Certaines régions d’Éthiopie sont en proie à une contestation quasi interrompue depuis novembre 2015. En Oromia, le mouvement de protestation a vu le jour à la suite d’un projet d’extension de la capitale, Addis-Abeba, dans la région, puis a intégré d’autres revendications. Dans la région Amhara, des manifestations contre la détention arbitraire et en faveur de l’autodétermination ont commencé en août 2016.
Les forces de sécurité éthiopiennes ont régulièrement eu recours à une force excessive, y compris meurtrière, pour disperser les manifestants. Ces interventions se sont traduites par la mort de plus de 600 manifestants en Oromia et plus de 200 autres dans la région Amhara.
Des centaines de militants politiques, de défenseurs des droits humains, de journalistes et de manifestants ont été arrêtés. Au moins 200 ont été inculpés aux termes de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme et sont en cours de procès.
En Oromia, les tensions se sont accrues ces dernières semaines à la suite d’un mouvement de foule lors de la fête oromo de l’Irrecha, qui s’est soldé par la mort d’au moins 55 personnes. Les informations divergent quant à l’origine de la bousculade intervenue à Bishoftu. Selon le gouvernement, elle a été déclenchée par des manifestants opposés à la paix, mais selon les militants oromos, ce sont les forces de sécurité qui ont provoqué l’incident en tirant des bombes lacrymogènes et en faisant feu à balles réelles contre la foule.
Ces événements ont été suivis de nouvelles manifestations dans plusieurs villes, dont certaines ont dégénéré. Des manifestants s’en sont pris à des entreprises locales et étrangères, à des exploitations agricoles et à des véhicules, en particulier aux abords d’Addis-Abeba. Selon certaines informations, par ailleurs, des manifestants ont attaqué les forces de sécurité. Des manifestations pacifiques se sont également déroulées dans plusieurs localités de la région Amhara.
Face à cette situation, le gouvernement éthiopien a fortement limité l’accès à Internet et a déclaré l’état d’urgence le 9 octobre. En vertu de ce dernier, d’importantes restrictions ont été imposées à toute une série de droits fondamentaux, dont certains ne peuvent faire l’objet de dérogations. Un grand nombre de militants politiques, défenseurs des droits humains, manifestants et journalistes ont en outre été arrêtés par les forces de sécurité. Beaucoup d’entre eux ont été inculpés d’incitation à la violence, dans certains cas sur la base de témoignages de tiers indiquant qu’ils les avaient entendus critiquer le gouvernement.
Amnesty International considère que le mouvement de contestation en Éthiopie est sous-tendu par des problèmes fondamentaux de droits humains non résolus jusqu’à présent.
L’organisation craint qu’une répression accrue de la part des autorités ne fasse qu’aggraver la situation. Le gouvernement peut empêcher que de nouvelles violations des droits humains ne soient commises, en ouvrant un dialogue constructif et en s’efforçant de résoudre les questions de fond en matière de droits humains qui sont à l’origine de la contestation populaire.
C’est pourquoi Amnesty International demande au gouvernement éthiopien de prendre en compte les revendications des manifestants en matière de droits humains, et de réitérer son engagement à respecter et protéger les droits humains et à s’acquitter des obligations qui sont les siennes dans ce domaine.
Plus spécifiquement, l’organisation demande au gouvernement éthiopien de cesser d’utiliser une force excessive et injustifiée contre les manifestants ; de ne pas arrêter des personnes qui ne font qu’exercer leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, et de ne pas les inculper pour de telles activités ; de faire en sorte que les observateurs indépendants puissent recueillir des informations sur la situation ; et de respecter ses promesses de réforme, en assurant la mise en conformité totale du cadre légal, institutionnel et politique avec les obligations internationales relatives aux droits humains souscrites par le pays.
UNE PROTESTATION DE GRANDE AMPLEUR QUI NE FAIBLIT PAS
RÉGION OROMIA
Des manifestations contre les autorités éthiopiennes se déroulent dans tout l’Oromia depuis novembre 2015. À l’origine du mouvement de protestation qui s’étend à tout le territoire local se trouve le projet de schéma directeur pour le développement intégré d’Addis-Abeba, qui se traduirait par la perte de terres dans la région et l’expulsion forcée d’agriculteurs oromos. Les revendications initiales des manifestants ont toutefois évolué, et les contestataires demandent désormais la libération des prisonniers politiques oromos, l’égalité pour tous les citoyens quelle que soit leur appartenance ethnique ainsi que le renvoi devant la justice des responsables présumés des violations des droits humains commises lors de la répression musclée menée par les forces de sécurité officielles.
