AZERBAIDJAN. Le pays prié de respecter la décision de la CEDH concernant un journaliste emprisonné et d’abandonner les nouvelles poursuites engagées contre lui

ÉFAI-14 mai 2010

Déclaration conjointe d’Amnesty International, ARTICLE 19 et PEN International

Amnesty International, ARTICLE 19 et PEN International demandent au gouvernement azerbaïdjanais d’appliquer le jugement rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de relâcher immédiatement le journaliste azerbaïdjanais Eynoulla Fatoullaïev, actuellement emprisonné.

Ces organisations exhortent également l’Azerbaïdjan à abandonner les nouvelles poursuites engagées contre cet homme en décembre 2009, car elles estiment que les charges sur lesquelles ces poursuites se fondent ont été forgées de toutes pièces dans le but de museler le journalisme d’investigation, qui se montre critique à l’égard du gouvernement.

Le 14 mai, malgré les pressions internationales, le procès d’Eynoulla Fatoullaïev a repris au tribunal du district de Garadag, en Azerbaïdjan. Il a été inculpé, le 30 décembre 2009, parce que des gardiens avaient trouvé 0,22 gramme d’héroïne dans sa cellule la veille. Disant avoir agi sur dénonciation anonyme, ces gardiens ont fouillé Eynoulla Fatoullaïev et affirment avoir découvert de l’héroïne dans la manche de sa chemise et dans ses chaussures. On lui a fait une prise de sang le jour-même afin de déterminer si des drogues étaient présentes dans son organisme. Eynoulla Fatoullaïev nie catégoriquement l’accusation de détention de stupéfiants.

Le 2 février, les autorités ont rendu public le résultat de l’examen de sang, mais pas l’analyse détaillée. Selon elles, de faibles traces de métabolites trahissant la consommation d’héroïne ont été trouvées dans son sang, mais pas en quantité suffisante pour démontrer qu’il devait entamer une cure de désintoxication. Les autorités ont refusé qu’un examen sanguin soit réalisé par un laboratoire indépendant, malgré les nombreuses requêtes en ce sens formulées par Eynoulla Fatoullaïev et ses avocats.

Eynoulla Fatoulaïev, qui n’a aucun antécédent connu de consommation de stupéfiants, a rejeté avec force les nouvelles allégations lors de l’audience du 14 mai. Il soutient que l’héroïne a été placée sur lui subrepticement. Lors du contre-interrogatoire mené par la défense, le gardien disant avoir découvert l’héroïne a déclaré n’avoir fouillé que la manche et les chaussures du prisonnier, où la drogue a été trouvée, mais ni le reste des vêtements d’Eynoulla Fatoullaïev ni sa cellule. Des incohérences ont en outre été mises en évidence dans les témoignages des deux gardiens interrogés. L’un d’entre eux a dit que la dénonciation anonyme provenait d’une seule source, tandis que l’autre a affirmé qu’il y en avait eu deux. Aucun des deux gardiens n’a reporté cette dénonciation dans les registres, ni ouvert d’enquête sur celle-ci avant de fouiller Eynoulla Fatoullaïev, ce qui est contraire au droit azerbaïdjanais.

Lors de l’audience du 14 mai, un témoin de l’accusation, un prisonnier détenu avec Eynoulla Fatoullaïev, a affirmé que ce dernier avait trouvé la drogue dans un conteneur à ordures puis l’avait cachée dans ses chaussures.

Cela contredit une déclaration précédente d’un des gardiens, qui a soutenu que l’héroïne avait été lancée par-dessus le mur de la prison depuis l’extérieur, bien que cette prison soit très surveillée et qualifiée d’« impénétrable » par les avocats de la défense.

