Azerbaïdjan. La liberté d’expression battue en brèche

Déclaration publique

EUR 55/006/2006

Amnesty International déplore la grave détérioration du droit à la liberté d’expression en Azerbaïdjan, et, en particulier, le fait que des journalistes aient été victimes de manœuvres d’intimidation, de coups, et d’homicide. Une série d’agressions violentes visant des journalistes, ainsi que l’absence d’enquêtes rigoureuses, efficaces et indépendantes sur celles-ci ont eu un effet désastreux sur la liberté d’expression dans ce pays. Le fait que personne n’ait été déféré à la justice pour ces agissements, et que l’identité des agresseurs soit toujours inconnue dans la plupart des cas contribue à créer un climat d’impunité autour des agressions dirigées contre les journalistes. Dans d’autres cas, des allégations selon lesquelles des membres des forces de l’ordre ont battu ou harcelé des journalistes n’ont pas encore fait l’objet d’enquêtes rigoureuses et indépendantes. Le fait que nombre des victimes entretiennent des rapports étroits avec des partis et journaux d’opposition tend à montrer que ces violations ont une dimension politique, ce qu’Amnesty International trouve extrêmement alarmant.

L’organisation a écrit au président azerbaïdjanais, au ministre de l’Intérieur, au médiateur de la République d’Azerbaïdjan, au syndicat azerbaïdjanais de la presse et au parquet, afin de leur faire part de ses inquiétudes concernant le harcèlement que les membres des forces de l’ordre font subir aux journalistes, en leur rappelant notamment les événements ayant émaillé la campagne législative de 2005, l’homicide d’Elmar Housseïnov en mars 2005, les agressions dont ont été victimes Fikret Housseïnli et Bahaddin Hazïev, ainsi que l’arrestation de Sakit Mirza Zakhidov et les poursuites engagées contre celui-ci.

Parmi les problèmes soulevés par Amnesty International figurent les efforts qu’ont déployés les forces de l’ordre ou les forces de sécurité afin de restreindre la liberté d’expression lors de temps forts politiques, tels que les campagnes électorales. À plusieurs occasions, au cours de la période précédant les élections législatives du 6 novembre 2005, des journalistes couvrant des manifestations et des rassemblements populaires ont été agressés et harcelés alors que leur statut de journalistes ne faisait aucun doute, puisqu’ils portaient des brassards ou des vestes indiquant leur appartenance à la presse. Le fait qu’il soit possible que les autorités municipales n’aient pas autorisé un rassemblement ne peut en aucun cas justifier les manœuvres de harcèlement et coups infligés à des journalistes dans l’exercice de leur profession lors d’événements de ce type.

L’Azerbaïdjan est tenu de promouvoir et protéger le droit à la liberté d’expression, garanti par plusieurs traités internationaux auxquels ce pays est partie, tels que la Convention européenne des droits de l’homme (article 10) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 19). Amnesty International a appelé le gouvernement azerbaïdjanais à condamner publiquement toute atteinte portée aux droits fondamentaux des journalistes, des membres et dirigeants de partis d’opposition, et de toutes les autres personnes exerçant pacifiquement leur droit à la liberté d’expression lors des campagnes électorales ou à tout autre moment.

Amnesty International est également fort préoccupée par l’augmentation des attaques visant les journalistes dont les auteurs n’ont pas été identifiés. Au nombre de celles-ci figurent l’homicide d’Elmar Housseïnov en mars 2005, et les graves agressions dont Fikret Housseïnli et Bahaddin Hazïev ont été victimes en mars et mai 2006 respectivement. Les personnes ayant réchappé à ces violences, leurs collègues et leurs proches estiment que ces attaques sont liées à la couverture par la presse de faits de corruption impliquant de hauts fonctionnaires, révélations ayant fait scandale en Azerbaïdjan. Quelles que soient les raisons de ces agressions et de l’homicide d’Elmar Housseïnov, le fait qu’aucune enquête approfondie et transparente n’ait été menée sur ces affaires a contribué à instaurer un climat d’impunité dans le domaine des agressions contre les journalistes.

Les États parties aux traités internationaux relatifs aux droits humains sont tenus non seulement d’empêcher les violations de ces droits au niveau des institutions publiques et du maintien de l’ordre, mais également de faire preuve de toute la diligence requise en prenant des mesures visant à prévenir les atteintes portées aux droits fondamentaux par des agents non gouvernementaux, et à enquêter sur les éventuelles violations de ce type. Le fait que les cas évoqués plus haut n’aient pas fait l’objet d’enquêtes dignes de ce nom est pour Amnesty International le signe que les autorités azerbaïdjanaises manquent à leur obligation de diligence en ce qui concerne la quête de la justice et les réparations dues aux victimes. En l’absence d’enquêtes et de décisions ouvrant droit à réparation, les agressions prenant pour cibles les journalistes relayant les opinions de l’opposition ou critiquant le gouvernement apparaissent comme des réactions à la publication d’informations critiques sur des questions telles que la corruption et autres abus de pouvoir au sein des institutions gouvernementales, ou des tentatives visant à museler l’opposition lors des campagnes électorales.

Enfin, Amnesty International a fait état de sa préoccupation concernant l’arrestation de Sakit Mirza Zakhidov, satiriste connu, et les poursuites engagées contre celui-ci. Cet homme a été arrêté le 23 juin 2006, puis inculpé de possession de stupéfiants illégaux et d’intention de faire commerce de ceux-ci. Son avocat, qui n’a pas été autorisé à lui rendre visite avant le 29 juin, a déclaré que les stupéfiants avaient été subrepticement placés sur lui lors d’une opération visant à l’incriminer. Les collègues de Sakit Mirza Zakhidov et des défenseurs locaux des droits humains pensent que cette arrestation a été motivée par des considérations d’ordre politique, en rapport avec la nature critique des écrits du satiriste prenant pour cibles des personnalités officielles de premier plan. Ces derniers mois, les militants azerbaïdjanais de défense des droits humains ont été de plus en plus nombreux à évoquer la pratique consistant à placer subrepticement des éléments compromettants sur des victimes visées en raison de leurs convictions politiques. Le cas de Gadir Moussaïev, militant appartenant à un parti d’opposition, condamné à sept années d’emprisonnement pour possession de stupéfiants en mai 2006 en est un exemple (voir la déclaration publique d’Amnesty International EUR 55/002/2006). À l’heure où cette déclaration est rédigée, Sakit Mirza Zakhidov observe une grève de la faim, ce qui rend d’autant plus pressante la nécessité de faire avancer son cas et de confirmer ou d’infirmer, au moyen d’une enquête indépendante, l’allégation selon laquelle des éléments l’incriminant ont été placés sur lui. Amnesty International a demandé aux autorités azerbaïdjanaises de fournir des informations sur les mesures concrètes prises pour faire progresser l’enquête concernant le cas de cet homme.

Amnesty International exhorte les autorités azerbaïdjanaises à faire en sorte que des enquêtes rigoureuses, efficaces et indépendantes soient ouvertes sur tous les cas d’homicide, de coups et blessures et d’autres violations des droits humains dont des journalistes ont été victimes. C’est à la fois urgent et indispensable si l’on souhaite mettre fin au climat d’impunité actuel en ce qui concerne les agressions dirigées contre les journalistes et contre tous ceux et celles qui exercent pacifiquement leur droit à la liberté d’expression.

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