Belgique, Un refus persistant de respecter le droit à l’accueil des personnes demandeuses d’asile

Amnesty International publie ce jeudi 3 avril un nouveau rapport mettant en évidence les effets dévastateurs du refus persistant des autorités belges de s’acquitter de leurs responsabilités en matière de droit à l’accueil vis-à-vis des personnes en quête de protection internationale.

Dans ce document, l’organisation documente les effets désastreux des manquements des autorités sur la vie, la dignité et les droits humains des personnes demandeuses d’asile ; les conséquences discriminatoires sur les hommes demandeurs d’asile célibataires ; et les atteintes à l’état de droit générées par le non respect de leurs obligations internationales par les autorités belges.

Le rapport intitulé Ni logé·e·s, ni écouté·e·s. Les manquements persistants de la Belgique en matière d’accueil bafouent les droits des personnes demandeuses d’asile montre comment, depuis octobre 2021, les autorités belges ont failli à respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, européen et belge de fournir un accueil aux personnes en quête de protection internationale, les contraignant à être à la rue.

Ce document est basé sur des recherches menées par Amnesty International entre octobre 2024 et janvier 2025. Amnesty International s’est entretenue avec des personnes qui se sont retrouvées en situation de sans-abrisme en raison du manque d’accueil en Belgique entre 2021 et 2024. Des entretiens supplémentaires ont été menés avec des avocat·e·s spécialisé·e·s sur les questions de migration et des représentant·e·s d’organisations de la société civile, telles que Vluchtelingenwerk Vlaanderen, le Hub Humanitaire, Médecins du Monde et Ulysse.

Discrimination et mépris pour l’état de droit

En 2021, des organisations de la société civile ont mis en garde les autorités belges contre une pénurie de places d’accueil pour les personnes demandeuses d’asile à venir en raison d’un nombre croissant de personnes demandant une protection internationale. Au cours des années qui ont suivi, le gouvernement a constamment échoué à augmenter de façon suffisante le nombre de places d’accueil ou à prendre des mesures pour remédier à la situation. Plus de 2 500 personnes qui ont demandé l’asile sont actuellement sur une liste d’attente pour obtenir une place d’accueil.

Le nouveau gouvernement fédéral, installé depuis février 2025, se targue d’adopter « la politique migratoire la plus stricte possible ». Amnesty International craint que les projets de ce gouvernement n’aggravent encore la situation des personnes demandeuses d’asile.

« L’échec de la Belgique en matière d’accueil n’est pas dû à un manque de ressources, mais bien à un manque de volonté politique, explique Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International. Les mesures du nouveau gouvernement visent à réduire le nombre de personnes obtenant l’asile en Belgique et aucune initiative crédible destinée à mettre fin aux violations des droits humains à l’encontre des personnes demandeuses d’asile ne semble se faire jour. Nous appelons le gouvernement à immédiatement changer de cap et à s’assurer que soient créées suffisamment de places d’accueil. »

En août 2023, le gouvernement belge a décidé de suspendre temporairement l’accueil de tous les hommes célibataires afin de donner la priorité aux familles avec enfants pendant les mois d’hiver. Assurer la protection des groupes marginalisés est certes indispensable pour garantir la non-discrimination, mais cette décision a des effets disproportionnés, particulièrement à l’endroit d’hommes non accompagnés et racisés. Cette politique bafoue les obligations relatives à la non-discrimination, car elle prive des personnes d’accueil sur la base uniquement de leur genre et a des conséquences disproportionnées fondées sur une prétendue « race », l’ethnicité et l’origine nationale.

À ce jour, des tribunaux nationaux et internationaux ont ordonné aux autorités belges de se conformer à leurs obligations en matière d’accueil, et ce, à plus de 12 000 reprises. Bien qu’elles soient définitives et juridiquement contraignantes, la Belgique ne s’est jamais pleinement conformée à ces décisions.

« Le mépris tenace dont font preuve nos autorités envers leurs obligations en matière de droits humains et les décisions de justice est profondément inquiétant, indique Tess Heirwegh, chargée de plaidoyer pour la section flamande d’Amnesty International et autrice principale du rapport. L’ampleur et la durée de cette détermination à saper l’état de droit posent question quant à l’espoir que peuvent nourrir des personnes détentrices de droits de réclamer des comptes au gouvernement belge, en particulier les personnes marginalisées et celles appartenant à des groupes victimes de racisme, comme celles avec qui nous avons pu échanger. »

Conditions de vie inadéquates et obstacles à l’accès aux soins de santé

Privées d’hébergement, les personnes demandeuses d’asile doivent survivre dans de mauvaises conditions dans la rue ou dans des squats. Cette situation de sans-abrisme entraîne de graves risques quant à leur santé ; beaucoup de ces personnes sont exposées à des maladies infectieuses, voient leur santé mentale se détériorer et n’ont pas accès à des soins de santé essentiels.