Miklos Haraszti, ancien représentant pour la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, a déclaré qu’il « [a] rendu visite à Eynoulla Fatoullaïev à deux reprises dans cette prison de haute sécurité et trouve les allégations d’entrée clandestine ou de détention d’une telle substance dans ce lieu hautement improbables. »

Ce procès continue en dépit de l’arrêt rendu le mois dernier par la CEDH, qui a estimé que le procès d’avril 2007 était inique. Après avoir écrit une série d’articles critiques à l’égard du gouvernement, Eynoulla Fatoullaïev a été déclaré coupable de diffamation, de terrorisme, d’incitation à la haine à l’égard d’une ethnie et d’évasion fiscale, et condamné à huit ans et demi de prison en tout. La CEDH a conclu qu’étant donné qu’il avait été accusé, déclaré coupable et emprisonné pour avoir fait l’exercice de son droit à la liberté d’expression, il devait être immédiatement remis en liberté.

Le jugement de la CEDH dresse la liste des mesures prises contre Eynoulla Fatoullaïev pour les critiques qu’il a ouvertement formulées à l’égard du gouvernement azerbaïdjanais. Nous pensons que ces nouvelles accusations en relation avec les stupéfiants s’inscrivent dans la campagne de dénigrement visant le journaliste. S’il était reconnu coupable des faits reprochés, Eynoulla Fatoullaïev pourrait être maintenu en détention pour trois années supplémentaires.

Faisant part à la presse de ses impressions sur l’arrêt rendu par la CEDH, Ali Seyfaliyev, un juge de la Cour suprême azerbaïdjanaise, a déclaré que la demande de la CEDH en faveur de la libération d’Eynoulla Fatoullaïev allait à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme, de la pratique de la Cour et du droit azerbaïdjanais. Cependant, Amnesty International, ARTICLE 19, Index on Censorship et PEN International considèrent que la déclaration du juge Seyfaliyev sur cet arrêt ne concorde pas avec la pratique de plus en plus courante pour la CEDH de signaler quelles mesures un État doit prendre afin de remédier aux atteintes à la Convention qu’elle recense.

En sa qualité d’État partie à la Convention européenne des droits de l’homme, l’Azerbaïdjan s’est engagé à respecter les jugements définitifs de la CEDH, pour ce cas et pour tous les autres le concernant, en vertu de l’article 46 de la Convention.

L’Azerbaïdjan a trois mois pour contester le jugement de la CEDH en formant une requête pour que l’affaire soit renvoyée devant la Grande Chambre, sans quoi il deviendra définitif. La réaction de l’Azerbaïdjan vis-à-vis du jugement définitif de la Cour révèlera son degré d’attachement au respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Si le droit ou les pratiques en cours en Azerbaïdjan doivent être modifiés pour cela, qu’il en soit ainsi. Il en va du respect des droits fondamentaux d’Eynoulla Fatoullaïev et de la Convention européenne des droits de l’homme.

Amnesty International
ARTICLE 19
PEN International

Complément d’information

Eynoulla Fatoullaïev a été déclaré coupable de diffamation après avoir affirmé que des fonctionnaires azerbaïdjanais étaient impliqués dans le meurtre du rédacteur en chef indépendant Elmar Housseïnov. L’accusation de diffamation était en rapport avec deux articles contestant le bilan officiel du massacre de civils azerbaïdjanais perpétré dans la ville de Khojaly en 1992 durant le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans la région du Haut-Karabakh.

Il a par la suite été déclaré coupable d’infractions liées au terrorisme après la publication d’un article sur les éventuelles conséquences sur l’Azerbaïdjan d’un conflit entre les États-Unis et l’Iran, les autorités azerbaïdjanaises ayant considéré qu’il s’agissait de menaces terroristes. L’article en question critiquait des décisions en matière de politique étrangère prises par le gouvernement azerbaïdjanais.

En septembre 2009, alors que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait commencé à examiner son cas, Eynoulla Fatoullaïev a été accusé de possession d’héroïne. Amnesty International estime que cette nouvelle accusation a été inventée dans le but de le maintenir en prison dans le cas où la CEDH jugerait qu’il a été emprisonné à tort à l’issue de la première procédure.

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