Bangladesh. Les élections représentent à la fois un risque et une chance pour les droits humains

SYNTHÈSE DESTINÉE AUX MÉDIAS

Index AI : ASA 13/011/2008 -
ÉFAI

Les élections législatives prévues le 29 décembre 2008 sont une occasion unique d’améliorer la situation déplorable des droits humains au Bangladesh. En premier lieu, elles marquent la fin de deux ans d’état d’urgence caractérisés par de graves restrictions des droits politiques, comme la liberté de réunion et la liberté d’expression. Si elles se déroulent correctement et sans violence, ces élections pourraient amener au pouvoir un gouvernement civil plus apte à répondre à la situation et plus responsable – ce qui est indispensable pour améliorer la vie des millions de Bangladais qui vivent aujourd’hui dans une misère noire et n’ont pas accès à un logement convenable ni à une éducation et à des soins médicaux satisfaisants.

Amnesty International salue la levée de l’état d’urgence prononcée le 17 décembre 2008 et le rétablissement des droits qui avaient été totalement ou partiellement restreints ces deux dernières années au Bangladesh. Elle appelle les principaux acteurs de la scène politique bangladaise à faire ce qui est en leur pouvoir pour que le droit de tous les habitants de participer sans discrimination à conduite des affaires publiques soit respecté et protégé. Le gouvernement intérimaire doit veiller à ce que les personnes qui veulent participer pacifiquement à la campagne électorale et aux élections elles-mêmes soient protégées contre les arrestations arbitraires, les intimidations et la violence. Amnesty International exhorte tous les partis politiques à renoncer à la violence et à s’engager à protéger les droits humains, y compris ceux des groupes minoritaires, aujourd’hui et à l’avenir, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition.

L’organisation a déterminé un certain nombre de points qu’elle juge particulièrement importants pour le bon déroulement des élections et la formation du nouveau gouvernement :

Les actes d’intimidation et de violence contre les électeurs
À l’heure où les restrictions liées à l’état d’urgence sont levées, le gouvernement intérimaire et les partis politiques ont la responsabilité de veiller à ce que les violences politiques qui avaient caractérisé les précédentes élections et abouti à la déclaration de l’état d’urgence le 11 janvier 2007 ne se reproduisent pas. Entre fin octobre 2006 et début janvier 2007, dans la période précédant les élections législatives finalement reportées, les affrontements entre groupes politiques rivaux avaient fait au moins 35 morts et des centaines de blessés. De même, les précédentes élections législatives, en octobre 2001, avaient été marquées par de fréquents affrontements entre partis rivaux, dont les membres et sympathisants avaient utilisé des méthodes violentes contre leurs opposants pendant la campagne, faisant usage par exemple de bâtons, de couteaux, d’armes à feu et d’engins explosifs rudimentaires. Pendant les trois mois de campagne électorale, des milliers de personnes avaient été blessées et plus de 150 tuées dans ces affrontements. Au moins 10 de ces victimes avaient été tuées par balle lorsque la police avait tiré sur la foule.

C’est avant tout au gouvernement intérimaire que revient la responsabilité de veiller au bon déroulement des élections et de faire en sorte que celles-ci reflètent réellement les souhaits de la population bangladaise. Ce gouvernement doit aujourd’hui s’attacher à faire respecter pendant les élections les libertés nouvellement rétablies. Il a mobilisé près de 50 000 hommes pour assurer la sécurité et limiter les violences partisanes qui ont caractérisé les précédentes élections dans le pays. Les forces de l’ordre peuvent jouer un rôle important dans la prévention des menaces, des intimidations et des attaques contre les électeurs commises par des agents non gouvernementaux. Par le passé, des bandes armées ont agi en toute impunité à la demande d’hommes politiques locaux.

