Communiqué de presse

Azerbaïdjan. Le durcissement des sanctions à l’égard des manifestants pacifiques constitue une régression

L’Azerbaïdjan doit respecter les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique et cesser de réprimer les manifestants non violents, a déclaré Amnesty International mardi 6 novembre 2012 en réaction à l’adoption, quatre jours plus tôt, de modifications législatives alourdissant les sanctions encourues par les personnes qui organisent des manifestations « non autorisées » ou « interdites », ou qui y participent.

Loin de mettre un terme aux sanctions visant les manifestants pacifiques, ces modifications du Code pénal azerbaïdjanais prévoient des peines allant désormais jusqu’à deux dans d’emprisonnement pour participation à une réunion « officiellement interdite » (article 169), et jusqu’à trois ans de prison pour organisation ou participation à des activités entraînant le « non-respect des ordres officiellement émis par des représentants du gouvernement ou affectant le cours normal de la circulation et des activités des entreprises et des organisations » (article 233).

Le montant des amendes, compris jusque-là entre 100 et 500 manats (entre 100 et 500 euros environ), a également été augmenté et varie désormais de 5 000 à 8 000 manats (5 000 à 8 000 euros environ). Des augmentations similaires ont en outre été prévues à l’article 298 du Code administratif, qui sanctionne le fait de participer à des réunions sans « autorisation appropriée ».

D’après les partis de l’opposition, le gouvernement a également empêché la tenue d’une manifestation contre l’adoption de ces modifications. Trente militants de l’opposition auraient été arrêtés vendredi 2 novembre alors qu’ils se dirigeaient vers le Parlement. Certains ont été interpellés à la sortie de leur domicile, d’autres dans des autobus qui les conduisaient à la manifestation.

Ces nouvelles sanctions, qui viennent s’ajouter à l’interdiction systématique par les autorités des manifestations dans le centre-ville de Bakou, pourraient dissuader la population de protester pacifiquement avant l’élection présidentielle de 2013.

L’obligation d’obtenir une autorisation pour organiser une réunion et l’interdiction générale des manifestations dans le centre de la capitale sont contraires aux obligations qui incombent à l’Azerbaïdjan au titre du droit international relatif aux droits humains. Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique sont garantis par les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et par les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Des restrictions à ces droits ne peuvent être imposées que pour protéger certains intérêts publics ou les droits et libertés d’autrui. De plus, il doit être prouvé que ces restrictions sont nécessaires et proportionnées, et elles ne doivent pas porter atteinte au droit lui-même.

L’Azerbaïdjan doit supprimer les dispositions du Code pénal et du Code administratif qui érigent en infraction le fait de participer à des manifestations pacifiques, et cesser de sanctionner l’exercice des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Amnesty International dénonce depuis longtemps l’interdiction générale par le gouvernement des manifestations non violentes dans le centre de Bakou, ainsi que l’arrestation et l’incarcération des personnes qui enfreignent cette interdiction. Après avoir violemment dispersé des manifestations pacifiques en mars et avril 2011, les autorités avaient incarcéré 17 personnes pour avoir appelé à manifester ou pris part aux protestations. Deux d’entre elles, Chahin Hassanli et Vidadi Isgandarov, ont été jugées dans le cadre de procès inéquitables et sont toujours en détention. Depuis, le gouvernement a poursuivi six autres personnes (Taleh Khasmammadov, Anar Baïramli, Ramin Baïramov, Ogtaï Goulaliev, Mehman Housseïnov et Hilal Mammadov) sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces, en guise de représailles pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression.

Le gouvernement azerbaïdjanais doit libérer immédiatement et sans condition ces personnes ainsi que les autres manifestants maintenus en détention pour le seul fait d’avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Complément d’information

Le 20 avril 2012, le défenseur des droits humains Taleh Khasmammadov a été condamné par la cour régionale du district de Kürdemir à quatre ans d’emprisonnement pour « hooliganisme » et « résistance aux forces de l’ordre ». Taleh Khasmammadov enquêtait sur des allégations d’activités illégales et d’abus commis par des agents de l’État dans la région d’Ucar ; il avait publié plusieurs articles critiques envers les autorités locales. Peu de temps avant son arrestation, il avait publié un article dans les journaux Gundam Khabar et Azadliq au sujet du suicide d’une jeune femme de 17 ans, victime de la traite des être humains, dans lequel il affirmait qu’une bande organisée se livrant à cette pratique bénéficiait de l’aide de la police locale.

