Burundi. D’Itaba à Gatumba : un besoin impératif de justice

Index AI : AFR 16/014/2006 (Public)
Bulletin n° : 217
ÉFAI
18 août 2006

Cette période de l’année est l’occasion de commémorer le massacre de civils au Burundi, à Itaba et Gatumba. Le 9 septembre 2002, entre 173 et 267 personnes ont été tuées à Itaba, et le 13 août 2004 au moins 160 ont été massacrées à Gatumba.

Amnesty International est vivement préoccupée par le fait que le gouvernement du Burundi, en violation du droit tant national qu’international, n’a pas à ce jour mené d’enquête complète sur ces affaires, ni engagé de poursuites contre les auteurs présumés de ces massacres, ni fait le nécessaire pour que les proches des victimes bénéficient de réparations.

Dans la nuit du 13 août 2004, plus de 160 réfugiés congolais ont été systématiquement tués dans le camp de Gatumba, près de la frontière congolaise. Les victimes étaient principalement des enfants et des femmes banyamulenges fuyant le Sud-Kivu. Le Parti pour la libération du peuple hutu - Forces nationales pour la libération (PALIPEHUTU-FNL) a revendiqué la responsabilité de ce massacre quelques jours après l’attaque du camp de réfugiés. Selon des informations en provenance de la communauté banyamulenge et des entretiens réalisés auprès d’anciens combattants du PALIPEHUTU-FNL, d’autres groupes politiques armés de la République démocratique du Congo (RDC) pourraient avoir pris part au massacre.

Le 9 septembre 2002, entre 173 et 267 civils non armés, dont un grand nombre de femmes et d’enfants, ont été délibérément et illégalement tués par les forces armées burundaises à Itaba, dans la province de Gitega. Les autorités burundaises ont affirmé dans un premier temps que les victimes avaient été tuées lors d’échanges de tirs entre l’armée et le Conseil national pour la défense de la démocratie au Burundi–Forces pour la défense de la démocratie au Burundi (CNDD-FDD). Cependant, au fur et à mesure que la lumière se faisait sur ces événements, il est apparu de plus en plus clairement que l’armé était seule responsable de ces homicides.

Amnesty International est également préoccupée par le fait que les familles des victimes et les survivants risquent de ne pas voir traduits en justice les responsables de ces massacres.

Le 5 octobre 2004, un rapport des Nations unies sur le massacre de Gatumba recommandait que le Conseil de sécurité encourage l’ouverture immédiate de poursuites judiciaires nationales et internationales, afin que les instigateurs et les auteurs des homicides soient identifiés, poursuivis et jugés. Ce rapport recommandait également que le gouvernement du Burundi soit incité à faire appel à la Cour pénale internationale. Alors que deux mandats d’arrêt à l’encontre du chef du PALIPEHUTU-FNL, Agathon Rwasa, et de son porte-parole, Pasteur Habimana, ont été émis quelques jours après que leur mouvement eut revendiqué la responsabilité du massacre de Gatumba, et que le ministre de la Justice a annoncé le 13 avril 2005 qu’une enquête nationale avait été menée sur le massacre, le gouvernement n’a encore fait aucun rapport officiel et aucune des personnes soupçonnées de ce crime n’a été poursuivie en justice.

Le 22 février 2003, deux soldats impliqués dans le massacre d’Itaba ont été reconnus coupables par un tribunal militaire de n’avoir pas obéi aux ordres et d’avoir porté atteinte à la solidarité publique. L’accusation de meurtre a été abandonnée. Le procureur militaire aurait argué du fait que les civils ayant reçu l’ordre de quitter les lieux lorsqu’il y avait des combattants, ceux qui étaient restés malgré tout avaient été considérés à raison comme des combattants.

Aux termes du droit international relatif aux droits humains, ainsi que des normes internationales, le Burundi est tenu de mener sans délai des investigations indépendantes et impartiales sur les violations du droit à la vie. En outre, les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 2005, garantissent aux victimes le droit à l’« accès effectif à la justice, dans des conditions d’égalité ; [la] réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi ; [l’] accès aux informations utiles concernant les violations et les mécanismes de réparation ». Aux termes de ces principes et directives, la réparation peut inclure restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition.

Amnesty International exhorte le gouvernement à appliquer la loi du 8 mai 2003, qui érige en infractions le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Aux termes de cette loi, le Burundi est tenu d’exercer sa compétence en ouvrant des enquêtes sur les personnes soupçonnés de participation à de tels crimes, en engageant des poursuites à l’encontre de ces personnes et en les jugeant dans le cadre de procès conformes aux normes internationales d’équité et n’ayant pas recours à la peine de mort.

Si le Burundi ne fait pas cela, Amnesty International, se faisant l’écho des recommandations formulées dans le rapport des Nations unies sur Gatumba, demande au gouvernement burundais de mettre à contribution la Cour pénale internationale (CPI). En tant qu’État partie au Statut de Rome de la CPI depuis le 21 septembre 2004, le Burundi se doit d’adopter une loi d’application lui permettant de coopérer pleinement avec la CPI.

Amnesty International a souligné que la justice devait encore être rendue en ce qui concernait les survivants et les familles des victimes de Gatumba et d’Itaba mais aussi toutes les victimes d’atteintes aux droits humains au Burundi.

Complément d’information

Au cours des derniers mois, les intentions et les initiatives du gouvernement burundais en vue de mettre fin à l’impunité ont été ambigus. Le 26 février 2006, une mission des Nations unies s’est rendue au Burundi pour entamer des pourparlers avec les autorités burundaises au sujet des modalités de la mise en place de deux mécanismes d’obligation de rendre des comptes – une commission de vérité et réconciliation et une chambre spéciale – pour enquêter sur les crimes commis au Burundi et déférer à la justice les personnes soupçonnées de ces agissements. À ce jour, mis à part un échange de courrier, rien de concret n’a eu lieu.

D’autre part, le 18 juin 2006, à Dar es Salaam, le gouvernement et les FNL ont signé un accord de principe pour assurer durablement paix, sécurité et stabilité au Burundi. L’article 1 de cet accord dispose que la commission de vérité et réconciliation (qui n’a pas encore été créée) sera renommée « Commission de la vérité, du pardon et de la réconciliation ». Son mandat consistera à établir les faits entourant la période sombre de l’histoire du Burundi et à déterminer la responsabilité des divers protagonistes en vue de parvenir au pardon et à la réconciliation nationale.

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