COMMUNIQUÉ DE PRESSE

« Les bombardements n’ont cessé qu’au lever du soleil » – Gaza prise pour cible

Par un militant de terrain défendant les droits humains à Gaza

Lundi 28 juillet et la nuit qui a suivi, nous avons connu les heures les plus terrifiantes du conflit en cours. Les violences ont fini par s’étendre à la zone où je vis ; où mes voisins, mes enfants et moi-même pensions être en sécurité.

Après une journée de travail à recueillir des informations sur l’homicide de jeunes garçons dans le camp de réfugiés de Shati, le premier jour de l’Aïd, et sur la mort du premier chrétien palestinien dans le cadre du conflit actuel - tous deux près de chez moi -, je me suis allongé sur le canapé et j’ai commencé à regarder la télé. Il y a eu une coupure, mais j’avais allumé le générateur.

Les informations m’aident à voir les événements dans leur globalité, parce que pendant la journée, je me concentre surtout sur des cas et des détails spécifiques. Peu après m’être allongé vers 22 h 30, j’ai sombré dans un sommeil profond et la télécommande m’est tombée de la main. J’ai été réveillé par une très forte explosion, suivie de nombreuses autres très rapprochées. Nous sommes habitués au bruit des bombardements israéliens, mais ces explosions étaient extrêmement fortes, ce qui nous a indiqué qu’elles étaient toutes proches.

Les enfants et les autres membres de ma famille qui ont été déplacés et vivent actuellement avec moi ont accouru. J’étais toujours allongé sur le canapé, épuisé. Lorsque les bombardements se rapprochent ou quand les membres de ma famille ont peur, ils viennent toujours me trouver. Ils pensent que je peux les en protéger ou que je suis un genre de héros. En réalité, bien entendu, il n’y a rien que je puisse faire.

Des bombes illuminent le ciel

Je me suis levé et j’ai vu le ciel éclairé par ces fortes explosions non loin, à Al Abbas, à Ansar, dans le secteur de l’hôpital de Shifa, et vers le port de Gaza. Peu après, des tirs d’obus provenant de navires israéliens et des bombardements aériens d’une grande intensité ont commencé. Le bruit des explosions, des bris de vitres et de murs s’écroulant était écrasant. J’ai dit aux enfants et aux autres de courir en bas se cacher sous l’escalier, et d’essayer de rester du côté est parce que les pilonnages venaient de la mer, à l’ouest. Les fenêtres de ma maison ne se sont pas cassées, parce que j’y avais collé des bandes verticales et horizontales de chatterton pour renforcer le verre.

C’était terrifiant, absolument terrifiant. Les bombardements ont continué jusqu’à six heures du matin. Ils ne se sont arrêtés qu’au lever du soleil.

Vers 3 heures du matin, l’immeuble à l’ouest de ma maison et l’immeuble de devant ont été atteints par des missiles tirés par des avions. Les explosions étaient causées par un mélange de tirs d’obus provenant de bateaux et de bombardements aériens.

Nulle part où aller

Ma famille et les voisins ont paniqué, et certains ont commencé à quitter leur domicile, sans savoir où aller. Mes proches m’ont demandé s’il fallait quitter notre maison et les voisins nous criaient aussi de partir, mais où pourrions-nous aller ? J’ai dit à tout le monde que nous devrions rester. Imaginez si nous étions partis vers l’hôpital de Shifa, qui a été bombardé mercredi 30 mais reste considéré comme l’endroit le plus sûr de Gaza. Pour nous y rendre, il faudrait marcher tous ensemble avec des enfants en rasant les murs. Il est possible que les drones ne nous voient pas comme une famille qui fuit, et nous pourrions alors facilement nous faire bombarder. J’ai bien répété à tout le monde que nous n’avons nulle part où aller et que nous devrions rester sous les escaliers en bas de notre immeuble.

Certains voisins sont arrivés à rejoindre l’hôpital de Shifa et nous ont dit le lendemain à quel point il était bondé. J’ai pensé aux personnes qui ont été forcées à fuir leur domicile à Shujaiya et dans d’autres quartiers – elles sont désormais sans abri et ne reçoivent aucun soutien. J’ai pensé que je pourrais bientôt être dans le même cas. Mais je n’en ai rien dit à ma famille.