Taleh Khasmammadov avait également affirmé dans plusieurs articles que des agents de la police locale s’étaient rendus complices des activités de bandes criminelles sévissant dans la région. Son avocat, Me Assabali Moustafaïev, a indiqué à Amnesty International que Taleh Khasmammadov avait auparavant été convoqué par la police d’Ucar, qui lui avait intimé l’ordre de cesser de publier ce genre d’articles.

Amnesty International estime que les allégations portées à l’encontre Taleh Khasmammadov sont fabriquées de toutes pièces ou largement exagérées, et qu’elles ont été formulées en représailles des informations critiques et accablantes qu’il a diffusées contre la police locale. Amnesty International considère Taleh Khasmammadov comme un prisonnier d’opinion, détenu en raison des enquêtes qu’il a menées et des propos critiques qu’il a formulés, et demande aux autorités azerbaïdjanaises d’abandonner les charges retenues contre lui et de le libérer immédiatement et sans condition.

Le 17 février 2012, Anar Baïramli, correspondant pour la chaîne de télévision iranienne en langue azérie Sahar TV, a été arrêté sur la base d’accusations mensongères de détention de stupéfiant. Cette arrestation est intervenue peu de temps après que les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran se sont détériorées, l’Iran ayant affirmé qu’un scientifique nucléaire iranien avait été assassiné par des agents israéliens opérant en Azerbaïdjan.
Amnesty International estime que les charges retenues contre lui ont été forgées de toutes pièces à titre de représailles pour son travail en tant que journaliste. La chaîne Sahar TV est connue pour ses reportages critiques sur des sujets politiques, sociaux et religieux sensibles en Azerbaïdjan, et elle a récemment été accusée par les autorités de Bakou d’avoir délibérément chercher à déstabiliser le pays. Peu de temps avant son arrestation, Anar Baïramli avait travaillé sur des sujets particulièrement sensibles tels que le traitement réservé par le gouvernement aux groupes chiites conservateurs et la fermeture de mosquées.

Ramin Baïramov, rédacteur en chef du site Internet d’information pro-iranien Islamazeri.com, avait été condamné à 18 mois d’emprisonnement sur la base de fausses accusations d’infractions à la législation sur les stupéfiants et les armes à feu, par mesure de représailles pour avoir accordé un traitement favorable à l’Iran dans ses publications. Il a bénéficié d’une libération anticipée le 17 août 2012 après avoir purgé 13 mois de sa peine. Ramin Baïramov avait été arrêté en août 2011 sur présomption de trahison, d’atteinte à la sécurité nationale et d’incitation au soulèvement populaire ; cependant, aucune charge n’avait été retenue contre lui pour ces accusations. En revanche, il avait par la suite été condamné pour infractions à la législation sur les stupéfiants et les armes à feu. Amnesty International estime que ces charges ont été fabriquées de toutes pièces pour réduire au silence ce journaliste qui travaillait sur des problèmes religieux, et parce que ses propos étaient favorables à l’Iran.

Le défenseur des droits humains Ogtaï Goulaliev a été remis en liberté le 13 juin 2012, après avoir passé près de deux mois en détention. Cependant, il risque toujours jusqu’à trois ans d’emprisonnement s’il est reconnu coupable des accusations mensongères d’hooliganisme portées contre lui.

Ogtaï Goulaliev, coordinateur de l’organisation de la société civile Kur, enquêtait sur des allégations selon lesquelles les autorités locales de Sabirabad avaient saisi des ressources provenant de l’aide humanitaire, à la suite des inondations qui avaient frappé la population locale au printemps 2010. Il a été arrêté par la police le 8 avril 2012 alors qu’il s’entretenait avec des habitants du village de Minbashi qui se plaignaient que des représentants de l’État avaient usurpé l’aide qui leur était destinée. Au début du mois d’avril, les habitants du village avaient dressé un barrage routier en signe de protestation contre ces agissements.

