Des témoignages, des vidéos et des photographies analysés et authentifiés par Amnesty International et son Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises confirment l’usage de la force illégale par la police contre des étudiant·e·s qui manifestaient. D’autres témoignages confirment la perpétuation depuis plusieurs années d’une pratique de violence à l’égard des manifestant·e·s, qui serait imputable à des membres de la Ligue étudiante du Bangladesh (BCL), un groupe affilié au parti au pouvoir.
« Amnesty International condamne fermement l’homicide de l’étudiant Abu Sayed et les attaques visant les manifestant·e·s qui contestent la réforme des quotas à l’Université de Dacca et dans d’autres campus à travers le pays, a déclaré Taqbir Huda, chercheur régional pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Les autorités bangladaises doivent respecter pleinement le droit à la liberté de réunion pacifique, conformément à leurs engagements en vertu du droit international et de leur propre Constitution, et protéger les manifestants pacifiques contre de nouvelles violences. »
Au Bangladesh, au cours des deux derniers jours, on compte au moins six morts [1] et des milliers de blessés.
« Blessures à la tête, mains cassées et jambes fracturées »
Amnesty International s’est entretenue avec des témoins oculaires, qui ont déclaré que les manifestations étaient entièrement pacifiques avant que des membres de la Ligue étudiante du Bangladesh (BCL) ne commencent à attaquer, le 15 juillet. Ils ont affirmé avoir vu des membres de la BCL sortir de plusieurs halls résidentiels de l’Université de Dacca, notamment les halls Surja Sen et Bijoy Ekattor, armés de barres, de bâtons et de clubs, quelques-uns brandissant même des revolvers. Le récit des violences infligées aux manifestants concorde avec les violences déjà recensées par Amnesty International en 2023.
Amit*, un manifestant agressé sur le campus de l’Université de Dacca, a déclaré : « Nous n’avions rien entre les mains – nous n’avions que des pancartes et des drapeaux... Ils ont commencé à nous lancer des briques, puis à nous frapper à coups de barres de fer... Ils ne faisaient pas de distinction entre hommes et femmes. Celles-ci ont été frappées à coups de pied au niveau de la poitrine, du ventre et de la tête. »
Amnesty International a vérifié des vidéos d’étudiants attaqués dans la rue et à l’intérieur d’hôpitaux qui corroborent les récits des témoins.
« L’État a lancé la Ligue étudiante du Bangladesh contre nous. »
Sur une vidéo [2] vérifiée par Amnesty International, on peut voir des hommes brandir leurs armes alors qu’ils tentent d’entrer dans l’hôpital de la Faculté de médecine de l’Université de Dacca, le 15 juillet.
« Ce n’est pas juste un manquement, il s’agit d’une complicité face à la violence de la Ligue étudiante du Bangladesh »
Rima*, étudiante en master à l’Université de Dacca, comptait parmi les manifestants qui ont subi une deuxième vague d’agressions [3] à l’hôpital de la Faculté de médecine où ils étaient venus se faire soigner pour leurs blessures. Elle a déclaré : « La police se trouvait là, à l’hôpital – [pourtant] des membres de la Ligue étudiante du Bangladesh sont entrés au service des urgences et nous ont de nouveau attaqués. L’État a lancé la Ligue étudiante du Bangladesh contre nous... Chaque fois que nous nous soulevons, que ce soit lors des manifestations de 2018 ou de 2023, ils se servent de la Ligue comme d’une force pour nous écraser. »
« En tant qu’étudiante à l’Université de Dacca, j’attendais de l’autorité en charge de la surveillance de mon établissement qu’elle assure ma sécurité. Nous étions devant le bâtiment des inscriptions [et] j’ai vu des responsables de l’université nous observer depuis les étages. Nous tentions de nous échapper [mais] les locaux des bureaux étaient fermés à clé. Nous avons supplié qu’on nous laisse entrer, mais personne n’est venu ouvrir les portes. Ce n’est pas juste un manquement, il s’agit d’une complicité face à la violence de la Ligue étudiante du Bangladesh. »
« Sa chemise blanche était entièrement couverte de sang. »
Selon des témoins, un étudiant de première année à l’Université de Dacca, âgé de 22 ans, a été retrouvé allongé dans la rue, « en train de vomir à répétition et ayant du mal à respirer ». Sa chemise blanche était entièrement couverte de sang. Un témoin a raconté : « Nous avons récupéré son téléphone dans sa poche et il était brisé en 1 000 morceaux. Imaginez la force qu’il faut pour réduire un téléphone en morceaux alors qu’il se trouve à l’intérieur d’une poche. »
Abu Sayed, étudiant âgé de 25 ans, a été tué [4] à Rangpur, une ville du nord-ouest du pays. Dans deux vidéos [5] vérifiées par Amnesty International, on voit au moins deux policiers ouvrir le feu avec des munitions de calibre 12 et tirer directement dans sa direction, alors qu’il se trouve de l’autre côté de la rue. Sayed met sa main sur sa poitrine au moment de l’impact, tandis que les policiers tirent encore à deux reprises.