Cependant, le bilan des forces de sécurité bangladaises en matière de droits humains n’est pas bon, qu’il s’agisse de la police, du Bataillon d’action rapide (RAB) ou des unités de l’armée déployées pour maintenir l’ordre. Des informations crédibles font état de harcèlement des défenseurs des droits humains, de torture et d’autres mauvais traitements, et de recours non justifié et excessif à la force, ainsi que d’exécutions extrajudiciaires, pendant des opérations de maintien de l’ordre. Par exemple, entre janvier 2007 et août 2008, plus de 200 personnes ont trouvé la mort dans ce que la police et le RAB ont qualifié d’« échanges de coups de feu » mais que l’on soupçonne d’être des exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement n’a pas mené d’enquêtes rigoureuses sur ces affaires, et aucun membre du RAB ou de l’armée soupçonné d’être impliqué dans ces homicides n’a jamais été traduit en justice. Le gouvernement doit veiller à ce que les membres des forces de l’ordre aient à rendre des comptes pour toutes les violations des droits humains qu’ils ont commises.

Avant janvier 2007, les principaux partis politiques ont encouragé, cautionné ou commis directement des violences contre leurs opposants. La minorité hindoue a aussi été la cible de violences électorales et intercommunautaires. Les branches étudiantes des grands partis politiques ont figuré au rang des principaux auteurs de violences politiques au Bangladesh. On peut citer par exemple le Parti des étudiants du Bangladesh (BCD, affilié au Parti nationaliste du Bangladesh) ; la Ligue étudiante du Bangladesh (BCL, affiliée à la Ligue Awami) ; et le Camp des étudiants islamiques du Bangladesh (Shibir, affilié à la Société de l’islam). Les partis politiques ont promis de désarmer ces groupes, mais ils ne l’ont pas fait. Aucun d’entre eux n’a condamné les violences commises par ses membres. Au contraire, les dirigeants des partis ont cautionné tacitement ces méthodes violentes, et se sont parfois associés à des bandes criminelles pour lancer des attaques contre leurs opposants. Les partis politiques ont la responsabilité de veiller à ce que leurs cadres et leurs branches estudiantines participent pacifiquement au processus électoral et renoncent à toute violence avant, pendant et après les élections.

Les restrictions à la liberté de réunion

Pour protéger le droit à la liberté de réunion et d’association, le gouvernement intérimaire doit prendre des mesures fermes d’information et de formation des organes chargés de l’application des lois afin qu’ils respectent ce droit. Un soutien actif des dirigeants des partis politiques est aussi indispensable pour que les membres de ces partis respectent le droit de tous, y compris de leurs opposants, d’organiser des meetings et de faire campagne pour les élections. La suppression partielle, le 3 novembre 2008, de l’interdiction des meetings politiques est une mesure qui va dans le bon sens, mais il a fallu attendre le 12 décembre pour qu’elle soit appliquée. Avec la levée de l’état d’urgence le 17 décembre, le gouvernement doit rétablir pleinement l’ensemble des droits qui avaient été restreints.

Les restrictions à la liberté d’expression

La suppression, en novembre 2008, des restrictions à la liberté d’expression liées à l’état d’urgence est une mesure qui était attendue de longue date et qui est la bienvenue. Même si ces restrictions n’étaient pas appliquées très strictement, elles compliquaient le travail légitime des journalistes et des défenseurs des droits humains en les rendant vulnérables au harcèlement, aux intimidations et à la violence. En 2007, ces restrictions ont entraîné l’arrestation par les forces de sécurité d’au moins trois journalistes et deux défenseurs des droits humains, dont Tasneem Khalil et Jahangir Alam Akash ; quatre de ces personnes ont affirmé avoir été torturées en détention.

Amnesty International reconnaît que la situation semble s’être sensiblement améliorée en 2008, puisque personne n’a été emprisonné pour avoir défendu les droits humains.

L’organisation salue l’Ordonnance sur le droit à l’information qui a été promulguée en octobre 2008. Lorsqu’elle entrera en vigueur début 2009, cette ordonnance aura des conséquences positives sur la liberté d’expression en permettant aux citoyens d’accéder aux informations détenues par des organismes publics. Cependant, cette ordonnance interdit explicitement aux organismes chargés de la sécurité, comme la direction générale des services de renseignements des forces armées, la branche spéciale de la police nationale et la cellule de renseignements du Bataillon d’action rapide, de révéler des informations autres que celles concernant des violations des droits humains ou des affaires de corruption.

Les attaques contre les minorités

Étant donné l’ampleur des violences électorales qui se sont produites pendant et juste après les élections législatives d’octobre 2001, on peut réellement craindre que les minorités, notamment les Hindous, ne soient de nouveau attaquées. Certes, des attaques sporadiques contre les minorités avaient souvent été constatées pendant les élections législatives au Bangladesh, mais ces violences avaient pris une tournure sans précédent lors des dernières élections, en 2001. Des dizaines et des dizaines d’assaillants, décrits par les journalistes et les victimes comme des membres de la coalition dirigée par le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), qui avait remporté ces élections, avaient alors chassé de leurs terres des centaines de familles hindoues, incendiant parfois leurs maisons, semble-t-il en raison de leur soutien présumé au parti opposé, la Ligue Awami. D’après les journaux bangladais, des dizaines de femmes hindoues avaient été violées et au moins un homme tué à coups de hache. Les mesures prises par le gouvernement – à partir de fin 2001 – pour contenir cette violence ont empêché de nouvelles attaques massives, mais personne n’a été traduit en justice pour les violences commises. Les défenseurs des droits humains et les membres de la minorité hindoue craignent légitimement que de telles attaques ne se reproduisent lors des élections à venir.

On peut aussi s’inquiéter de la montée, depuis fin 2003, des attaques et des discours de haine contre les membres de la communauté ahmadi. Ces attaques ont été en grande partie commises à l’instigation du Mouvement international pour la complétude de la prophétie de Mahomet – Bangladesh, groupe islamiste qui demande au gouvernement de déclarer le mouvement ahmadi comme une secte non musulmane. Par exemple, un imam ahmadi a été tué, des maisons d’Ahmadis ont été assiégées afin d’empêcher leurs habitants de sortir et ainsi de les « excommunier », des dizaines d’Ahmadis ont été passés à tabac, et des foules ont tenté d’occuper des lieux de culte ahmadis et d’en chasser les fidèles. Même si le gouvernement intérimaire actuel et le gouvernement précédent ont empêché les agitateurs de pénétrer dans les lieux de culte ahmadis et ont évité les attaques de grande ampleur contre les membres de cette communauté, le risque est grand de voir de telles attaques se reproduire en cette période incertaine des élections.

D’autres minorités ont aussi besoin de protection. Par exemple, dans les Chittagong Hill Tracts, les fréquents affrontements entre colons bengalis et populations autochtones à propos des acquisitions de terres autochtones par les colons rendent la région particulièrement vulnérable aux explosions de violence en période électorale. Les populations autochtones affirment que les unités de l’armée déployées dans la région n’empêchent pas les colons de leur confisquer leurs terres ni de les attaquer. Il faut garantir aux électeurs autochtones la possibilité de voter librement sans avoir à craindre d’attaques ou de harcèlement pendant ou après les élections. Les unités de l’armée déployées dans la région ont la responsabilité de garantir la sécurité de ces populations en toutes circonstances.

L’engagement à améliorer la situation des droits humains au Bangladesh
Les partis politiques doivent s’engager davantage en faveur des droits humains, et ne pas soutenir de lois ni d’activités bafouant ces droits. La mise en œuvre des libertés ne sera possible qu’avec le soutien et la coopération des partis politiques. La Ligue Awami et le Parti nationaliste du Bangladesh ont déclaré publiquement qu’ils feraient respecter les droits humains, mais ils n’ont pas expliqué clairement comment ils comptaient s’y prendre. Or, en l’absence de projets concrets de mise en œuvre, leur bilan médiocre en matière de droits humains donne peu de crédit à leurs engagements.

Par exemple, la Ligue Awami n’a pas précisé concrètement comment elle entendait, comme elle s’y est engagée, garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice, mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires et rétablir l’état de droit. Par ailleurs, sa promesse de renforcer la Commission des droits humains et d’améliorer son efficacité manque de crédibilité car, lors de son précédent mandat (1996-2001), ce parti n’avait pas tenu son engagement de créer une telle commission.

