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Brésil 2014. Ce n’est pas sur le terrain que le combat est le plus féroce

Par Atila Roque, directeur d’Amnesty International Brésil

Le Brésil va accueillir le plus grand événement de football de la planète, où des équipes du monde entier se battent pour remporter la Coupe que tout aficionado de ce sport rêve de pouvoir un jour toucher.

Cependant, alors que Messi, Neymar et Rooney vont se mesurer sur le terrain, une autre confrontation plus grave se joue hors des stades flambant neufs du Brésil, confrontation où les « règles » sont ouvertement transgressées.

Depuis juin 2013, plusieurs centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue dans un nombre sans précédent de villes brésiliennes pour exiger, entre autres droits, des services publics de meilleure qualité, y compris en termes de transports publics. Ils sont nombreux à se plaindre que les autorités accordent trop d’attention aux demandes de la FIFA, sans guère se soucier des besoins de leur propre population.

La réaction des autorités a été tout à fait scandaleuse.

Les unités de police militaire mobilisées pour « contenir » les manifestations n’ont pas hésité une seule seconde avant de tirer du gaz lacrymogène en direction de manifestants non violents – en lançant même dans un cas à l’intérieur d’un hôpital. Elles ont également tiré des balles en caoutchouc et asséné des coups de matraque à des hommes et des femmes qui ne représentaient aucune menace.

Des centaines de personnes ont été blessées lors des nombreux mouvements de contestation organisés depuis lors. Sérgio Andrade da Silva, un photographe professionnel de 32 ans, est l’une d’entre elles. Il a perdu un œil après avoir été touché par une balle en caoutchouc lors d’une manifestation de masse à São Paulo en juin 2013.

Marié et père de deux enfants, cet homme, qui ne voit plus que d’un œil, éprouve désormais de grandes difficultés à travailler. Il n’a jamais reçu d’excuses officielles, ni de proposition de réparation de la part des autorités, et aucune enquête n’a été menée sur les actes des forces de sécurité à l’origine de son préjudice.

En janvier 2014, un autre manifestant (Vinicius Duarte, étudiant à l’université) a eu la mâchoire et le nez brisés après avoir été roué de coups par des policiers. Il se trouvait alors à l’intérieur d’un hôtel, où il s’était réfugié pour échapper au gaz lacrymogène tiré par la police dans la rue.

Et ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres. Tous scandaleux, mais loin d’être surprenants.

Même si quelques actes de violence ont été commis par de petits groupes, alors que les manifestants sont pour la plupart non violents, la réaction disproportionnée des forces de sécurité a réduit encore l’espace public pour celles et ceux qui souhaitent exercer leur droit d’exprimer leur opposition en manifestant sans recourir à la violence. L’homicide involontaire du caméraman Santiago Andrade, en février 2014, par une pièce de feu d’artifice tirée par des manifestants a depuis lors été manipulé pour ériger en infraction les mouvements de contestation.

En ce qui concerne les manifestations, le bilan des forces de sécurité du Brésil est extrêmement médiocre. Même si quelques représentants municipaux, notamment à São Paulo, ont annoncé que des enquêtes internes seraient menées sur les allégations de recours excessif à la force de la part de la police pendant les manifestations, personne n’a fait l’objet d’une procédure judiciaire ou disciplinaire d’après les informations dont nous disposons.

Ce climat d’impunité est d’autant plus dangereux qu’il est associé à l’absence de formation des membres des forces de l’ordre qui ne connaissent tout simplement pas les limites juridiques applicables à l’utilisation de la force : n’importe qui se trouvant dans la rue lors d’une manifestation risque d’être blessé.

Dans certaines villes, les pouvoirs publics ont annoncé qu’ils envisageaient de s’appuyer sur l’armée, déjà mobilisée pour assurer la sécurité lors de la Coupe du monde, pour maintenir l’ordre lors des manifestations qui devraient se dérouler en marge de cet événement, alors que les regards du monde entier sont tournés vers les terrains de football. Ce n’est pas une bonne idée étant donné l’absence de formation de l’armée brésilienne sur les fonctions de maintien de l’ordre.

« Se plaindre », c’est un peu comme « gâcher la fête » au Brésil. De fait, alors que le pays se prépare à accueillir le plus grand événement sportif de l’année, les autorités mettront tout en œuvre pour que la fête se déroule dans de bonnes conditions.

Une série de lois visant à prévenir et sanctionner le crime organisé ont par exemple été utilisées à tort pour poursuivre des personnes accusées de violences ou de dégradation de biens privés lors des manifestations.

Dans un cas, à São Paulo, la Loi sur la sécurité nationale du Brésil, adoptée sous le régime militaire (1964-1985), a été invoquée pour justifier l’arrestation et l’interrogatoire de contestataires.

Plusieurs propositions de loi, dont un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, sont en cours d’examen devant le Congrès. Il est à craindre qu’elles ne facilitent l’incrimination des manifestants.

Si le texte relatif à la lutte contre le terrorisme est adopté, une définition large du terrorisme, incluant notamment les dommages aux biens et services essentiels dans les actes terroristes, entrera alors en vigueur. Ce nouveau texte risquerait alors d’être indûment utilisé contre des manifestants.

Des propositions relatives à l’interdiction du port de masque pendant les manifestations sont aussi débattues.

Pourtant, rien ne donne à penser que le Brésil a besoin d’un cadre législatif plus strict. Le pays dispose déjà d’un vaste arsenal juridique pour intervenir en cas de violations commises lors de manifestations.

Au lieu d’adopter des textes plus sévères, le Brésil devrait mettre en place une force de sécurité correctement formée, à même d’assurer le maintien de l’ordre lors des manifestations dans le respect des normes internationales, et établir des systèmes de reddition des comptes pour les membres des forces de l’ordre qui ont un comportement inacceptable et enfreignent les droits humains. Ces mesures sont nécessaires pendant la Coupe du monde, mais aussi après cet événement.

À compter du 12 juin, les gens s’installeront devant le petit écran pendant un mois, se déconnectant de la réalité, pour suivre les moindres actions de leurs joueurs de football dans les villes brésiliennes.

Mais Amnesty International surveillera aussi de près les faits inquiétants se déroulant hors des stades. Aucun arbitre ne sera présent lors des confrontations entre policiers et manifestants, et nous nous tiendrons prêts à siffler les fautes que nous identifierons.

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