Environ 2 000 procédures ont été engagées au titre de cette loi depuis son adoption le 8 octobre 2018, selon les données du tribunal spécialisé dans la cybercriminalité mis en place par le gouvernement. Plus de 800 d’entre elles l’ont été au cours des neuf premiers mois de 2020. Un grand nombre de rédacteurs en chef et de journalistes chevronnés parmi les plus en vue du pays sont la cible d’attaques croissantes.
« Depuis son entrée en vigueur, la Loi sur la sécurité numérique a été utilisée comme arme pour faire taire les critiques et réprimer l’opposition. Les autorités bangladaises exploitent les dispositions vagues et larges de ce texte pour intensifier les attaques contre le journalisme indépendant et la liberté de la presse, a déclaré Sultan Mohammed Zakaria, chercheur sur l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Les attaques croissantes visant des journalistes de premier plan sont clairement une tentative cynique des autorités pour accélérer la répression sous couvert de la crise du COVID-19. Le Bangladesh doit réformer en profondeur la loi DSA afin de la rendre conforme à la Constitution du pays et à ses obligations en matière de droits humains. »
La Loi sur la sécurité numérique impose de multiples restrictions abusives du droit à la liberté d’expression, notamment en prévoyant jusqu’à 10 années d’emprisonnement pour la « diffusion de propagande » contre la guerre de libération du Bangladesh, l’hymne national ou le drapeau national au moyen d’outils numériques. La peine maximale encourue en cas de récidive est la réclusion à perpétuité.
« Les attaques croissantes visant des journalistes de premier plan sont clairement une tentative cynique des autorités pour accélérer la répression sous couvert de la crise du COVID-19. Le Bangladesh doit réformer en profondeur la loi DSA afin de la rendre conforme à la Constitution du pays et à ses obligations en matière de droits humains. »
Attaques ciblant les rédacteurs en chef et les journalistes chevronnés
En 2020, au moins 10 rédacteurs en chef de quotidiens nationaux et régionaux et de sites Web d’actualité ont fait l’objet de poursuites au titre de la Loi sur la sécurité numérique, à la suite d’articles critiquant des dirigeants de la Ligue Awami, le parti au pouvoir.
Shafiqul Islam Kajol, rédacteur en chef du Daily Pokkhokal, a été victime d’une disparition forcée le 10 mars à Dacca, alors qu’un député de la Ligue Awami, Saifuzzaman Shikhor, avait engagé la veille des poursuites à son encontre au titre de la Loi sur la sécurité numérique parce qu’il avait partagé une publication Facebook contenant des propos critiques à son égard. Matiur Rahman, qui dirige la rédaction du principal quotidien en bengali, Manab Zamin, et 30 autres personnes ayant partagé la publication sur Facebook sont également mis en cause dans le même dossier. Shafiqul Islam Kajol n’a été revu que 53 jours plus tard près de Benapole, ville située à la frontière entre le Bangladesh et l’Inde, et il est actuellement en détention provisoire sous le coup de deux autres procédures au titre de la Loi sur la sécurité numérique.
Le 19 avril, le rédacteur en chef par intérim de Jagonews24.com, Mahiuddin Sarker, et le rédacteur en chef de bdnews24.com [1], Toufiq Imroz Khalidi, ont été poursuivis en justice par un dirigeant de la Ligue Awami au titre de cette loi pour avoir publié des informations relatives à un détournement d’aide humanitaire. Tous deux ont été libérés sous caution par la Haute cour dans l’attente de leur procès.
Le 1er mai, le rédacteur en chef du quotidien Dainik Grameen Darpan, Ramzan Ali Pramanik, son correspondant Shanta Banik et le propriétaire et rédacteur en chef du portail d’information en ligne Narsingdi Pratidin, Khandaker Shahin, ont été arrêtés à la suite d’un article faisant état d’un décès en détention au poste de police de Ghorashal. Le 22 mai, le rédacteur en chef d’Amar Habiganj, Shushant Dash Gupta, a été arrêté par la police dans le cadre d’une procédure engagée au titre de la Loi sur la sécurité numérique pour avoir publié un article mettant en cause un dirigeant de la Ligue Awami dans une affaire de corruption. Puis, le 27 juin, le rédacteur en chef du quotidien national en bengali Inqilab, AMM Bahauddin, a été poursuivi au titre de la même loi pour avoir publié un article au sujet d’un conseiller du Premier ministre.
« Ces journalistes sont pris pour cibles uniquement pour avoir relayé des articles critiques à l’égard des autorités et demandé des comptes aux puissants. Les poursuites engagées contre eux doivent être abandonnées et ceux qui sont détenus doivent être libérés immédiatement et sans condition », a déclaré Sultan Mohammed Zakaria.
Complément d’information
En novembre 2018, Amnesty International a publié le rapport Muzzling Dissent Online, qui analyse comment les dispositions de la Loi sur la sécurité numérique permettent aux autorités bangladaises de museler le droit à la liberté d’expression.