De même, l’engagement du BNP d’appliquer la Déclaration universelle des droits de l’homme reste très vague et n’est appuyé par aucun programme de mise en œuvre. Il est aussi en totale contradiction avec l’opération militaire « Cœur propre » lancée le 16 octobre 2002, alors que le PNB était au gouvernement. Lors de cette opération de maintien de l’ordre, qui a duré jusqu’au 9 janvier 2003, les soldats ont procédé à quelque 40 exécutions extrajudiciaires et ont été protégés contre toute poursuite par l’immunité que leur a accordée le gouvernement. C’est aussi un gouvernement du BNP qui a créé le RAB et qui n’a rien fait pour enquêter sur les graves allégations d’homicides et d’autres violations des droits humains commises par ce bataillon.

Par ailleurs, les déclarations de la Société de l’Islam et du Parti national-socialiste (JSD) du général Ershad en faveur de l’introduction de lois relatives au blasphème sont extrêmement préoccupantes. En effet, l’expérience d’Amnesty International montre que, dans d’autres pays, les lois de ce type sont utilisées pour réprimer la liberté d’expression et persécuter les minorités religieuses, en particulier les membres de la communauté ahmadi.

Amnesty International exhorte tout particulièrement le gouvernement intérimaire à :
• garantir la liberté d’expression et d’information afin que chacun puisse débattre des affaires publiques, critiquer et s’opposer, publier du matériel de campagne et faire la promotion de ses idées politiques ;

• confirmer la tendance actuelle en continuant de ne pas arrêter les journalistes, les défenseurs des droits humains et les militants politiques qui dénoncent les violations des droits humains ou qui expriment pacifiquement leurs opinions ;

• réagir rapidement et efficacement à toute violence politique en déployant des forces de l’ordre en nombre suffisant sur les lieux où se déroulent les troubles ;

• veiller à ce que les membres des forces de l’ordre, notamment la police, le Bataillon d’action rapide et les unités de l’armée déployées pour protéger les gens contre les violences politiques, s’acquittent de leur mission dans le respect des normes internationales relatives aux droits humains, comme les lignes de conduite des Nations Unies contre le recours excessif à la force ;

• veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées dans les plus brefs délais par le système judiciaire civil sur les allégations de violations des droits humains commises par des militaires et des membres du RAB, comme les arrestations arbitraires, la torture, les autres mauvais traitements et les décès en détention, ou le recours injustifié ou excessif à la force, dans l’objectif de traduire les responsables de ces actes en justice ;

• veiller à ce que les minorités, notamment des Hindous et les Ahmadis, soient protégées contre d’éventuelles attaques pendant et après les élections ; envoyer des instructions claires aux unités de l’armée stationnées dans les Chittagong Hill Tracts afin que les populations autochtones de cette région soient protégées contre les attaques des colons bengalis pendant et après les élections.

Amnesty International exhorte tous les candidats aux élections législatives et tous les partis politiques à :
• s’engager publiquement à promouvoir et à respecter le droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association pendant et après les élections, y compris le droit de leurs opposants et des groupes minoritaires d’avoir et d’exprimer des opinions différentes, d’organiser des meetings et de faire campagne sans risquer d’être violemment attaqués ;

• s’engager publiquement à prendre des mesures efficaces pour renforcer les droits humains dans le respect total des normes internationales relatives à ces droits, notamment en reprenant à leur compte les mesures prises par le gouvernement intérimaire pour créer une Commission nationale des droits humains, garantir la liberté d’information et l’indépendance de la justice, et combattre la corruption ;

• ne pas encourager, cautionner ni commettre de violences politiques, et appeler clairement et publiquement tous leurs membres et sympathisants à respecter les droits humains et l’état de droit ;

• se déclarer favorables à une surveillance indépendante et impartiale des droits humains (pendant et après la campagne électorale).

FIN

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit