Communiqué de presse

Bangladesh. Il faut résister aux pressions en faveur de condamnations hâtives à la peine de mort

Amnesty International craint que le gouvernement bangladais n’invoque de nouvelles dispositions ajoutées à la loi n° 1973 sur les tribunaux pour les crimes de droit international afin de recommander que des personnes reconnues coupables par le Tribunal pour les crimes de droit international (ICT) du Bangladesh soient condamnées à mort de manière hâtive. Ces modifications, adoptées par le Parlement dimanche 17 février, permettent au ministère public de faire appel de toute condamnation prononcée par l’ICT qui serait moins sévère que la peine capitale.

L’ICT est un tribunal national créé en 2010 pour juger les personnes soupçonnées de crimes relevant du droit international (génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité) commis au cours de la guerre d’indépendance du pays, en 1971. La loi sur les tribunaux pour les crimes de droit international régit le déroulement des procès se tenant devant cette instance.

Après l’ouverture en novembre 2011 du premier procès qu’il ait eu à traiter, l’ICT a prononcé son premier jugement – par contumace – le 21 janvier 2013. Abul Kalam Azad, associé au parti religieux d’opposition du Jamaat-e-Islami, a alors été déclaré coupable de crimes contre l’humanité et condamné à mort.

Le 5 février, l’ICT a prononcé son deuxième jugement et condamné Abdul Quader Molla, membre influent de ce même parti, à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité.

À la suite de cette deuxième condamnation, des membres de la Ligue Awami, parti au pouvoir, ont déclaré que la peine prononcée n’était pas suffisamment lourde et qu’il aurait fallu condamner cet homme à mort. Au même moment, des actions de protestation de grande ampleur ont éclaté à Dacca afin d’exiger la peine capitale pour Abdul Quader Molla et d’autres personnes déclarées coupables de crimes de droit international par l’ICT. Le mouvement se poursuit, et des dizaines de milliers de personnes campent aux alentours du carrefour Shahbagh à Dacca, d’où le mouvement de protestation tire son nom.

Amnesty International considère que ces manifestants n’ont fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression de manière non violente. En ce qui concerne leur appel en faveur de la peine de mort, cependant, Amnesty International réitère qu’elle s’oppose à ce châtiment en toutes circonstances, sans exception, quelles que soient la nature ou les circonstances du crime commis ; la culpabilité ou l’innocence ou toute autre situation du condamné ; ou la méthode utilisée pour procéder à l’exécution. La peine de mort constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, et viole le droit à la vie.

Le gouvernement n’a pas cherché à neutraliser ces appels. Certains représentants des autorités les ont malheureusement même encouragés.

Compte tenu des manifestations contre la condamnation d’Abdul Quader Molla à la réclusion à perpétuité et des appels publics en faveur de la peine de mort lors des rassemblements de Shahbagh, Amnesty International craint fort que le gouvernement n’invoque les modifications ajoutées à la loi afin de faire appel et de requérir la peine capitale dans les cas où l’ICT a prononcé des peines plus légères.

Certains signes portent à croire que c’est déjà ce que le gouvernement prévoit de faire. Mardi 19 février, Quamrul Islam, ministre de la Justice de l’État, aurait déclaré que le parquet comptait faire appel de la condamnation prononcée contre Abdul Quader Molla.

Une telle démarche irait à l’encontre de la tendance amorcée par la Cour pénale internationale et tous les autres tribunaux pénaux internationaux établis depuis 1993, qui excluent l’application de la peine de mort pour sanctionner les crimes les plus odieux : les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre.

Le gouvernement bangladais ne doit pas céder aux pressions du public et invoquer les nouvelles dispositions de la loi sur l’ICT pour demander un recours accru à la peine capitale ou la commutation de peines d’emprisonnement en condamnations à mort.

L’ICT doit statuer d’un jour à l’autre sur le cas d’un autre dirigeant de Jamaat-e-Islami, Delwar Hossain Sayedi. Sept autres individus, tous hauts responsables de Jamaat-e-Islami, ainsi que deux membres du parti nationaliste du Bangladesh, un parti d’opposition, sont actuellement jugés ou attendent l’ouverture de leur procès devant l’ICT.

Complément d’information

Amnesty International a considéré la création de l’ICT au Bangladesh comme un événement historique susceptible d’aider à mettre fin à plus de 40 ans d’impunité pour des crimes de droit international et autres violations des droits humains de grande ampleur commis par des membres des forces armées pakistanaises et indiennes, ainsi que par des membres de tous les groupes armés durant la guerre d’indépendance de 1971.

Le Bangladesh a la responsabilité, devant la communauté internationale toute entière, de rendre justice aux familles des civils – dont le nombre dépasse le million – qui auraient été tués par les forces pakistanaises et leurs alliés, aux dizaines de milliers de femmes qui auraient été victimes de viol et d’autres crimes de violence sexuelle, et à plus de huit millions de personnes qui ont fui le pays pour gagner l’Inde, en quête de sécurité.

Amnesty International a remarqué que toutes les personnes arrêtées jusqu’à présent en relation avec ces crimes sont des membres de deux partis d’opposition – le Jamaat-e-Islami et le parti nationaliste du Bangladesh. Cela donne l’impression que l’ICT choisit de traiter uniquement les dossiers de suspects appartenant à l’opposition actuelle. Il est cependant impossible de considérer que pas un seul des responsables présumés de ces crimes n’ait appartenu à d’autres partis.

Même si l’ICT ne fait preuve d’aucun parti pris, il doit éviter tout ce qui pourrait donner cette impression. Comme cela a été expliqué dans une célèbre affaire de droit commun, R c Sussex Justices, Ex parte McCarthy ([1924] 1 KB 256, [1923] All ER Rep 233), et plus tard réitéré par la Chambre des Lords en 1998 dans l’affaire Pinochet, le fait qu’«  il est absolument crucial, et non pas uniquement d’une certaine importance, que non seulement justice soit rendue, mais que cela soit en outre manifestement et indubitablement vu comme tel par tous » est un principe fondamental du droit.

Il est donc essentiel que des recherches plus rigoureuses soient menées afin d’assurer qu’aucun suspect ne puisse se soustraire aux poursuites simplement parce qu’il appartient au parti au pouvoir ou aux alliés de celui-ci.

Aucun suspect de crimes de droit international commis durant la guerre d’indépendance de 1971, qu’ils aient été perpétrés contre des personnes ayant soutenu l’indépendance du Bangladesh ou celles qui y étaient opposées, ne doit bénéficier d’une immunité de poursuites, quel que soit le parti qu’il ait soutenu ou son affiliation politique à l’époque.

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