« Il s’agit d’une attaque injustifiée et non provoquée contre un individu ne représentant aucune menace pour les policiers, à l’aide de munitions conçues pour la chasse, extrêmement dangereuses et illégales lorsqu’il s’agit de maintenir l’ordre pendant des manifestations »
Amnesty International s’est servie d’images satellites pour géolocaliser les positions d’Abu Sayed et des policiers ; elle a constaté qu’une quinzaine de mètres les séparaient au moment des tirs. En outre, Sayed ne représentait aucune menace physique manifeste pour la police. Son certificat de décès indique qu’il a été « amené mort » à l’hôpital.
Derrick Pounder, un médecin légiste indépendant qui a examiné des photos des blessures de Sayed à la poitrine, a indiqué à Amnesty International que ces blessures correspondaient à des grenailles. « Il s’agit d’une attaque injustifiée et non provoquée contre un individu ne représentant aucune menace pour les policiers, à l’aide de munitions conçues pour la chasse, extrêmement dangereuses et illégales lorsqu’il s’agit de maintenir l’ordre pendant des manifestations », a déclaré Taqbir Huda.
« Nous appelons d’urgence le gouvernement du Bangladesh à soigner tous les blessés et à veiller à ce qu’ils reçoivent des soins adaptés »
Amnesty International considère que l’utilisation de grenailles est absolument inappropriée et qu’elle devrait être bannie dans le cadre du maintien de l’ordre lors d’une manifestation. Les cartouches de fusil contenant des plombs (notamment de la grenaille et de la chevrotine, conçues pour la chasse) peuvent pénétrer la peau et occasionner de graves blessures. Leur utilisation a été associée à des décès et à de multiples cas de perte de la vue en Égypte, en Inde et en Iran.
« Nous appelons d’urgence le gouvernement du Bangladesh à soigner tous les blessés et à veiller à ce qu’ils reçoivent des soins adaptés. Les autorités doivent aussi veiller à ce que tous les auteurs présumés d’attaques contre des manifestant·e·s pacifiques soient amenés à rendre des comptes et à ce qu’une enquête impartiale, indépendante et rapide soit menée sur ces assaillants, ainsi que sur les policiers qui ont commis directement des atteintes à la loi ou ne les ont pas empêchées », a déclaré Taqbir Huda.
* Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes interrogées.
Complément d’information
Depuis le 1er juillet 2024, des manifestations de masse sont organisées en réponse au rétablissement [6] de quotas de 30 % d’emplois de la fonction publique réservés aux enfants des combattants de la liberté, ce qui, selon les manifestants [7], favorise les partisans du parti au pouvoir. Le gouvernement avait annulé ces quotas en réponse aux manifestations étudiantes massives de 2018 [8].
En 2023, Amnesty International a authentifié les éléments pointant un recours excessif à la force contre les manifestant·e·s par la police et les partisans du parti au pouvoir et exhorté le gouvernement à mettre fin à cette pratique.
En 2021, Amnesty International a demandé aux autorités bangladaises de mener des enquêtes sur le fait que les manifestants n’étaient pas protégés contre les agressions imputables à des militants du parti au pouvoir.
En 2018, Amnesty International a recueilli des informations [9] sur le recours à la force par la police et sur les actions violentes de milices pro-gouvernementales visant les étudiants qui manifestaient.