Bosnie-Herzégovine, justice pour les victimes de violences sexuelles

À l’approche de l’examen par le Comité des droits de l’homme des Nations unies du troisième rapport périodique de la Bosnie-Herzégovine sur l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), Amnesty International a présenté un dossier au Comité, mettant en évidence des préoccupations relatives aux violations des droits humains en lien avec le conflit armé de 19921995 en Bosnie-Herzégovine.
Amnesty International est vivement préoccupée par l’incapacité persistante des autorités bosniennes à adopter et mettre en œuvre un cadre juridique et politique en vue de garantir un accès plein et effectif à la justice, à la vérité et à des réparations pour les victimes des conflits armés des années 1990, et en particulier les victimes de violences sexuelles pendant la guerre.

Les autorités en Bosnie-Herzégovine n’ont guère progressé s’agissant de remédier aux obstacles systémiques qui, 22 ans après la fin de la guerre, empêchent toujours les victimes de réaliser pleinement leurs droits. L’incapacité et le manque de volonté des élites politiques concernant l’adoption de lois et de mesures cruciales pour fournir aux victimes un statut et des réparations, et la mise en place de mesures visant à harmoniser les indemnités d’invalidité disponibles pour les victimes civiles de la guerre qui vivent dans différentes régions du pays, continuent d’entraver le cours de la justice et de faire échouer les efforts des victimes qui souhaitent reconstruire leur vie. Malgré l’initiative de certaines autorités de Bosnie-Herzégovine, en particulier du ministère des Droits de l’homme et des Réfugiés et du ministère de la Justice au niveau de l’État, visant à mettre en place le cadre juridique et politique recommandé ces dernières années, le pays n’a dans l’ensemble pas respecté pleinement ses obligations internationales ni adopté de mesures afin de garantir l’accès à la justice, à la vérité et à des réparations, ainsi que l’intégration des victimes dans la société. La Loi sur les droits des victimes de la torture, la Stratégie nationale pour la justice transitionnelle et le Programme pour les victimes de violences sexuelles pendant le conflit ont été mis au point, mais n’ont toujours pas été adoptés, faute du soutien politique nécessaire. En l’absence d’un système global au niveau de l’État, les victimes et leurs familles jouissent de leurs droits au niveau des entités, des cantons et du district de Brcko, et sont souvent en butte à une discrimination fondée sur leur lieu de résidence, à de nombreux obstacles juridiques et administratifs, et dépendent au final d’allocations pour invalidité variables.

Du fait de l’absence de soutien politique, les précédentes initiatives visant à adopter une loi nationale sur les droits des victimes de torture ont échoué, et le gouvernement de la Republika Srpska (RS) refuse de participer à la démarche lancée par le ministère des Droits de l’homme et des Réfugiés pour élaborer un nouveau projet avec un groupe de travail inter-ressources. À la place, le ministère du Travail et des Vétérans de guerre de la Republika Srpska met au point un projet de loi au niveau de l’entité sur les victimes de torture en temps de guerre. Si la loi a pour but de définir le statut et les allocations dont peuvent bénéficier les victimes, Amnesty International craint que certaines des solutions proposées sur l’éligibilité, trop restrictives, n’excluent de nombreuses victimes et leurs familles.

Amnesty International se félicite de l’adoption en Bosnie-Herzégovine de la Loi sur l’aide juridique gratuite, qui facilitera l’accès à la justice des citoyens vulnérables d’un point de vue social, notamment les victimes. Cependant, le système d’aide juridique gratuite demeure fragmenté : certaines lois clés manquent dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et deux cantons, et les agences d’aide juridique gratuite ne sont pas totalement opérationnelles dans toutes les régions du pays. L’absence de système intégré et harmonisé empêche de fournir une aide juridique cohérente, non-discriminatoire et efficace dans l’ensemble du pays. Les victimes de violences sexuelles pendant la guerre comptent parmi les groupes les plus défavorisés en Bosnie-Herzégovine et survivent souvent en marge de la société ; en Republika Srpska, elles ne sont pas même reconnues par la loi et sont exclues du système d’aide sociale.

Par ailleurs, Amnesty International salue les décisions récentes de tribunaux en Bosnie-Herzégovine qui ont accordé des indemnisations financières à des victimes de violences sexuelles pendant la guerre dans le cadre de procédures pénales. L’indemnisation pécuniaire est un élément fondamental de la justice réparatrice, qui aide à reconnaître la gravité et les conséquences des crimes commis et peut soulager les difficultés financières que rencontrent de nombreuses victimes. Amnesty International note avec préoccupation que la Bosnie-Herzégovine ne dispose pas de fonds d’indemnisation des victimes ni de mécanisme chargé d’accorder des réparations aux victimes d’actes criminels lorsque les responsables ne sont pas en mesure de s’acquitter des sommes fixées.

Amnesty International demande aux autorités bosniennes de mettre en place une politique et des mesures législatives attendues de longue date, notamment d’adopter la Stratégie nationale en matière de justice transitionnelle, le Programme pour les victimes de violences sexuelles pendant le conflit et la Loi sur les droits des victimes de la torture, de veiller à ce que les ressources et les moyens adéquats soient alloués aux organismes d’aide juridique gratuite à tous les niveaux et de proposer un mécanisme viable chargé d’indemniser les victimes lorsque des indemnisations leur sont accordées dans le cadre de procédures légales. Ces mesures permettraient à la Bosnie-Herzégovine, 22 ans après la fin de la guerre, de remplir enfin ses engagements internationaux en tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de poser les fondations d’un accès plein et entier à la justice, à la vérité et à des réparations pour les victimes de violences sexuelles pendant le conflit.

Tant que le pays ne met pas en place ces mesures systémiques, ces victimes seront privées de justice et d’une protection fondamentale pour reconstruire leur vie.

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