Bahreïn. L’équité des procès et la liberté d’expression doivent être garanties

Amnesty International a effectué à Bahreïn fin octobre 2010 une visite d’établissement des faits destinée à mettre à jour les informations dont elle dispose sur la situation des droits humains dans ce pays, mener des entretiens avec des responsables du gouvernement, rencontrer des militants de la société civile et enquêter sur les récentes atteintes aux droits humains qui lui ont été signalées.

Au cours de cette visite, Amnesty International a pu rencontrer de hauts responsables gouvernementaux, notamment les ministres de l’Intérieur, de la justice, de l’information, des Affaires étrangères et du développement social, ainsi que d’autres hauts fonctionnaires, parmi lesquels le procureur général. Tous les représentants du gouvernement rencontrés par l’organisation ont insisté sur leur désir de coopérer avec Amnesty International et affirmé leur volonté d’examiner les questions relatives aux droits humains soulevées par l’organisation. Amnesty International a pu rencontrer également les familles et avocats de détenus, des militants des droits humains, des journalistes et autres représentants de la société civile.

Le 28 octobre, les délégués d’Amnesty International ont assisté à l’audience d’ouverture du procès, devant la Haute Cour criminelle de Manama, de 23 membres de la communauté chiite arrêtés en août et septembre et accusés d’avoir été parties prenantes à la création et au financement d’un groupe ayant pour objectif de renverser le gouvernement et d’abroger la constitution en utilisant le « terrorisme » comme l’un des moyens d’arriver à ses fins. Deux autres hommes, inculpés dans la même affaire mais résidant en dehors de Bahreïn, sont jugés par contumace.

La visite d’Amnesty International a coïncidé avec la tenue de nouvelles élections nationales le 23 octobre et s’est déroulée dans un contexte d’agitation sociale et alors que des affrontements venaient d’opposer les forces de sécurité aux manifestants, des jeunes de la communauté chiite pour la plupart qui se plaignent de faire l’objet de discrimination de la part du gouvernement. Cette atmosphère de tension de plus en plus perceptible menace les améliorations significatives constatées au cours des années qui ont immédiatement suivi l’accession au trône du roi Hamad bin Issa al Khalifa en 1999. Au cours de ces derniers mois, des dizaines de personnes ont été arrêtées et poursuivies pour leur participation à des manifestations avec violences ; la plupart d’entre elles ont été graciées et libérées, mais d’autres sont toujours en prison et doivent passer en jugement ou sont en attente de leur procès.

Arrestation, détention et procès de militants de l’opposition

L’un des principaux objectifs de la visite d’Amnesty International était de faire le point sur la situation des 23 militants de l’opposition arrêtés en août et septembre et qui sont aujourd’hui inculpés au titre de la loi anti-terrorisme entrée en vigueur en 2006. Parmi les accusations dont ils ont à répondre figure celle de création et financement d’un groupe dans le but de renverser le gouvernement, d’abroger la Constitution et de détruire l’unité nationale par le « terrorisme » et d’autres moyens. Abdel Jalil al Singace, l’un des dirigeants du parti politique d’opposition non autorisé al Haq figure parmi les 23 accusés, ainsi que plusieurs personnes ayant des liens avec al Haq, notamment des religieux et des fonctionnaires. Deux autres militants de l’opposition résidant au Royaume-Uni ont également à répondre des mêmes chefs d’inculpation et sont jugés par contumace.

La plupart des 23 accusés ont été arrêtés lors de descentes de police, effectuées avant l’aube à leurs domiciles respectifs avec la participation de représentants de l’Agence pour la sécurité nationale (NSA) qui ont perquisitionné les habitations au moment des arrestations ou ultérieurement et emmené certains objets tels que des ordinateurs portables, des CD et des téléphones portables. Dans plusieurs cas, les fonctionnaires ayant procédé aux arrestations auraient omis ou refusé de montrer des mandats d’arrêt, en violation de la loi bahreïnite.

Les personnes arrêtées ont d’abord été détenues au secret pendant environ deux semaines au cours desquelles ni leurs familles ni leurs avocats n’ont été informés de leur sort et n’ont pu les contacter. Leur détention s’inscrivait dans le cadre de la loi anti-terrorisme de 2006 qui permet de maintenir un suspect en détention pour interrogatoire pendant une période pouvant aller jusqu’à 15 jours avant sa présentation au parquet, soit beaucoup plus longtemps qu’un suspect détenu en vertu du Code pénal dont la présentation au parquet doit se faire dans les 48 heures suivant son arrestation, selon le Code de procédure pénale.

