BURUNDI - Les demandeurs d’asile rwandais doivent bénéficier de procédures de détermination du statut de réfugié équitables et satisfaisantes

Index AI : AFR 16/004/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Depuis le début du mois d’avril, quelque 7 000 personnes ont fui le Rwanda pour chercher refuge au Burundi. Le 13 mai, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué que cette fuite s’expliquait par « la peur des tribunaux gacaca », mais aussi par « les menaces et les rumeurs de massacres et d’attaques motivées par la vengeance ».

Les gouvernements du Burundi et du Rwanda ont organisé conjointement des campagnes de sensibilisation auprès des demandeurs d’asile visant à les inciter à retourner au Rwanda. Toutefois, selon certaines informations, ils ont recouru à des pressions, des menaces et des mesures d’intimidation afin de les persuader de rentrer. En outre, l’aide d’urgence - des abris, des soins et de la nourriture - destinée aux personnes accueillies dans les sites provisoires est mise en péril par la position qu’a adoptée le gouvernement burundais vis-à-vis des demandeurs d’asile. Le 27 avril, il a en effet annoncé que le statut de réfugié ne serait pas accordé aux demandeurs rwandais. Quelques jours auparavant, les autorités burundaises avaient déjà bloqué les transferts de demandeurs d’asile organisés par le HCR, qui souhaitait les accueillir dans des structures mieux adaptées, plus sûres et situées plus loin de la frontière, vers l’intérieur des terres.

Amnesty International craint que la réponse apportée par le Burundi à l’arrivée sur son territoire de Rwandais demandant l’asile ne risque de violer ses obligations internationales et régionales, notamment le principe de non-refoulement.

Ce principe est consacré par plusieurs traités internationaux, dont la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et son Protocole de 1967, ainsi que la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, à laquelle le Burundi est partie. Ayant également force de loi au titre du droit international coutumier, ce principe de non-refoulement contraint les États à ne pas renvoyer ni expulser des personnes dans des pays où elles risquent d’être victimes de graves atteintes aux droits humains.

Ce principe serait bafoué si des demandeurs d’asile n’ayant pas bénéficié de procédures de détermination du statut de réfugié équitables et satisfaisantes étaient renvoyés de force ou si des mesures coercitives étaient adoptées - notamment la restriction des droits sociaux et économiques élémentaires ou le recours à des menaces verbales ou physiques ou à des violences visant à « encourager » le retour.

Aux termes de l’article 1-F de la Convention relative au statut des réfugiés, la protection prévue ne s’appliquera pas aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis, entre autres, un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un crime grave de droit commun. Cependant, pour refuser à un demandeur le statut de réfugié en invoquant des motifs reconnus par la Convention, il convient auparavant d’examiner sa demande de manière approfondie, dans le cadre d’une procédure équitable respectant le droit et les instruments internationaux, notamment le droit d’être informé des éléments de preuve, le droit de les contester et le droit d’interjeter appel. Si le Burundi décide de ne pas accorder à un demandeur la protection qu’offre la Convention, cela ne signifie pas que celui-ci peut être expulsé ni extradé vers un pays où il risque de subir de graves atteintes aux droits humains ou d’être jugé dans le cadre d’un procès inique. Or, la loi portant création des tribunaux gacaca n’offre pas les garanties minimales relatives à l’équité des procès que consacrent les traités internationaux ratifiés par le gouvernement rwandais. Les premiers procès se déroulant devant les tribunaux gacaca ont débuté en mars 2005.

Par ailleurs, Amnesty International est vivement préoccupée par les informations selon lesquelles le gouvernement du Burundi empêche le HCR d’exercer sa tâche de surveillance, prévue aux termes de l’article 35 de la Convention.

D’autre part, l’organisation de défense des droits humains s’inquiète de ce que le gouvernement rwandais serait autorisé à opérer au sein des populations réfugiées. Pourtant, cette situation met en péril la protection des réfugiés et risque de conduire à des demandes « sur place » (des demandes d’asile émanant de personnes qui n’étaient pas des réfugiés lorsqu’elles ont quitté leur pays d’origine mais le sont devenues).