Depuis le début des manifestations dans l’Oromia, Bekele Gerba, vice-président du Congrès fédéraliste oromo (CFO), Dejene Tafa, secrétaire général adjoint du CFO, et d’autres protestataires ont été arrêtés et inculpés aux termes de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme, souvent utilisée par le gouvernement éthiopien pour réduire au silence l’opposition politique, les médias indépendants et les blogueurs. Le texte donne une définition si large du terrorisme qu’il punit de fait l’exercice légitime de la liberté d’expression. Il autorise par ailleurs le placement en détention sans présentation à un juge pendant une durée de quatre mois. Des personnes qui ont été inculpées en vertu de cette loi dans le passé ont déclaré à Amnesty International qu’elles avaient été soumises à des actes de torture et d’autres mauvais traitements pendant cette période de détention. Depuis le début des manifestations dans la région Oromia en 2015, les autorités éthiopiennes ont arrêté et inculpé 135 responsables politiques et militants oromos aux termes de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme.
Par ailleurs, les forces de sécurité ont tué des centaines de manifestants et en ont blessé des milliers d’autres. Elles ont procédé à des dizaines de milliers d’arrestations.
Elles ont tiré à balles réelles et fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques pour disperser les protestataires. L’annonce par le gouvernement, en janvier 2016, de l’annulation du schéma directeur, n’a pas suffi à éteindre la contestation.
La tragédie intervenue le 2 octobre à Bishoftu pendant la fête oromo de l’Irrecha a mis un terme au calme relatif qui s’était installé depuis la mi-septembre et plongé la région dans une nouvelle spirale de violences. Selon les informations recueillies, la mort de manifestants lors d’un mouvement de foule durant cette célébration est due à une utilisation disproportionnée et injustifiée de la force par les organes chargés de la sécurité. Le gouvernement a démenti que les forces de sécurité aient pu jouer un rôle quelconque dans cette bousculade mortelle et rejeté la responsabilité sur des « éléments opposés à la paix ». Cette attitude n’a fait que renforcer les tensions dans la région, comme nous l’exposons en détail plus loin.
RÉGION AMHARA
Des habitants des villes de Gondar, Debre Tabor, Bahir Dar et Debre Markos, dans la région Amhara, ont rejoint le mouvement de protestation à la fin de juillet 2016, après l’arrestation arbitraire de membres du Comité de Wolkait pour l’identité et l’autodétermination des Amharas. Fondé en novembre 2014, le Comité œuvre en faveur de l’exercice du droit à l’autodétermination des habitants du district de Wolkait.
Le 31 juillet 2016, un immense rassemblement a eu lieu à Gondar, sans aucun débordement. Les 5 et 6 août 2016, cependant, les forces de sécurité sont intervenues en faisant usage d’une force arbitraire et excessive lors de manifestations qui se déroulaient de manière essentiellement pacifique dans d’autres villes des régions Amhara et Oromia, ainsi qu’à Addis-Abeba. Plus de 100 personnes ont été tuées en deux jours. Les forces de sécurité ont aussi arrêté de nombreux manifestants, qu’elles ont placés de manière arbitraire dans des lieux de détention non officiels, y compris des camps d’entraînement de l’armée et de la police.
Amnesty International a recueilli auprès de plusieurs personnes détenues arbitrairement et remises en liberté par la suite des témoignages faisant état de torture et d’autres mauvais traitements en détention. L’usage excessif et arbitraire de la force meurtrière par les forces de sécurité pour disperser des manifestants a entraîné la mort de quelque 800 personnes dans les régions Oromia et Amhara depuis novembre 2015. Ces homicides pourraient s’apparenter à des exécutions extrajudiciaires
RÉGION DES NATIONS, NATIONALITÉS ET PEUPLES DU SUD
Depuis juillet 2015, les Konsos de la région des Nationalités, nations et peuples du Sud ont eux aussi mené plusieurs manifestations pour réclamer une administration autonome de leur territoire et faire valoir leur droit à l’autodétermination. Les forces de sécurité officielles ont répondu en faisant usage d’une force excessive, ont tué des manifestants et incendié des habitations.
