli pense qu’aucune indemnité ne peut compenser le temps perdu passé dans une cellule.
« Mon père est décédé quand j’étais en prison. Ils m’ont libéré le lendemain de sa mort mais je n’étais pas présent à son enterrement. Rien ne peut me dédommager de ça. C’était très important pour moi. C’est ridicule que le Conseil de l’Europe autorise des dictateurs à rester assis dans leurs datchas en riant de tout cela.
« Il existe beaucoup de journalistes courageux mais le monde ne les connaît pas. [Les nouveaux médias] sont très importants pour l’Azerbaïdjan. Je réagis en écrivant à propos de ces personnes et en révélant des faits scandaleux à d’autres médias.
« Les blogueurs et les utilisateurs de Twitter atteignent beaucoup plus de gens que les journalistes traditionnels. Le taux de pénétration d’Internet en Azerbaïdjan est de plus de 50 % et l’utilisation de Facebook est grandissante. Les gens se tournent vers Internet pour obtenir la vérité. »
Néanmoins, à certains égards, les nouveaux médias ne sont pas différents des médias traditionnels.
« Cela dépend de quel type de journaliste vous êtes. C’est dangereux de révéler des injustices. Si vous écrivez au sujet de faits réels, vous serez visé. [En Azerbaïdjan] le gouvernement assure que les droits des journalistes sont respectés - il n’y a pas de censure officielle - mais quiconque mène de vraies activités journalistiques est en danger. Les mots sont dangereux. »
Emin Milli illustre ses propos en soulignant le cas d’Idrak Abbasov, un des journalistes azerbaïdjanais les plus célèbres. Celui-ci a reçu en mars dernier le prix Index on Censorship à Londres en tant que journaliste d’investigation. Il se trouve actuellement à l’hôpital après avoir été brutalement agressé par des policiers et des employés de la Compagnie pétrolière nationale (SOCAR), alors qu’il essayait de filmer des démolitions de logements illégales.
Emin Milli retournera dans son pays en septembre pour continuer sa lutte pour la liberté d’expression.
« Les absurdités de la vie quotidienne en Azerbaïdjan m’ont donné envie d’écrire à leur sujet. Les gens qui liront cela à l’avenir n’y croiront pas. Ils penseront que ce ne sont que des histoires ! »
Fin mai, le concours Eurovision de la chanson se tiendra à Bakou. Certains militants ont appelé à le boycotter ; Emin Milli désapprouve cette stratégie. Il souligne l’ironie de la situation d’un musicien, Jamal Ali, qui aurait été torturé dans les locaux de la police il y a deux mois seulement (mars). Cet homme a été arrêté pour « houliganisme mineur » après avoir insulté la mère défunte du président azerbaïdjanais.
Emin Milli veut que les personnes qui se rendent à Bakou pour l’Eurovision « aient l’occasion de voir la réalité de l’Azerbaïdjan ».

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