Bélarus. Préoccupations persistantes en matière de droits humains Soumission à la 20e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies

Depuis la dernière fois qu’Amnesty International a abordé la question des droits humains au Bélarus devant le Conseil des droits de l’homme, la situation ne s’est pas améliorée. Dans sa dernière déclaration écrite adressée au Conseil des droits de l’homme en septembre 2011, l’organisation avait mis en évidence la nette dégradation de la situation des droits humains au Bélarus dans le sillage des élections de décembre 2010.

Liberté de réunion

Les autorités ont imposé de nouvelles restrictions pour toutes les formes de rassemblements publics. En réaction à une série de « manifestations silencieuses » dans tout le pays, elles ont adopté le 29 juillet 2011 une nouvelle loi draconienne qui oblige à demander une autorisation gouvernementale pour tout rassemblement consistant en « une action ou une inaction utilisée comme mode d’expression publique d’une attitude sociopolitique ou comme moyen de protestation ». En octobre 2011, les deux chambres du Parlement ont approuvé une modification de la Loi relative aux événements de grande ampleur. Cette loi, qui impose déjà des limites déraisonnables à la liberté de réunion, exige désormais que les organisateurs de tout rassemblement public prévu précisent les « sources financières » utilisées ; en outre, ils ne sont pas autorisés à annoncer le rassemblement avant d’avoir obtenu une permission officielle, qui ne leur est parfois accordée que cinq jours à l’avance. Par ailleurs, les agents des forces de l’ordre disposent de pouvoirs accrus pour réaliser des enregistrements audio et vidéo, limiter l’accès des participants et effectuer des palpations.

Liberté d’association

Les organisations de défense des droits humains enregistrées et non enregistrés continuent d’être en butte aux poursuites judiciaires et aux mesures de harcèlement. Le 4 août 2011, Ales Bialatski, président du Centre de défense des droits humains Viasna, a été arrêté. Il a été inculpé le 12 août d’évasion fiscale à grande échelle (article 243.2 du Code pénal bélarussien). Le 24 novembre, il a été condamné à une peine de quatre ans et demi de prison. Les charges portaient sur l’utilisation d’un compte bancaire personnel en Lituanie pour financer les activités de Viasna. L’organisation s’étant vue retirer son statut officiel en 2003 par les autorités bélarussiennes, elle ne pouvait donc plus ouvrir de compte bancaire au Bélarus. Amnesty International considère Ales Bialatski comme un prisonnier d’opinion et demande sa libération inconditionnelle.

La Loi sur les associations publiques a été modifiée le 3 octobre pour interdire aux ONG bélarussiennes de détenir des fonds ou des comptes bancaires à l’étranger.

Prisonniers d’opinion

Fin avril 2012, sept personnes demeuraient incarcérées en lien avec leur participation à la manifestation globalement pacifique du 19 décembre 2010. Quatre d’entre elles ont été reconnues par Amnesty International comme des prisonniers d’opinion. Pavel Seviarynets a été condamné à trois ans de prison le 16 mai 2011. Mikaïlov Statkevitch a écopé de six ans le 26 mai 2011. Le 24 mars 2011, Zmitser Dachkevitch et Edouard Lobov ont été condamnés respectivement à deux et quatre ans pour houliganisme.

Sous la pression internationale, les autorités bélarussiennes ont libéré plusieurs détenus emprisonnés pour leur participation pacifique à la manifestation du 19 décembre 2010. Le 14 avril 2012, Andreï Sannikov, candidat à l’élection présidentielle appartenant à l’opposition, a été libéré à la faveur d’une grâce présidentielle. Il avait purgé un an et quatre mois sur sa condamnation à cinq ans de prison. Zmitser Bandarenka, membre de l’équipe de campagne d’Andreï Sannikov, a été libéré le 15 avril. Toutefois, Amnesty International déplore que les prisonniers d’opinion soient libérés sous conditions : ils sont soumis à une surveillance constante des autorités et doivent rendre compte à la police de leurs faits et gestes. Andreï Sannikov n’a été libéré qu’après avoir signé, sous la pression, une demande de grâce, et a été informé que ces faits demeureraient inscrits pendant huit ans sur son casier judiciaire. D’autres prisonniers remis en liberté ont affirmé qu’ils n’arrivaient pas à trouver du travail en raison de leurs condamnations pénales.

Liberté de mouvement

Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles d’éminents défenseurs des droits humains, des journalistes et des leaders de l’opposition se sont vus empêcher de quitter le pays. Valentin Stefanovitch, vice-président du Centre de défense des droits humains Viasna, a été refoulé à la frontière le 11 mars 2012, sous prétexte qu’il ne s’était pas présenté pour sa période de réserve. Le 11 avril, Alexandre Atrochtchankov, attaché de presse d’Andreï Sannikov durant la campagne électorale de 2010 et coordonnateur du mouvement « Bélarus européen », n’a pas pu sortir du pays. Oleg Volchek, avocat défenseur des droits humains, a été informé en mars 2012 que son nom figurait sur une liste de personnes n’ayant pas le droit de sortir du Bélarus.

Torture et autres mauvais traitements

Le Bélarus n’a pas pris les mesures nécessaires – adopter un article afin d’ériger la torture en infraction – en vue d’aligner sa législation sur la Convention des Nations unies contre la torture. Il n’existe aucun système indépendant d’inspection des centres de détention. Le Bélarus n’a pas signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Andreï Sannikov et Alexeï Mikhalevitch ont affirmé qu’ils avaient été torturés au cours de leur détention. À partir de septembre 2011, Andreï Sannikov et un autre prisonnier d’opinion, Zmitser Dachkevitch, ont été déplacés d’une colonie pénitentiaire à une autre pendant des périodes allant jusqu’à 10 jours, durant lesquelles ils subissaient les menaces de leurs compagnons de cellule. Amnesty International estime que ces transferts fréquents et ces mauvais traitements avaient pour but d’exercer des pressions physiques et psychologiques sur les deux hommes afin de leur arracher une demande de recours en grâce.