DE LA CONTESTATION À LA VIOLENCE
Après les événements de l’Irrecha, qui sont venus s’ajouter à la réponse des autorités éthiopiennes, constamment axée sur la répression et non sur la prise en compte des revendications, les manifestations ont dégénéré en violences. Certains manifestants ont incendié des entreprises et des projets d’investissement. C’est ce que des militants oromos ont baptisé la « semaine de la rage ». La cimenterie Dangote, une usine de câbles turque, la mine aurifère MIDROC et une exploitation néerlandaise de production de fleurs figurent parmi les structures prises pour cible par les protestataires, qui expliquent que les entreprises visées sont implantées sur des terres confisquées aux fermiers oromos.
Juste après les événements de Bishoftu, des habitants de plusieurs villes ou secteurs de l’Oromia – Dukem, Adama, Choa-Nord et Choa-Ouest, Bale, Wolléga-Est et Wolléga-Ouest – se sont livrés à des protestations violentes. Ils ont bloqué des routes et incendié des véhicules, des bâtiments de l’administration locale et des postes de police. Dans certaines localités de l’Oromia, les contestataires ont chassé les responsables de l’administration locale et déclaré l’autonomie. À la suite des événements de l’Irrecha, des affrontements ont également opposé, dans la zone Arsi-Ouest (Shashemene, Aje, Kofele, Adaba, Region) de la région Oromia, les forces de sécurité et des habitants armés.
Des rassemblements pacifiques de solidarité avec la « semaine de la rage » en Oromia ont par ailleurs eu lieu dans certaines localités de la région Amhara.
Seul le droit de réunion pacifique est protégé par le droit international relatif aux droits humains. Dans le cas de rassemblements violents, cependant, les forces de sécurité demeurent dans l’obligation de se conformer aux règles régissant le recours à la force, et notamment les principes de nécessité et de proportionnalité. Les forces de sécurité peuvent faire usage de la force et d’armes à feu uniquement lorsque les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’atteindre l’objectif légitime visé. Et dans ce cas, elles ont l’obligation d’en user avec modération et d’agir de manière proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre. Lorsque les manifestants se livrent à des actes constitutifs d’infractions pénales, les forces de sécurité doivent agir dans le respect des procédures prévues par la loi, conformément aux obligations en matière de droits humains souscrites par l’Éthiopie qui concernent le respect du droit à la liberté et du droit à un procès équitable.
LA RÉACTION DU GOUVERNEMENT APRÈS LES ÉVÉNEMENTS DE L’IRRECHA
L’attitude du gouvernement éthiopien, qui refuse d’engager un dialogue constructif sur les revendications des manifestants, continue d’alimenter les troubles civils. On entend aujourd’hui chez les protestataires et les leaders d’opinion un discours préconisant la destruction de biens et le rejet des autorités, qui pourrait entraîner un effondrement de l’ordre public.
RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET À L’ACCÈS À L’INFORMATION
Selon des informations dignes de foi, les autorités ont bloqué les services de données mobiles dans la soirée du 4 octobre 2016 et suspendu à de nombreuses reprises les services de téléphonie mobile depuis cette date. Des sources crédibles ont indiqué Amnesty International que les services de données mobiles ne fonctionnaient pas à Addis-Abeba ainsi que les régions Oromia et Amhara depuis le 4 octobre 2016. On ignore ce qu’il en est exactement de la situation des services Internet dans les autres régions. Les services de « haut débit » fonctionnent, mais les connexions sont lentes.
Google a enregistré à partir d’octobre une baisse de trafic en Éthiopie pour les services de recherche, ainsi qu’une chute marquée du trafic sur Youtube. Certaines informations ont également fait état de blocages du site Facebook en octobre, et de ruptures d’Internet durant les manifestations du mois d’août.
UTILISATION ARBITRAIRE ET DISPROPORTIONNÉE DE LA FORCE
Les forces de sécurité ont eu recours à la force pour répondre aux destructions de bâtiments, de projets d’investissement et de véhicules dans certaines localités de l’Oromia à la suite des événements de l’Irrecha, dans des conditions non conformes aux normes internationales et régionales prévoyant que la force ne doit être utilisée que lorsque cela est strictement nécessaire et uniquement dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions. Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et meurtrière qui a provoqué la mort de manifestants dans plusieurs villes de l’Oromia, et notamment Dembi Dolo, Dukem, Arsi et Bishoftu.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Les arrestations et placements en détention arbitraires de manifestants et de personnes qui expriment publiquement leurs opinions politiques se poursuivent. On peut citer notamment celle de Natnael Feleke, un blogueur de Zone 9, intervenue le 4 octobre. Les autorités ont interpellé des membres de premier plan du parti d’opposition Semayawi – Blen Mesfin, Eyasped Tesfaye, Tena Yitnaw, Abebe Akalu et Aweke Tezera, entre autres. Tous ont été inculpés d’incitation à la violence, sur la base de témoignages de personnes les ayant entendus tenir des propos hostiles au régime. Au moment de la publication de cette déclaration, Eyosped Tesfaye et Tena Yitnaw n’avaient pas été déférés pour se voir signifier officiellement les charges retenues contre eux. On ignore exactement pour l’instant si ces membres du parti Semayawi ont été arrêtés en vertu des dispositions de l’état d’urgence.
Le 14 octobre, les forces de sécurité ont par ailleurs interpellé 27 étudiants oromos à la cafétéria de l’université d’Arba Minch. Le lundi 17 octobre, on ignorait toujours ce qu’il était advenu d’eux.
REFUS DE PRENDRE EN COMPTE LES PROBLÈMES FONDAMENTAUX EN MATIÈRE DE DROITS HUMAINS
Plutôt que de chercher à comprendre et à prendre en compte les revendications des manifestants, le gouvernement préfère accuser ces derniers d’être des « forces opposées à la paix » et des « terroristes » soutenus par l’Égypte et l’Érythrée. Le parti au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire populaire éthiopien (FDRPE), a promis d’entreprendre en octobre 2016 des réformes fondamentales en matière de bonne gouvernance. On n’a cependant vu pour l’instant aucun signe montrant une quelconque volonté de mise en œuvre. S’adressant aux deux chambres du Parlement fédéral le 10 octobre 2016, le président Mulatu a accusé Ginbot-7 et le Front de libération oromo (FLO) d’être responsables des troubles civils. Le chef de l’État a indiqué que le gouvernement fédéral allait se restructurer et modifier la loi électorale, mais n’a pas abordé dans son discours les préoccupations de fond exprimées par les manifestants.
DÉCLARATION D’ÉTAT D’URGENCE
Le 8 octobre 2016, le Conseil des ministres a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire. Un poste de commandement a été créé et placé sous l’autorité du Premier ministre, qui en choisira les membres. Le poste de commandement déterminera et annoncera dans quelles villes les droits individuels seront restreints. La déclaration d’état d’urgence précise les restrictions des droits humains pouvant être imposées par le poste de commandement. Il peut notamment :
• Interdire toute incitation, ouverte ou non, à la violence et au conflit ethnique, sous quelque forme d’expression que ce soit.
• Fermer ou suspendre tout organe de presse.
• Interdire des rassemblements, des organisations ou des manifestations.
• Procéder à l’arrestation de toute personne soupçonnée de faire usage de violence dans les zones spécifiques dont il a dressé la liste. Les personnes arrêtées seront soumises à des mesures d’éducation et remises en liberté ; le cas échéant, elles seront sanctionnées en vertu de la loi applicable.
• Soumettre toute personne à une fouille, perquisitionner dans tout local, et saisir le cas échéant les produits de ces opérations.
• Imposer le couvre-feu.
• Fermer l’accès de toute route ou lieu public, et faire évacuer des personnes se trouvant dans certains lieux.
• Interdire la détention d’armes et de matériaux combustibles dans des zones spécifiques.
• Procéder à l’évacuation de personnes vulnérables à certaines menaces et les placer dans des lieux sûrs pour une période de temps limitée.
• Restaurer les structures publiques dans les zones où les organes administratifs sont devenus inopérants, en coopération avec les gouvernements régionaux et la population locale.
• Utiliser, de manière proportionnée, la force nécessaire à la mise en œuvre de l’état d’urgence.
• Suspendre l’application de lois nationales, qu’elles établissent des règles de droit substantiel ou des règles de procédure.
Amnesty International est très vivement préoccupée par le caractère ambigu et la portée très large de la déclaration d’état d’urgence. Des dispositions pourraient donner lieu à des violations de la Constitution éthiopienne et du droit international et régional relatif aux droits humains, ainsi que des normes en la matière, notamment le droit à un procès équitable et les droits avant le procès, tel que le droit de ne pas être soumis à une arrestation arbitraire ou de ne pas être détenu arbitrairement.
Dans un contexte où les forces de sécurité font très largement usage de la force contre les manifestants, la déclaration va permettre de justifier de nouvelles violations de droits non susceptibles de dérogation, comme le droit de ne pas être soumis à la privation arbitraire de la vie.
En outre, les autorités éthiopiennes ne se sont pas acquittées de l’obligation qui est la leur d’informer les autres États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’imposition de l’état d’urgence (article 4-3 du PIDCP).
Amnesty International s’inquiète également de l’imprévisibilité liée à la déclaration d’état d’urgence : le poste de commandement dispose en effet pour une durée indéfinie du pouvoir de déterminer les zones concernées et les restrictions applicables. Aucun organe de supervision chargé de contrôler les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, et de mener le cas échéant une enquête à ce propos, n’a par ailleurs été prévu.
Le poste de commandement a émis le 15 octobre 2016 une directive pour la mise en œuvre de l’état d’urgence. Elle énonce d’une part une série d’interdictions, certaines dans l’ensemble du pays et d’autres dans des zones spécifiques, d’autre part les mesures prises au titre de l’état de l’état d’urgence en cas de violation des interdictions, et enfin les dispositions relatives aux poursuites pénales et à la réinsertion.
La directive interdit notamment, sur l’ensemble du territoire :
• D’échanger par tout moyen de communication (Internet, radio, télévision, réseaux sociaux, papier et autres) des messages susceptibles de provoquer des violences, des troubles ou un conflit entre les personnes.
• De communiquer avec les groupes désignés comme groupes terroristes, de détenir et distribuer des publications de groupes terroristes, de détenir des emblèmes utilisés par des groupes terroristes ou de promouvoir de tels emblèmes.
• De regarder, écouter, utiliser ou évoquer les programmes de l’Ethiopian Satellite Radio and Television (ESAT), de l’Oromo Media Network (OMN) et d’autres organes de groupes terroristes.
• De ne pas assurer le service public, de fermer une boutique ou de ne pas se présenter à son travail, à moins d’avoir une raison valable.
• D’exercer sur les personnes travaillant dans les services publics ou dans le secteur privé des menaces ou des actes d’intimidation en vue de les dissuader de se rendre à leur travail.
• D’inciter dans les enceintes sportives à des troubles ou violences contraires à l’esprit du sport.
• D’entraver le bon déroulement d’une cérémonie publique ou religieuse, ou d’interrompre une telle cérémonie, ou de proférer des slogans au contenu politique ou sans rapport avec la cérémonie.
• D’avoir avec des gouvernements ou des organisations non gouvernementales étrangers des relations ou des communications susceptibles de mettre en danger la souveraineté, la sécurité et l’ordre constitutionnel du pays.
• Pour les partis politiques, de publier des communiqués de presse susceptibles de mettre en danger la souveraineté, la sécurité et l’ordre constitutionnel du pays.
Certaines des mesures autorisées au titre de l’état d’urgence pour la mise en œuvre des interdictions imposent des restrictions particulièrement sévères en termes de droits humains :
• Arrestation sans mandat.
• Détention dans des lieux désignés par le poste de commandement, jusqu’à la levée de l’état d’urgence.
• Perquisition sans mandat de tout local et à tout moment.
• Surveillance et contrôle de tous les messages transmis à la télévision et à la radio, par des articles, des images, des photographies, des œuvres théâtrales ou cinématographiques.
La directive prévoit en outre que :
« Toute personne ayant pris part au cours de l’année écoulée à des troubles ou des violences et [...] qui a fait circuler des appels à la grève, participé à des grèves ou incité à faire grève, et qui se présente au poste de police le plus proche dans les 10 jours suivant la publication de la présente directive, sera remise en liberté après avoir fait l’objet de mesures de réinsertion appropriées, lesquelles seront déterminées par le poste de commandement en fonction du degré d’implication de l’intéressé(e). »
L’ambiguïté demeure sur le contenu et la durée exacts des « mesures de réinsertion », mais les cas d’arrestations massives de manifestants intervenus dans le passé montrent que la « réinsertion » est généralement synonyme de détention arbitraire dans une base militaire isolée sans possibilité de contact avec ses proches ou son avocat. Les personnes faisant l’objet de mesures de « réinsertion » dans une base militaire sont souvent soumises à des actes de torture et d’autres mauvais traitements, sont mal nourries et ne reçoivent pas les soins dont elles peuvent avoir besoin. Le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements est l’un des droits qui ne peuvent faire l’objet d’une dérogation en cas d’état d’urgence.
RECOMMANDATIONS
La réponse du gouvernement éthiopien à la contestation persistante dans les régions Oromia et Amhara place le pays au bord de la rupture. Amnesty International pense cependant que le gouvernement peut empêcher que de nouvelles violations des droits humains ne soient commises, en ouvrant un dialogue constructif et en s’efforçant de résoudre les questions de fond en matière de droits humains qui sont à l’origine de la contestation populaire. Lors d’un forum sur l’Éthiopie organisé le 2 juin 2016 par Amnesty International pour examiner la situation des droits humains depuis la chute du Dergue, en 1991, de nombreux Éthiopiens ont exprimé leur inquiétude face à ce qu’ils considéraient comme une discrimination systémique vis-à-vis de nombreuses communautés, tenues à l’écart des processus de prise de décision, et ce malgré les promesses du pouvoir fédéral de s’attaquer à ce problème. La discrimination et la marginalisation systémiques sur la base de critères ethniques ou régionaux sont les racines profondes des troubles actuels, auxquels elles contribuent. Face au caractère généralisé et systémique d’autres violations des droits humains, il est urgent d’agir et de réformer concrètement la loi et les institutions.
C’est pourquoi Amnesty International demande au gouvernement éthiopien de prendre en compte les revendications des manifestants en matière de droits humains, et de réitérer son engagement à respecter et protéger les droits humains et à s’acquitter des obligations qui sont les siennes dans ce domaine.
Spécifiquement, Amnesty International demande au gouvernement éthiopien de :
• Mettre un terme à l’utilisation excessive ou arbitraire de la force contre les manifestants.
• Veiller à ce que les manifestants, les membres et les dirigeants de partis d’opposition, les journalistes et les blogueurs qui ont été arrêtés pour l’unique raison qu’ils avaient exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion, soient remis en liberté immédiatement et sans condition.
• Veiller à ce que tous les cas présumés d’usage excessif ou arbitraire de la force meurtrière par des agents des forces de sécurité contre des manifestants fassent l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête indépendante, exhaustive, impartiale et transparente, et que les responsables présumés soient traduits en justice dans le cadre d’une procédure équitable excluant le recours à la peine de mort.
• Rendre publiques les conclusions de ces enquêtes et déferrer à la justice, dans le cadre de procédures équitables excluant le recours à la peine de mort, toute personne contre qui il existe suffisamment de preuves recevables la mettant en cause pour des violations des droits humains constitutives de crimes – exécutions extrajudiciaires ou disparitions forcées notamment.
• Autoriser l’accès au pays des acteurs chargés de mener des enquêtes internationales et indépendantes sur les allégations de violations des droits humains perpétrées dans le cadre de la contestation actuelle.
• Coopérer avec les mécanismes spéciaux de l’Union africaine et des Nations unies, notamment en donnant les accès nécessaires aux titulaires de mandats de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples concernés ; et en donnant les accès nécessaires aux rapporteurs spéciaux des Nations unies concernés, dont le rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association, le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
• Modifier la Loi relative à la lutte contre le terrorisme et la Loi sur les sociétés et les organisations caritatives, afin de les mettre en conformité avec les obligations relatives aux droits humains incombant à l’Éthiopie au regard des traités régionaux et internationaux.
• Pour apporter une réponse aux revendications des manifestants, veiller à ce que chacun puisse avoir un accès effectif à la justice, dans des conditions d’égalité ; bénéficier d’une réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi ; et avoir accès aux informations utiles concernant les violations et les mécanismes de réparation.
Amnesty International demande à l’Union africaine d’exhorter le gouvernement éthiopien à :
• Mettre en œuvre les recommandations énoncées ci-dessus.
• Se conformer pleinement à ses obligations au regard de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
• Autoriser l’accès au pays des acteurs chargés de mener des enquêtes internationales et indépendantes sur les allégations de violations des droits humains perpétrées dans le cadre de la contestation actuelle.
Amnesty International demande également à la communauté internationale, en particulier les Nations unies ainsi que ses États membres, d’exhorter le gouvernement éthiopien à :
• Mettre en œuvre les recommandations énoncées ci-dessus.
• Se conformer pleinement aux obligations relatives aux droits humains lui incombant au regard de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des instruments qu’il a ratifié, notamment, mais pas exclusivement, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
• Coopérer avec les mécanismes spéciaux des Nations unies et de l’Union africaine, notamment en donnant les accès nécessaires aux titulaires de mandats de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples concernés ; et en donnant les accès nécessaires aux rapporteurs spéciaux des Nations unies concernés, notamment le rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association, le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.