Le lendemain de son arrestation, le tribunal régional de Sabirabad l’inculpait de délits mineurs relevant du hooliganisme, la police ayant déclaré qu’il avait proféré des insultes en public. Il a été condamné à une peine de 12 jours de détention administrative. Le 19 avril 2012, alors qu’il était sur le point d’avoir purgé sa peine, des accusations pénales ont été portées contre lui. Il a été accusé d’« incitation à la violence et de troubles à l’ordre public de grande ampleur » au titre de l’article 220, paragraphe 2 du Code pénal. Ces accusations étaient fondées sur une plainte déposée par le maire d’une municipalité, selon lesquelles Ogtaï Goulaliev avait rassemblé des habitants devant le bâtiment des autorités locales et les avait incités à la révolte Intigam Aliev, avocat chargé du dossier d’Ogtaï Goulaliev, a indiqué à Amnesty International qu’aucune preuve n’attestait que son client avait incité les habitants à protester ou agir de façon violente. En réalité, les trois manifestations dont il est accusé d’être à l’origine se sont déroulées de façon totalement pacifique.

Au cours de l’audience préliminaire, Ogtaï Goulaliev a refusé les services d’un avocat commis d’office, mais sa demande d’être représenté par un avocat de son choix a été rejetée. Il a ainsi été condamné à deux mois de détention préventive en l’absence de toute assistance juridique. D’après Intigam Aliev, Ogtaï Goulaliev a été frappé par la police de la région de Sabirabad le jour de son arrestation, et il a passé la journée sans boire ni manger. Bien qu’une plainte ait été déposée, aucune enquête n’a été ouverte à propos de ces allégations de mauvais traitements.

Amnesty International estime qu’Ogtaï Goulaliev a été pris pour cible en raison de son travail en tant que défenseur des droits humains. L’organisation appelle les autorités azerbaïdjanaises à abandonner immédiatement les poursuites engagées à son encontre.

Mehman Housseïnov, un journaliste et militant âgé de 23 ans, encourt jusqu’à cinq ans de prison pour des accusations d’« hooliganisme » forgées de toutes pièces. Début 2012, au moment où l’Azerbaïdjan se préparait à accueillir l’Eurovision, l’association dont faisait partie Mehman Housseïnov a rencontré la représentante suédoise Loreen (qui finit par remporter le concours), pour l’inciter à dénoncer publiquement les problèmes liés aux droits humains en Azerbaïdjan.

La police affirme que son inculpation est liée à son comportement violent lors d’une manifestation qu’il couvrait en tant que journaliste. Pourtant, des témoins oculaires contredisent ces affirmations. Amnesty International est convaincue que les accusations portées à son encontre visent à le punir d’avoir profité du fait que les projecteurs des médias internationaux étaient braqués sur l’Eurovision pour mettre en lumière les atteintes aux droits humains Azerbaïdjan.

Mehman Housseïnov a été arrêté le 12 juin 2012 et libéré sous caution le lendemain dans la soirée. Son procès est en cours.
Hilal Mammadov, rédacteur en chef d’un journal en langue minoritaire, a été arrêté pour des accusations fallacieuses liées à un infraction à la législation sur les stupéfiants. Il a été interpellé après avoir mis en ligne sur Youtube une vidéo de rap battle en azéri intitulée « Qui es-tu ? Allez, va-t’en ! », qui est devenue un succès sur la toile avant d’être reprise par les militants de l’opposition en Russie pour critiquer le président Poutine.

Des militants locaux des droits humains pensent que l’arrestation de Hilal Mammadov visait notamment à empêcher d’attirer davantage l’attention des médias sur les droits de la minorité talych, que le journaliste s’efforçait de défendre, à la suite de la mise en ligne de la vidéo. Hilal Mammadov a été arrêté sans aucune explication puis conduit à un poste de police, où il a été fouillé. Les policiers affirment avoir trouvé sur lui un petit paquet contenant cinq grammes d’héroïne, ainsi que 20 grammes de la même substance à son domicile.

D’après son avocat, les policiers lui ont montré le paquet en question mais pas son contenu. Il a affirmé à plusieurs reprises que les stupéfiants avaient été placés là à son insu. Lorsque son avocat a tenté de lui rendre visite en détention, l’autorisation lui a été refusée jusqu’au lendemain. L’avocat a indiqué à Amnesty International que son client avait été torturé alors qu’il se trouvait aux mains de la police, montrant comme preuve des photos de ses blessures aux pieds et aux chevilles.

Le 22 juin 2012, un tribunal de Bakou a ordonné que Halal Mammadov soit placé en détention provisoire pour détention de stupéfiants en quantités importantes. S’il est reconnu coupable, il encourt jusqu’à 12 ans d’emprisonnement.

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