Zmitser Dachkevitch, qui purge une peine de deux ans de travaux forcés pour houliganisme, a été placé à l’isolement huit fois en 2011 – ce qui signifie qu’il était alors privé d’exercice, de literie et de sommeil. En outre, Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles Zmitser Dachkevitch a été délibérément exposé à des mauvais traitements aux mains de ses codétenus.

Peine de mort

Vladislav Kovaliov et Dimitri Konovalov ont été exécutés en mars 2012 en lien avec une série d’attentats perpétrés au Bélarus, notamment dans une station de métro de Minsk le 11 avril 2011. Dans un premier temps, la date exacte de leur exécution n’a pas été divulguée, mais le 17 mars 2012, la mère de Vladislav Kovaliov, Lioubov, a reçu par la poste une lettre de la Cour suprême, datée du 16 mars, l’informant que son fils avait été exécuté.

Le Bélarus continue de procéder à des exécutions dans le plus grand secret. Les condamnés à mort, pas plus que leurs proches, ne sont avertis à l’avance de la date de l’exécution. Les corps des personnes exécutées ne sont pas restitués aux familles, et le lieu où ils sont enterrés est gardé secret. Les proches attendent souvent plusieurs semaines voire plusieurs mois avant de recevoir l’avis de décès officiel.

Amnesty International a de sérieux doutes quant à l’équité du procès de Vladislav Kovaliov et Dimitri Konovalov. Vladislav Kovaliov est revenu sur ses « aveux » durant le procès, affirmant qu’ils avaient été obtenus sous la pression. D’après lui, le responsable de l’interrogatoire a menacé de l’abattre, tandis qu’il entendait Dimitri Konovalov hurler. La rapidité avec laquelle les deux hommes ont été arrêtés a également nourri un certain scepticisme vis-à-vis de l’enquête. Ils ont été interpellés le lendemain de l’explosion, le 12 avril. Bafouant leur droit à la présomption d’innocence, le président a déclaré que les deux hommes avaient avoué être les auteurs de l’attentat, et ce avant même qu’ils ne soient interrogés.

Selon les déclarations officielles, ils ont été arrêtés sur la base d’images prises par des caméras de sécurité, ce sur quoi l’accusation s’est fortement appuyée durant le procès. Pourtant, ces images n’ont été saisies que plusieurs jours après leur placement en détention et, selon l’avocat de la défense, elles avaient été falsifiées.

Recommandations

Amnesty International appelle le gouvernement bélarussien à prendre les mesures suivantes :

Liberté de réunion

 ? Procéder au réexamen de la Loi relative aux événements de grande ampleur afin de la mettre en conformité avec les exigences du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

 ? Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes condamnées pour leur participation à la manifestation non violente du 19 décembre 2010, et veiller à ce que toutes les personnes emprisonnées pour ces mêmes faits aux termes des dispositions du Code administratif aient accès à des moyens de réparation appropriés.

Liberté d’association

 ? Garantir que les organisations de la société civile puissent être accréditées et mener à bien leurs activités légitimes sans craindre de représailles ni d’actes d’obstruction.

 ? Abroger l’article 193-1 du Code pénal, qui érige en infraction les activités exercées par les organisations non enregistrées.

 ? Remettre en liberté immédiatement et sans condition Ales Bialatski, président du Centre de défense des droits humains Viasna.

Liberté de mouvement

 ? Veiller à ce que les autorités bélarussiennes respectent l’article 12 du PIDCP et lèvent les interdictions de voyager qui sont semble-t-il mises en œuvre afin d’empêcher les leaders de l’opposition et les défenseurs des droits humains de sortir du pays.

Torture et autres mauvais traitements

 ? Ajouter dans le Code pénal un article érigeant la torture en infraction, conformément à la définition formulée par la Convention contre la torture.

 ? Veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent sans délai l’objet d’une enquête sérieuse, et que les plaignants soient protégés des représailles.

Peine de mort

 ? Instaurer immédiatement un moratoire sur toutes les exécutions, dans la perspective d’abolir la peine de mort.

 ? Modifier l’article 175 du Code pénal exécutif en vue de se conformer à la décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies prise en 2003 dans les affaires Bondarenko c. Belarus et Lyachkevitch c. Belarus, et veiller à ce que les proches des condamnés à mort soient avertis de la date d’exécution et autorisés à récupérer les corps pour procéder à leur inhumation.

 ? Informer les familles des prisonniers qui ont été exécutés de l’endroit où ils ont été enterrés.

 ? Dans le droit fil de la récente résolution 19/37 du Conseil des droits de l’homme sur les droits de l’enfant, adoptée le 23 mars 2012 :

  veiller à ce que les enfants et les familles des condamnés à mort puissent rendre visite à leurs proches tout au long de la procédure judiciaire et de la période de détention, et puissent les rencontrer de manière régulière et en privé ;

  informer les familles du lieu d’incarcération des condamnés à mort, ainsi que de l’avancée des demandes de grâce, des requêtes soumises à des organismes tels que les comités des grâces, et des éléments invoqués pour étayer les recommandations de ces organismes en faveur ou en défaveur des requêtes ;

  faire en sorte que les enfants et les familles soient avertis, à l’avance, des informations pertinentes lorsqu’une exécution est programmée – la date, l’heure et le lieu –, autoriser une dernière visite ou communication avec le condamné, remettre à la famille le corps pour inhumation ou l’informer du lieu où il est enterré.

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