Le Bangladesh adopte une loi décisive interdisant la torture

Le 24 octobre, le Parlement du Bangladesh a adopté une loi qui érige en infraction la torture et les décès en détention. Si le texte de loi peut s’aligner davantage encore sur la Convention de la torture, il n’en constitue pas moins une avancée dans la lutte contre la torture au Bangladesh, où les cas de torture et de décès en détention aux mains des policiers sont monnaie courante.

Saber Hossain Chowdhury est un député qui se bat pour cette loi depuis près de 10 ans. Amnesty International l’a reconnu comme prisonnier d’opinion en 2002, lorsqu’il a été arrêté pour ses activités politiques ; il a alors été victime et témoin direct du traitement réservé aux personnes placées en détention.

Quelle a été la motivation de votre mobilisation en faveur de cette loi ?

Cela remonte en fait à 2002, lorsque j’ai été arrêté et soumis à des périodes de liberté provisoire. Ils cherchaient à me détruire, mentalement et physiquement, mais je me suis accroché par défi et j’ai refusé de capituler.

Ma propre expérience de la détention fut une révélation. J’ai été exposé aux horreurs que vivent de nombreuses personnes au Bangladesh. Par exemple, un journaliste impliqué à tort dans mon affaire a été victime de graves tortures en détention. On lui a appliqué un pistolet sur la tempe et il a été si violemment battu qu’il n’a pratiquement pas pu marcher pendant des semaines du fait de ses blessures. J’ai parlé à d’autres prisonniers qui avaient été soumis à la torture dans le but de leur extorquer des « aveux » et j’ai compris à quel point notre système judiciaire était inique et défaillant.

Fort heureusement, Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains se sont intéressées à mon cas et j’ai fini par être remis en liberté lorsque la Haute Cour a déclaré ma détention illégale.

En raison de mon profil et de mon identité politiques, mon affaire a bénéficié d’un retentissement national et international. Mais qu’en est-il des milliers de citoyens ordinaires victimes d’actes terribles et déshumanisants qui ne sont ni signalés ni examinés, jour après jour ?

Dans ma situation, j’avais deux choix : opter pour une revanche personnelle une fois la situation politique inversée, ou tenter de faire évoluer le système afin que personne n’ait à endurer ce que j’avais traversé. Aussi, tout de suite après ma libération fin 2002, j’ai commencé à faire des recherches et à étudier la possibilité d’une loi qui garantirait une protection contre la torture et les décès en détention.

Comment la loi a-t-elle vu le jour ? A-t-elle été obtenue de haute lutte ?

Lorsque j’ai été réélu au Parlement en 2008, l’une de mes premières tâches fut de présenter un projet de loi interdisant la torture et les décès en détention. J’ai reçu le soutien et les encouragements de nombreux organes internationaux relatifs aux droits humains au Bangladesh et à l’étranger, mais la rédaction de ce texte de loi fut un défi de taille.

Tout d’abord, la plupart des gens au Bangladesh envisageaient la torture en détention comme étant la norme et semblaient résignés à ce statu quo. Ils étaient convaincus qu’il n’y avait pas grand-chose à faire, étant donné que le parti au pouvoir, quel qu’il soit, considérait la torture comme un outil indispensable contre ses opposants politiques. L’accès à la justice demeurant un problème majeur au Bangladesh pour le citoyen lambda, le défi consistait à dépolitiser la question et à recentrer le débat sur les droits des citoyens inscrits dans notre Constitution. Comment, par exemple, mettre en œuvre l’état de droit et la démocratie au Bangladesh s’il est possible de torturer des citoyens pour leur extorquer des « aveux » ?

J’ai bénéficié d’un fort soutien de la part des médias locaux, d’organisations bangladaises et internationales de défense des droits humains et, surtout, j’avais une assise politique et parlementaire. Lorsque mon projet de loi a été inscrit à l’ordre du jour et présenté pour être débattu devant un comité, le soutien et la dynamique s’en sont trouvés renforcés. Le 24 octobre, il a été promulgué et a reçu l’assentiment du président dans la foulée.

Quels sont les enjeux aujourd’hui ?

Une loi ne vaut que par l’étendue de son application. C’est là que réside la difficulté et la première étape consiste à établir une feuille de route. Il est nécessaire de faire un travail de sensibilisation à tous les niveaux – la population doit savoir qu’elle bénéficie désormais de cette protection légale contre la torture et peut demander que les responsables rendent des comptes et que justice soit faite, les magistrats doivent être informés, les avocats formés et les responsables de l’application des lois doivent être mis au fait de leurs responsabilités. La tâche est gigantesque.

L’enjeu est de taille, mais ce seul texte de loi a le potentiel de transformer le Bangladesh et d’en faire un pays plus sûr et meilleur. Maintenant qu’il est en vigueur, se présente l’occasion unique d’institutionnaliser la primauté du droit.

J’espère aussi que cette loi fera boule de neige au niveau régional. Le Bangladesh a ouvert la voie sur cette question et, avec un peu de chance, cela inspirera d’autres États de l’Asie du Sud-Est confrontés à des difficultés similaires. Les militants dans ces pays ont d’ores et déjà pris contact avec moi.

La peine maximale encourue en cas de violation de cette loi est la détention à perpétuité. Amnesty International se réjouit de ce que la peine de mort soit écartée. Ce choix a-t-il été fait sciemment ?

Oui, sans aucun doute. Comme il s’agissait d’une proposition de loi, émanant de l’initiative parlementaire, j’avais toute latitude pour faire valoir mes convictions personnelles. Chaque vie humaine est sacrée et je ne souscris pas à l’opinion selon laquelle l’État a le droit d’ôter la vie à des citoyens. Lorsqu’il le fait, il nie tous les droits fondamentaux que nous défendons et pour lesquels nous nous battons. Aussi je considère cette loi comme progressiste, bien qu’elle aille à l’encontre de la jurisprudence qui prévaut au Bangladesh s’agissant de la peine de mort.

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