Communiqué de presse

Bahreïn. Après un an, le respect de l’obligation de rendre des comptes reste une aspiration lointaine

Le gouvernement de Bahreïn est encore loin d’avoir accompli les changements recommandés par une commission internationale indépendante sur le plan des droits humains, a déclaré Amnesty International lundi 13 février.

L’organisation a averti que le gouvernement risquait de ne pas respecter le délai qu’il s’était imposé lui-même, à savoir fin février, pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn.

Elle l’a appelé à libérer tous les prisonniers condamnés ou détenus uniquement pour avoir mené des manifestations ou pour y avoir participé pacifiquement, ainsi qu’à amener tous les responsables présumés des violations flagrantes des droits humains commises l’an dernier à rendre compte de leurs actes.

Alors que les manifestants bahreïnites se préparent à commémorer le premier anniversaire du début des manifestations antigouvernementales de grande ampleur, l’organisation a par ailleurs sommé les autorités du pays de ne pas faire usage d’une force excessive contre eux.

« Malgré les promesses faites par le gouvernement, les victimes et proches de victimes des graves atteintes aux droits humains – torture, détention arbitraire et recours excessif à la force – qui ont eu lieu depuis le début des manifestations il y a un an attendent toujours d’obtenir justice, a déploré Hassiba Hadj-Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Le gouvernement a formulé un certain nombre d’annonces concernant ce qu’il a fait pour améliorer la situation des droits humains, mais en réalité, il n’a toujours pas tenu ses engagements dans les domaines les plus importants.

« Ce n’est que quand nous verrons les prisonniers d’opinion libérés et les auteurs présumés des violations, y compris ceux qui ont donné les ordres, traduits en justice que nous pourrons juger si cela représente plus qu’un exercice de communication. »

Au moins 35 personnes ont trouvé la mort au cours des manifestations de février et mars 2011, dont cinq membres des forces de sécurité et trois travailleurs migrants. Une vingtaine d’autres sont mortes depuis dans le cadre des manifestations qui se poursuivent et du recours excessif à la force par les forces de sécurité.

Amnesty International a indiqué que, depuis la fin juin 2011, le gouvernement avait pris certaines mesures positives, bien que limitées, notamment les suivantes : la levée de l’état d’urgence ; la mise en place d’une commission d’enquête indépendante composée de cinq experts internationaux ; la libération de certains détenus ; le transfert de tous les procès des juridictions militaires aux tribunaux civils ; et la réintégration de centaines de travailleurs licenciés.

Le 23 novembre, la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn a présenté son rapport au roi et émis des recommandations pratiques et législatives détaillées. Ce document confirmait que des violations flagrantes des droits humains avaient été commises.

Le roi a accepté les conclusions du rapport et nommé une commission nationale de 19 personnes, composée principalement de partisans du gouvernement, pour suivre le processus d’application.

Cependant, les Bahreïnites se plaignent que ce processus est très lent et n’aborde pas les questions les plus importantes.

Au début de l’année 2012, le gouvernement a affirmé que 48 membres des forces de sécurité faisaient l’objet d’une enquête sur leur rôle dans la répression des manifestations. Jusqu’à présent, seuls huit policiers, cinq Pakistanais, un ressortissant yéménite et deux Bahreïnites, semblent avoir été jugés pour des violations des droits humains.

Très peu d’informations ont été rendues publiques quant à la manière dont se sont déroulées ces enquêtes et à leur mandat.

Le 2 février, le ministre de l’Intérieur a déclaré que la plupart des recommandations concernant son ministère avaient été mises en œuvre et qu’il avait transféré toutes les affaires comportant des allégations de torture et d’autres violations formulées à l’encontre de la police entre les mains du parquet pour qu’il procède à des enquêtes et d’éventuelles poursuites.

« Les promesses qu’a faites le gouvernement de mettre en œuvre toutes les recommandations de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn resteront vides de sens si les enquêtes annoncées sur les violations commises par les autorités demeurent entourées de secret », a souligné Hassiba Hadj-Sahraoui.

Des cas de torture et d’autres mauvais traitements continuent d’être signalés. Hassan Oun, un étudiant âgé de 18 ans, a été arrêté le 3 janvier 2012 dans un garage à Arad. Un représentant du parquet a ordonné son placement en détention pendant 45 jours dans l’attente d’une enquête. Il a indiqué à son avocat que, durant sa garde à vue à un poste de police, il avait été contraint à se tenir debout pendant 11 heures environ, frappé aux pieds au moyen d’un tuyau et menacé de viol.

Selon des syndicalistes bahreïnites, plus de 1 000 personnes démises de leurs fonctions au cours des troubles n’ont toujours pas été réintégrées.

Parmi celles qui ont été autorisées à reprendre leur travail, beaucoup ont dû signer des déclarations attestant qu’elles ne manifesteraient plus et ont été soumises à des pressions visant à les faire abandonner toute activité syndicale, en plus de devoir parfois accepter un autre poste que celui qu’elles occupaient à l’origine.

Les forces de sécurité ont continué d’avoir recours à une force excessive face aux manifestants. En particulier, plusieurs d’entre eux sont morts depuis la fin novembre en conséquence directe ou indirecte d’une utilisation inadaptée des gaz lacrymogènes. Ces derniers sont utilisés même à l’intérieur des logements, lorsque les forces de sécurité pénètrent au domicile de suspects.

Sayyed Hashem Saeed, 15 ans, a été tué lorsqu’une grenade lacrymogène tirée depuis une faible distance l’a touché, alors que les forces de sécurité réagissait à une action de protestation à Sitra, au sud de Manama, le 31 décembre 2011. Les forces de sécurité ont ensuite encore utilisé du gaz lacrymogène lors de son enterrement afin de disperser les personnes portant son deuil.

Manifestations anniversaires

Des milliers de personnes, membres pour la plupart de la communauté chiite (majoritaire dans le pays), vont probablement défier les autorités en prenant part à des manifestations marquant le premier anniversaire du 14 février 2011.

Il est à craindre que des violences n’éclatent entre les manifestants et les forces de sécurité, qui ont généralement recours à une force excessive pour réprimer les protestations. Ces dernières semaines, les manifestations de faible ampleur organisées dans des villages chiites et à la périphérie de Manama se sont de plus en plus souvent terminées dans la violence, les forces de sécurité et les manifestant s’accusant mutuellement.

Outre l’usage d’une force excessive par les forces de sécurité, on a constaté que des groupes de jeunes Bahreïnites masqués attaquaient celles-ci, notamment avec des cocktails Molotov, bloquaient des routes et brûlaient des pneus.

Amnesty International a engagé les autorités de Bahreïn à permettre que des manifestations pacifiques aient lieu le 14 février.

L’organisation reconnaît qu’elles ont le devoir d’assurer la sécurité publique et de maintenir l’ordre, y compris en ayant recours à la force lorsque celle-ci est absolument nécessaire, justifiée et proportionnée. Cependant, il est important qu’elles respectent ce faisant les limites imposées par le droit international et les normes internationales en la matière.

Elle leur a en outre demandé de lever toutes les restrictions appliquées aux déplacements des journalistes étrangers et des organisations internationales de défense des droits humains.

Plusieurs journalistes et défenseurs des droits humains se sont vu refuser l’entrée sur le territoire à l’aéroport international de Bahreïn et d’autres n’ont pas pu obtenir de visa de visite. De nombreux journalistes prévoyaient de se rendre à Bahreïn pour couvrir l’anniversaire du 14 février.

Amnesty International a précisé qu’elle craignait que le gouvernement ne veuille éviter l’attention internationale étant donné que des manifestations de grande ampleur sont attendues.

Complément d’information : les droits humains à Bahreïn en 2011

En février et mars 2011, plusieurs dizaines de milliers de Bahreïnites, chiites pour la plupart, ont manifesté contre le gouvernement en réclamant des réformes politiques, de la justice sociale et la fin de la discrimination qu’ils estimaient subir de la part des autorités.

Utilisation excessive de la force

Entre le 14 et le 21 février, sept manifestants sont morts à la suite d’un recours excessif à la force, notamment à des tirs de balles en caoutchouc, de cartouches de fusils et d’autres munitions. À la mi-mars, l’état d’urgence a été décrété, un jour après que des soldats saoudiens eurent été envoyés à Manama pour aider les forces gouvernementales.


Arrestations, détention et torture

Au cours des jours et des semaines qui ont suivi, des centaines de militants, notamment des dirigeants de l’opposition, des professionnels de santé, des enseignants, des journalistes et des étudiants, ont fait l’objet d’un coup de filet et ont été placés en détention. La plupart ont été arrêtés à l’aube sans mandat et détenus au secret dans des postes de police ou dans les locaux de la Direction des enquêtes criminelles à Manama, la capitale. Beaucoup ont affirmé avoir été torturés ou maltraités durant cette période lorsqu’ils étaient interrogés. Ils ont été forcés à signer des « aveux » qui ont été retenus contre eux au tribunal.

Procès militaires iniques

De très nombreuses personnes ont été jugées par le Tribunal de première instance pour la sûreté nationale, une juridiction militaire créée par la législation d’urgence, et condamnées à des peines de prison allant jusqu’à la perpétuité à l’issue de procès contraires aux règles d’équité les plus élémentaires.


Licenciements

Plus de 4 000 personnes, dont des enseignants, des étudiants et des infirmiers, ont été renvoyés de leur poste ou de leur université en raison de leur participation active à des manifestations antigouvernementales.


Démolition de bâtiments religieux

Au moins 30 centres de prière chiites ont été démolis à la suite des manifestations en février et mars, sous prétexte qu’ils avaient été construits illégalement. Amnesty International considère que cette pratique constitue une forme de sanction collective.


Procès de dirigeants de l’opposition

Abdelhadi al Khawaja, défenseur des droits humains et militant de l’opposition bien connu, figurait parmi 14 éminents dirigeants de l’opposition arrêtés, jugés et condamnés pour des chefs d’accusation comprenant le fait d’avoir appelé à la fin de la monarchie et à son remplacement par un système républicain. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité et aurait été torturé si violemment qu’il a dû subir une intervention chirurgicale à la mâchoire. Lors du procès de ces 14 personnes, le parquet militaire n’a présenté aucun élément montrant qu’elles avaient eu recours à la violence ou prôné son usage. Amnesty International demande leur libération car elle les considère comme des prisonniers d’opinion s’ils ont été jugés uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et de réunion.

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