Enfin, Amnesty International s’inquiète de ce que les mesures prises par le gouvernement du Burundi risquent de porter atteinte au caractère civil et humanitaire de l’asile tel que l’énoncent diverses conclusions du Comité exécutif du HCR. Dans la Conclusion n° 94 (LIII) - 2002, il est demandé aux États de veiller à intégrer de façon holistique les préoccupations de sûreté et de sécurité dès le début d’une crise de réfugiés dans la gestion des camps de réfugiés et de faire tous les efforts possibles pour aménager les camps et les zones d’installation de réfugiés à une distance raisonnable de la frontière, en y faisant régner l’ordre public.

Recommandations :

Amnesty International demande au gouvernement du Burundi de :

 respecter le principe de non-refoulement et de ne prendre aucune mesure susceptible de bafouer les obligations qui lui incombent au titre de la Convention relative au statut des réfugiés et d’autres instruments et normes internationaux relatifs aux droits humains et au droit des réfugiés ;

 veiller à ce que toutes les personnes, y compris les femmes et les enfants, qui ne souhaitent pas rentrer au Rwanda bénéficient d’une procédure de détermination du statut de réfugié équitable, satisfaisante et individuelle, ce qui inclut des procédures d’appel indépendantes ;

 garantir au HCR l’accès aux zones frontalières et l’impliquer dans le processus d’asile ;

 ne prendre aucune mesure ayant pour conséquence directe ou indirecte de contraindre les demandeurs d’asile à rentrer au Rwanda ;

 accorder aux demandeurs d’asile la jouissance de leurs droits humains, notamment de leurs droits sociaux et économiques et de leur droit d’être protégé contre toute violence ou menace ;

 veiller à ce que le gouvernement du Rwanda ne puisse pas opérer au Burundi ni constituer une menace pour la sécurité des demandeurs d’asile rwandais ;

 éloigner les camps et les zones d’installation de réfugiés de la frontière et garantir leur caractère civil et humanitaire ;

 enquêter sur toute information faisant état d’atteintes aux droits humains perpétrées par des acteurs étatiques ou non contre des demandeurs d’asile rwandais, notamment des violences sexuelles ou d’autres formes de violence liée au genre ; rendre publiques les conclusions de ces enquêtes et déférer les responsables présumés à la justice ;

 mener dans les plus brefs délais une enquête approfondie, indépendante et impartiale, sur toutes les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou tout autre crime relevant du droit international et, si les moyens de preuve recevables sont suffisants, les traduire en justice. Si le Burundi s’abstient d’engager des poursuites contre ces personnes, il doit les extrader vers un État capable et désireux de les juger dans le cadre d’un procès équitable, où elles ne risquent pas d’être torturées ni condamnées à la peine capitale, ou les remettre au Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Amnesty International exhorte le gouvernement du Rwanda à :

 respecter le caractère exclusivement civil et humanitaire des camps et des installations accueillant les réfugiés au Burundi ;

 ne se livrer à aucune opération au Burundi qui puisse avoir comme conséquence de contraindre les demandeurs d’asile à rentrer au Rwanda.

Amnesty International invite le HCR à :

 intervenir fermement auprès du gouvernement du Burundi afin de veiller à ce que les réfugiés et les demandeurs d’asile ne soient pas soumis à des mesures de refoulement, qu’ils soient directement renvoyés ou se voient indirectement dénier leurs droits sociaux et économiques.

Amnesty International demande à la communauté internationale d’ :

 apporter au HCR le soutien nécessaire afin qu’il soit en mesure de remplir efficacement sa mission de protection au Burundi, notamment en facilitant sa tâche de surveillance de l’application de la Convention relative aux réfugiés, comme le prévoit l’article 35 de la Convention.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit