Burundi. Exécutions extrajudiciaires à Muyinga : d’anciens réfugiés au nombre des victimes


Déclaration publique

AFR 16/019/2006

Amnesty International déplore que le gouvernement du Burundi n’ait pas mené d’enquête approfondie ni poursuivi en justice tous les responsables présumés – parmi lesquels se trouveraient de hauts responsables militaires – de l’exécution extrajudiciaire d’au moins 16 personnes dans la province de Muyinga (dans le nord-est du Burundi) en août 2006. L’organisation déplore également le fait que figurent parmi les victimes d’anciens réfugiés rentrés de Tanzanie, parce qu’ils croyaient le Burundi sûr.

Entre mai et août 2006, plus d’une trentaine de personnes ont été arrêtées arbitrairement par les militaires, dans le cadre d’actions concertées avec les services de renseignement et l’administration locale ; les personnes arrêtées auraient été transférées au camp militaire de Mukoni (dans la province de Muyinga). Selon les autorités, toutes ces personnes étaient soupçonnées d’avoir des liens avec le FNL (Forces nationales de libération), un mouvement d’opposition armé. Fin juillet, les corps d’au moins 16 des hommes qui avaient été arrêtés ont été vus par des habitants, flottant dans des rivières. Les hommes auraient été exécutés. Amnesty International n’a pas eu connaissance du sort des autres personnes.

Trois membres des forces de sécurité d’un grade intermédiaire, parmi lesquels le chef des services de renseignements de Muyinga, ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête. Selon les informations dont nous disposons, un mandat d’arrêt aurait été délivré le 14 octobre à l’encontre du chef de la quatrième région militaire par le procureur général de Ngozi, mais aucune arrestation n’a encore eu lieu.

Amnesty International s’inquiète particulièrement du fait que les exécutions extrajudiciaires se sont produites dans la province de Muyinga, l’une des principales provinces de retour des réfugiés burundais encore en exil en Tanzanie. Selon les normes du droit international, les réfugiés doivent avoir la possibilité de rentrer chez eux en toute sécurité. La sécurité physique en particulier implique le droit de ne pas être soumis à la torture ou à de mauvais traitements.

Le 17 juillet, Donatien Kizito, résident de la commune de Giteranyi a été arrêté et placé en détention au camp militaire de Muyinga. Il aurait été exécuté le 7 août. Réfugié en Tanzanie, dans le camp de Lukole, de 1994 à janvier 2006, Donatien Kizito était rentré au Burundi au début de cette année. Amnesty International croit savoir que d’autres anciens réfugiés de Tanzanie ont été exécutés le même jour que Donatien Kizito. Il s’agirait de Dieudonné Bamporubusa, Arthémon Bucumi et Selemani Minani.

Amnesty International demande instamment aux autorités burundaises :
  de faire comprendre clairement à tous les membres des forces de sécurité que les disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires ne sauraient être tolérées en aucune circonstance et que les responsables, à tous les échelons de la hiérarchie, qui ordonneraient ou toléreraient que des exécutions extrajudiciaires soient perpétrées par des personnes sous leurs ordres seront considérés comme pénalement responsables de tels actes ;
  de faire en sorte que soient menées dans les meilleurs délais des enquêtes impartiales et effectives sur les exécutions extrajudiciaires et les disparitions ; ces enquêtes devront être menées par un organisme indépendant des personnes présumées responsables de ces actes et disposant des pouvoirs et ressources nécessaires pour mener à bien ces enquêtes ;
  de veiller à ce que les responsables présumés soient poursuivis devant un tribunal civil, quel que soit le lieu où ils se trouvent et quel que soit l’endroit où le crime ait été commis. Les auteurs ne devront pas pouvoir bénéficier de mesures légales d’exemption de poursuites ou condamnation pénales ;
  de veiller à ce que les familles de victimes obtiennent des réparations justes et appropriées de la part de l’État, notamment sous forme de compensation financière ;
  de veiller à ce que le retour et la réinsertion des réfugiés se fassent dans le respect des normes internationales, notamment en matière de droits humains ; et
  de fournir des garanties formelles et appropriées pour la sécurité des réfugiés de retour dans leur pays.

Complément d’information
Amnesty International croit savoir que Venant Kwizera, Claver Karikumaguru, Balthazar Habimana, Melchiade Dede, Saïdi Nduwimana, Roger Baranderetse, Jean Mirenzo, Kassim Abdul Gasongo, Selemani Cishahayo, Tharcisse Miburo, Jean Marie Havyarimana et Félix Havyarimana figurent aussi parmi les personnes qui auraient été exécutées.

La province de Muyinga est voisine du district de Ngara en Tanzanie. Selon le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) , environ 43 000 Burundais y vivent dans des camps. Au total, la Tanzanie abrite près de 193 000 réfugiés burundais dans des camps gérés par le HCR. Pour sa part, le gouvernement de Tanzanie estime qu’au moins 200 000 Burundais vivent dans d’anciens camps et qu’entre 200 000 et 300 000 réfugiés non recensés, principalement d’origine burundaise et congolaise, vivent éparpillés dans des zones rurales ou urbaines. En juin 2006, après avoir facilité le rapatriement des réfugiés burundais pendant plusieurs années, les gouvernements du Burundi et de Tanzanie ont décidé, avec le soutien du HCR, de lancer un programme de rapatriement volontaire vers le Burundi. Selon les directives du HCR, l’une des conditions préalables essentielles à tout rapatriement volontaire est une amélioration globale de la situation qui prévaut dans le pays d’origine afin que le retour d’une large majorité de réfugiés puisse s’opérer dans la sécurité et dans la dignité – toutes les parties doivent s’engager à respecter pleinement son caractère volontaire – le pays d’origine doit avoir fourni des garanties formelles ou donné des assurances appropriées en ce qui concerne la sécurité des réfugiés rapatriés.

En septembre, le gouvernement a nommé une commission chargée d’enquêter sur ces exécutions extrajudiciaires. Mais cette commission n’est pas indépendante et ne dispose pas des pouvoirs nécessaires pour mener à bien sa tâche. Le 26 octobre, le procureur général de Muyinga, qui était membre de cette commission et devait enquêter sur cette affaire, a été informé par sa hiérarchie qu’il était muté dans la province de Rutana, officiellement pour sa propre sécurité.

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