Selon leurs avocats et les membres de leurs familles, les détenus qui ont comparu devant le procureur général à la fin du mois d’août et en septembre ont pour la plupart nié les accusations proférées à leur encontre. Certains ont déclaré au procureur général avoir été torturés et victimes de mauvais traitements aux mains d’agents de la NSA qui voulaient les forcer à signer des « aveux ». Un examen médical a alors été demandé par le procureur général pour plusieurs d’entre eux. La possibilité de consulter leurs avocats a continué à être refusée aux détenus après leur comparution devant le procureur général ; les autorités ont déclaré à Amnesty International que la loi anti-terrorisme de 2006 ne prévoit rien concernant la possibilité de consulter un avocat pour les personnes détenues au titre de cette loi, n’interdisant rien mais ne prévoyant rien non plus. Toutefois, le droit de toute personne à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix est un élément essentiel du droit à un procès équitable tel que défini dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel le Bahreïn est État partie et dans la Constitution de Bahreïn (article 20). Les détenus sont autorisés depuis fin septembre à recevoir une visite hebdomadaire de leurs familles.

Amnesty International a assisté en tant qu’observateur à l’audience d’ouverture du procès devant la Haute Cour criminelle de Manama le 28 octobre, procès ajourné ensuite au 11 novembre. Étaient présents des diplomates de plusieurs ambassades étrangères, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France notamment, ainsi que des membres de l’Institution nationale des droits humains de Bahreïn. En dépit d’importantes mesures de sécurité dans et autour du tribunal, des proches des accusés ont pu y assister et des médias étaient présents. Les accusés ont tous nié les accusations à leur encontre après que lecture en ait été donnée et, pour la majorité d’entre eux ont déclaré à la Cour avoir été torturés et victimes de mauvais traitements lors de leur détention avant le procès. Plusieurs ont déclaré que des responsables de la sécurité les avaient menacés la veille du procès de les placer à l’isolement s’ils se plaignaient devant le tribunal d’avoir été maltraités. En dépit de ces menaces, Abdel Jalil al Singace a déclaré que lors de sa détention au secret il avait été contraint de rester debout pendant de longs moments bien qu’il souffre de paralysie à une jambe, qu’il avait été privé de ses médicaments et n’avait pas été autorisé à avoir ses lunettes. Mohammad al Saffar a déclaré à la Cour qu’il avait été privé de sommeil pendant trois jours, frappé à coups de poing et laissé suspendu en l’air « comme un oiseau ».

Le juge a refusé de remettre les détenus en liberté sous caution mais donné son assentiment à une requête de la défense qui avait demandé leur transfert à la prison Dry-Dock de Manama afin de les protéger de possibles mauvais traitements de la part des agents des forces de sécurité qui les auraient menacés ; actuellement ils sont toujours à la prison Dry-Dock mais ont été changés de quartiers le 5 novembre et ne sont plus à l’isolement.

Le juge a également accepté que quatre des accusés soient examinés par un médecin et a ordonné que les accusés puissent consulter régulièrement leurs avocats. Suite à cette décision, les accusés ont pu rencontrer leurs avocats en privé le 6 novembre, mais seulement pendant quelques minutes. Ils ont également eu l’autorisation de recevoir de brèves visites de leurs familles. Selon les avocats de la défense toutefois, plusieurs des accusés auraient affirmé le 6 novembre avoir été à nouveau agressés en détention par des hommes de la sécurité depuis leur comparution devant la Cour le 28 octobre, faisant naître de nouvelles craintes pour leur sécurité.

Lors de ses rencontres avec des ministres du gouvernement bahreïnite fin octobre, Amnesty International a demandé avec insistance qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée dans les meilleurs délais sur les allégations de torture et autres mauvais traitements signalés par les accusés lors de leur procès et à nouveau le 6 novembre, en vue d’établir leur véracité ; si les faits sont avérés, les auteurs de ces violences devront être traduits en justice. Amnesty International a également instamment demandé au procureur général de veiller à ce qu’aucune déclaration ou autre information obtenue sous la torture ou par la contrainte ne soit retenue comme preuve contre les accusés à leur procès.

Amnesty International demande également instamment au gouvernement de veiller à ce que les accusés soient protégés de tout acte de torture, de mauvais traitements ou de représailles en ordonnant, s’il le faut, leur transfert dans un autre centre de détention comme ordonné par le juge de première instance et en veillant à ce qu’ils puissent régulièrement consulter leurs avocats et contacter leurs familles. Les accusés doivent se voir accorder des moyens suffisants pour préparer leur défense ; ils doivent notamment pouvoir consulter régulièrement leurs avocats en privé.

Ingérence du gouvernement dans les organisations de défense des droits humains

Amnesty International a également fait part de ses préoccupations au ministre du développement social à propos de sa décision, annoncée le 7 septembre, de suspendre les membres du comité directeur de l’Association bahreïnite des droits humains (BHRS), organisation non gouvernementale (ONG) indépendante officiellement enregistrée, pour de présumées « irrégularités juridiques et administratives » et pour avoir enfreint la Loi 21 de 1989 réglementant les activités des ONG. La ministre accuse le BHRS d’avoir coopéré avec des « organisations illégales », publié des informations au sujet de cette coopération sur son site web et de ne se préoccuper que « d’une catégorie de Bahreïnites » - référence semble-t-il aux membres de la communauté chiite arrêtés – au lieu de rendre compte de manière impartiale de ce que vivent tous les groupes de la société.

La ministre a nommé un fonctionnaire du ministère du développement social « administrateur provisoire » du BHRS après la suspension du comité directeur.

Le ministère avait engagé des poursuites contre le BHRS avant de renoncer quelques jours plus tard à intenter une action en justice, le BHRS ayant fait appel de la décision du gouvernement de suspendre son comité directeur, appel qui ne sera pas examiné avant janvier 2011.

Lors de sa rencontre avec Amnesty International, la ministre du développement social a insisté sur le fait que par ses actes, le BHRS avait violé la Loi 21 de 1989 et que deux autres ONG, le Centre bahreïnite des droits de la personne et la Société des jeunes de Bahreïn pour les droits de la personne avaient été interdites plusieurs années auparavant également pour avoir enfreint la Loi 21. Elle a déclaré qu’entre autres violations, le BHRS avait organisé un séminaire à Bahreïn pour les défenseurs saoudiens des droits humains mais avait omis d’en informer son ministère, si bien qu’un des Saoudiens avait été arrêté et détenu quelque temps à l’aéroport international de Bahreïn. Le gouvernement, a-t-elle déclaré, a le devoir de faire respecter la Loi 21 de 1989, même s’il reconnaît que cette loi n’est pas parfaite et a besoin d’être modifiée. Elle a confirmé à Amnesty International qu’une nouvelle loi concernant les ONG était en préparation et devrait être soumise au gouvernement puis au parlement dans les mois à venir.

Amnesty International a instamment demandé à la ministre de s’assurer que la nouvelle loi soit pleinement conforme au droit international relatif aux droits humains et respecte notamment les obligations incombant au Bahreïn en tant qu’État partie au PIDCP. Les ONG doivent avoir la possibilité d’agir librement et ouvertement, sans avoir à craindre d’ingérence gouvernementale dans l’exercice légitime de leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion.

La liberté d’expression en danger

Amnesty International s’est également inquiétée de la récente fermeture, par le gouvernement, de plusieurs sites web et parutions d’associations politiques officiellement autorisées, sur la base d’accusations vagues d’atteinte à l’unité nationale et d’incitation à la discorde à Bahreïn. Le 13 septembre 2010 par exemple, un responsable a annoncé que deux sites de discussion sur le web, Bahrain Forum et Arabian Kingdom of Bahrain Forum avaient été bloqués pour avoir autorisé des commentaires considérés par le gouvernement comme susceptibles de « compromettre l’unité nationale et d’alimenter la discorde » et de « promouvoir la sédition et provoquer des dissensions dans la société ». Un peu plus tôt c’était le site web de l’Association islamique al Wifaq qui avait été bloqué, avant l’interdiction, le 30 septembre, des bulletins de deux autres associations politiques, la Société d’action islamique et la Société progressive démocratique al Minbar et le retrait de leur autorisation de publication.

Le 26 août, le procureur général avait également interdit aux médias de communiquer sur les 23 militants de la communauté chiite arrêtés.

Lors d’une rencontre avec Amnesty International, le président de l’Agence de l’Information du Bahreïn a déclaré que les interdictions de parution des bulletins d’associations politiques avaient été imposées parce que celles-ci avaient enfreint la loi en diffusant des informations à des personnes autres que leurs propres membres. La loi autorise les associations politiques à publier des bulletins à condition qu’ils soient destinées à leurs seuls membres.

De telles restrictions, a fait remarquer Amnesty International, restreignent gravement le droit à la liberté d’expression garanti dans les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Bahreïn est État partie, comme le PIDCP dont l’article 19 établit : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. »

Amnesty International demande instamment au gouvernement bahreïnite de lever les restrictions imposées aux sites web des associations politiques et de rétablir les autorisations de publication des associations, de leur permettre de distribuer des informations librement conformément au droit international relatif aux droits humains.Les associations politiques doivent avoir le droit de faire circuler des informations librement, y compris au grand public et les lois relatives au droit de publication et aux associations politiques doivent être révisées et modifiées de façon à être pleinement conformes aux obligations de Bahreïn au regard du droit international relatif aux droits humains.

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