Bangladesh, l’intimidation contre Prothom Alo témoigne de la crise de la liberté de la presse

Bangladesh, l'intimidation contre Prothom Alo témoigne de la crise de la liberté de la presse

Prothom Alo, un grand quotidien du Bangladesh, est le dernier média en date à subir des attaques croissantes allant de l’intimidation et du harcèlement à l’arrestation de journalistes, ce qui témoigne d’une aggravation de la crise de la liberté de la presse dans le pays.

Le Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a qualifié le 10 avril Prothom Alo d’« ennemi de la Ligue Awami, de la démocratie et du peuple bangladais » lors d’une allocution au Parlement, se référant à un article publié par ce média le jour de l’Indépendance qui traitait du coût de la vie au Bangladesh. Le journaliste qui a écrit cet article, Shamsuzzaman Shams, a été arrêté et inculpé au titre de la draconienne Loi relative à la sécurité numérique (LSN), et il a par la suite été libéré sous caution. Le directeur de publication de Prothom Alo, Matiur Rahman, a été poursuivi en justice au titre de la LSN et cité en tant que principal accusé dans l’une des deux affaires mettant en cause Shamsuzzaman Shams.

Quelques heures après la déclaration du Premier ministre, un groupe de personnes a fait irruption dans les locaux de Prothom Alo à Dacca, la capitale du pays, et a proféré des menaces et vandalisé le logo du journal, à la réception, en écrivant dessus le mot « boycott ».

« Il s’agit du dernier exemple en date d’une série d’attaques menées par le gouvernement du Bangladesh contre la liberté de la presse dans le pays. Le fait de réprimer pénalement un média, un directeur de publication ou un journaliste uniquement parce qu’ils ont critiqué le gouvernement ou la politique qu’il défend constitue une restriction absolument injustifiable du droit à la liberté d’expression. Les attaques contre Prothom Alo, qui est le quotidien le plus largement diffusé dans le pays, sont intervenues peu après la fermeture, le mois dernier, du Daily Dinkal qui est le seul journal appartenant au principal parti d’opposition, a déclaré Yamini Mishra, directrice régionale pour l’Asie du Sud à Amnesty International.

« L’utilisation de la draconienne Loi relative à la sécurité numérique contre des journalistes et les attaques visant certaines des principales publications du pays reflètent une inquiétante tendance à la répression du droit à la liberté d’expression au Bangladesh. »

« Nous étions terriblement inquiets »

Le 29 mars, le journaliste bangladais Shamsuzzaman Shams a été interpellé à son domicile par un groupe d’agents en civil qui se sont présentés comme étant des membres du Département des enquêtes judiciaires (CID). L’on a ignoré pendant environ 10 heures où il se trouvait, puis la police a déclaré qu’il était en détention et inculpé au titre de la draconienne Loi relative à la sécurité numérique.

Un membre de la famille de Shamsuzzaman Shams a dit à Amnesty International : « Nous étions terriblement inquiets […] Aucun mandat n’avait été délivré contre lui. On ne nous a informés de rien. Même quand nous avons eu confirmation qu’il était en détention, c’est aussi par les médias que nous avons appris cela. »

Le directeur de publication de Prothom Alo, Matiur Rahman, et un groupe de « personnes anonymes », dont un photographe, ont également été inculpés au titre de la LSN. Shamsuzzaman Shams a obtenu une libération sous caution le 3 avril 2023 et est sorti de prison, mais s’il est déclaré coupable, il risque jusqu’à sept ans d’emprisonnement.

« Un climat de terreur »

Un important rédacteur en chef au Bangladesh a déclaré lors d’un entretien avec Amnesty International que la répression exercée par le gouvernement contre Prothom Alo visait délibérément « à instaurer un climat de terreur à l’approche des élections générales ».

S’exprimant à la condition que son anonymat soit préservé, il a expliqué : « Le gouvernement fait clairement savoir que c’est ce qui arrive quand on passe les bornes qu’il a définies concernant ce qui peut ou non être dit. Même si les journalistes finissent par obtenir une libération sous caution, ils restent sous pression jusqu’à l’abandon des poursuites [...] Nombre de ceux qui critiquent la répression actuelle de la liberté de la presse au Bangladesh pensent que la LSN est utilisée de façon abusive contre les journalistes. Mais ils se trompent : la LSN n’est pas du tout utilisée de façon abusive, car elle est employée exactement de la manière dont le gouvernement entendait que cette loi fonctionne. »

Les autorités bangladaises ont suspendu le 20 février la publication du Daily Dinkal, le seul journal appartenant au principal parti d’opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). Au total, 56 journalistes ont été torturés, harcelés, poursuivis en justice, intimidés et empêchés de faire leur travail durant le premier trimestre de 2023, selon les informations publiées par Ain O Salish Kendra (ASK), une organisation bangladaise d’assistance juridique et de défense des droits humains.

Amnesty International a par le passé réuni des informations sur l’intensification du recours à la LSN contre les médias et journalistes indépendants à la suite d’articles critiquant des dirigeant·e·s du parti au pouvoir, la Ligue Awami. Amnesty International a également publié le résultat de ses recherches concernant l’inquiétante instrumentalisation par les autorités des articles 25 (publication d’informations fausses ou offensantes), 29 (publication d’informations diffamatoires) et 31 (infraction et sanction en cas d’atteinte à l’ordre public) de cette loi à des fins de répression pénale de la dissidence, y compris des critiques exprimées par des journalistes, des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains.

Le 31 mars 2023, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a demandé au Bangladesh de mettre immédiatement en place un moratoire sur l’utilisation de la LSN qui ne devra être levé que lorsque cette loi aura été modifiée afin d’être mise en conformité avec le droit international relatif aux droits humains. Le haut-commissaire s’est dit préoccupé par le fait que la LSN était « utilisée partout au Bangladesh pour arrêter, harceler et intimider des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains, et pour museler les voix critiques en ligne ».

« Depuis son entrée en vigueur, la Loi relative à la sécurité numérique est utilisée par les autorités bangladaises en tant qu’arme pour faire taire les critiques et pour réprimer l’opposition. Les autorités bangladaises exploitent de façon croissante les dispositions vagues et de très large portée de ce texte pour intensifier les attaques contre le journalisme indépendant et la liberté de la presse. Les autorités doivent abroger la LSN et mettre immédiatement fin aux manœuvres de harcèlement et d’intimidation contre les journalistes au Bangladesh », a déclaré Yamini Mishra.

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