Nous avons passé huit heures à nous cacher au même endroit. De temps en temps l’un de nous allait faire du thé ou du café pour passer le temps. Mais l’atmosphère était frénétique ; mes enfants riaient comme des fous, puis éclataient en sanglots l’instant d’après. À un moment, ma petite, Huda, s’est mise à frissonner et son corps était gelé ; c’était comme si quelqu’un l’avait jetée dans de l’eau glacée. D’autres enfants ont aussi commencé à pleurer.

Des médias réduits au silence

Le plus effrayant c’est quand ils ont bombardé l’immeuble abritant les médias. Lors des raids, nous sommes scotchés aux informations diffusées à la radio, que nous écoutons sur nos portables et qui nous relient au monde extérieur. Sans cela, il n’y a que le bruit des bombes. Nous écoutions radio Al Aqsa, mais elle a arrêté d’émettre après avoir été frappée. Nous sommes passés à d’autres stations mais elles ont toutes disparu des ondes, l’une après l’autre. C’était le plus inquiétant pour moi parce que j’avais l’impression d’avoir perdu le peu de contrôle que j’avais sur la situation.

Nous sommes restés silencieux tandis que les bombardements se poursuivaient, ce qui au bout d’une ou deux heures devient un bruit de fond auquel on s’habitue, comme celui du générateur ou du frigo.

Rumeurs et confusion dans le noir

De fausses informations ont commencé à circuler, suscitant panique et confusion. Sans aucune électricité, nous étions alors dans l’obscurité la plus totale. J’aurais pu allumer le générateur mais j’avais besoin d’entendre les avions de guerre et les drones pour savoir à quelle distance ils se trouvaient.

À 6 heures le matin du 29 juillet, lorsque les bombardements ont cessé, je suis descendu jeter un œil à ma voiture et aux environs. Je m’inquiétais des éventuels dégâts occasionnés à ma voiture parce que, croyez-le ou non, à Gaza les assurances ne couvrent pas les dommages causés par la guerre. C’est fou ; on a la guerre tout le temps.

J’ai découvert un large cratère au milieu de la rue, apparemment creusé par un obus tiré depuis un bateau. C’était affolant de constater à quel point il était proche de chez nous. Puis je suis allé chez mes voisins et j’ai vu qu’un obus avait transpercé le toit. Les maisons de deux autres voisins avaient subi le même sort.

En bombardant notre quartier, ils envoient le message que l’on n’est vraiment en sécurité nulle part à Gaza. Je me suis rendu compte qu’à tout moment, mon quartier pouvait subir le même sort que Shujaiya – une zone réduite en ruines par les bombes.

S’habituer à la terreur

Après avoir effectué une vérification rapide dans le quartier, je suis rentré chez moi et j’ai dormi pendant quelques heures. Puis je me suis levé, j’ai pris une douche froide et je suis reparti au travail comme si de rien n’était. C’est ça, la vie à Gaza, la terreur la nuit et les massacres le jour. On s’y habitue ; on n’a pas le choix.

Je fais mon travail le jour et je ne pense pas à la nuit avant qu’elle n’arrive, sinon je n’arrête pas de m’inquiéter. Ce qui est important, c’est que ma famille et moi-même nous réveillions tous en sécurité. Dans tous les cas, nous n’avons nulle part où aller ; nous pouvons seulement rester chez nous.

L’impression d’être utile, sur fond de danger

Au moins j’ai le sentiment de servir à quelque chose pendant ces épreuves, et c’est ce qui m’aide à continuer.

J’ai besoin de rester concentré sur ma tâche, qui consiste à recueillir des informations sur les violations des droits humains et à en rendre compte – afin que le reste du monde puisse connaître la vérité sur ce qui se passe à Gaza. J’ai l’impression d’avoir un devoir à remplir, non seulement envers Gaza, mais également envers l’humanité dans son ensemble.

Ce qui se passe ici n’est pas spécifique aux Palestiniens, cela concerne la race humaine toute entière.

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