« Les gens comprenaient notre souffrance, mais pas les autorités »

Thaer, un jeune demandeur d’asile palestinien, a déclaré : « Je voulais venir en Belgique, continuer mes études d’infirmier et travailler. Mais au lieu de cela, j’ai fini par dormir dans les tunnels du tramway pour me protéger de la pluie. »

Sayed, un jeune homme originaire d’Afghanistan, a vécu d’octobre 2022 à janvier 2023 dans l’un des plus importants squats de Bruxelles, surnommé le « Palais des Droits ». Il décrit des conditions de vie très difficiles :

« J’ai vu une rangée de cartons », se souvient-il. « Au début, c’était suffisant, il y avait des toilettes et des douches, et des gens amenaient de la nourriture l’après-midi. Mais progressivement, c’est devenu un cimetière. Les douches et les toilettes étaient cassées, à cause de l’usure… De l’urine coulait jusqu’à l’endroit où on dormait, nous devions nettoyer. ». Sayed a noté l’absence d’aide de l’État, déclarant que seules des « personnes ordinaires de Belgique – des bénévoles ne travaillant pas pour les autorités étatiques – étaient venues au squat et avaient apporté de la nourriture et des vêtements chauds. Les gens comprenaient notre souffrance, mais pas les autorités. »

Des organisations de la société civile et des bénévoles ont fait preuve – et continuent de le faire – d’une empathie et d’une solidarité admirables, prodiguant une aide humanitaire d’urgence. Leurs services sont cependant surchargés et il n’est en aucun cas de leur responsabilité de compenser les manquements de l’État.

Impacts à long terme du sans-abrisme

Les manquements en matière d’accueil affectent également en profondeur l’avenir des personnes demandeuses d’asile en Belgique, limitant leur accès au marché du travail ou à l’éducation. Les personnes interrogées ont ainsi mis en évidence le fait qu’elles n’étaient pas autorisées à travailler parce qu’elles n’avaient pas d’adresse fixe.

Hassan, un Syrien qui a dormi pendant trois mois sur des palettes en bois, a évoqué l’importance d’avoir un emploi pour son indépendance et son inclusion sociale, mais aussi comme moyen d’apporter une contribution à la société belge : « Utilisez-nous, s’il vous plaît. Essayer de nous utiliser pour être de bonnes personnes et soutenir ce pays parce que nous sommes ici maintenant, et nous ferons partie de l’économie. »

Baraa, originaire de Gaza, a expliqué qu’il souhaitait simplement «  une vie simple, des droits essentiels, un emploi, de la nourriture dans [son] ventre et vivre comme une personne normale. Nous avions une vie à Gaza, mais il nous manquait la sécurité, et c’est pour cela que nous sommes partis. C’est pour cela que nous sommes venus ici : pour trouver un lieu sûr. »

« Ce rapport doit être un signal d’alarme pour le gouvernement belge et l’Union européenne. La Belgique produit activement de la misère humaine, laissant la société civile remédier tant bien que mal aux ravages causés par les autorités. Sans réaction urgente, la situation ne fera qu’empirer, consacrant comme nouvelle norme le piétinement des droits des personnes demandeuses d’asile et le délitement de l’état de droit. Toute cette situation ne fait que saper l’engagement pris par la Belgique et l’Union européenne en faveur des droits humains », alerte Carine Thibaut.

Plus d’excuses : la Belgique et l’Union européenne doivent agir

Amnesty International exhorte le gouvernement belge à fournir immédiatement un nombre suffisant de places d’accueil et à veiller à ce que toutes les personnes demandant l’asile soient accueillies de manière adéquate. Les autorités doivent veiller à ce que les personnes aient accès à des services de santé adéquats, y compris un soutien psychologique spécialisé, quelle que soit leur situation en matière de logement.

En priorité, des mesures immédiates doivent être prises pour créer sans délai des capacités d’accueil supplémentaires. Il est par ailleurs indispensable que celles-ci soient complétées par une activation du « plan de répartition » prévu par la loi. Amnesty International demande également que soient mis en œuvre des plans d’urgence visant à gérer les fluctuations du nombre de demandes d’asile, et ce, afin qu’aucune personne en quête de protection ne se retrouve sans abri.

Entre-temps, il est fondamental que les organisations de la société civile venant en aide aux personnes demandeuses d’asile bénéficient d’un soutien financier et logistique de façon à ce qu’elles soient en mesure de poursuivre leur travail essentiel.

Enfin, Amnesty International appelle la Commission européenne à veiller à ce que la Belgique respecte à nouveau la directive sur les conditions d’accueil, y compris en lançant des procédures d’infraction si nécessaire. L’échec de la Belgique en matière d’accueil n’est pas un problème isolé, mais un indicateur de la capacité de l’Union européenne à faire respecter les droits fondamentaux par les États membres.

Complément d’information

Le refus persistant de la Belgique de respecter les droits fondamentaux des personnes demandeuses d’asile se poursuit depuis 2021 et a déjà été condamné par Amnesty International. Ce nouveau rapport met en exergue l’impact humain de ce refus et comprend des témoignages de personnes demandeuses d’asile livrées à elles-mêmes, tentant désespérément d’accéder aux nécessités les plus élémentaires telles que l’hébergement et les soins de santé.

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