Cambodge, les détracteurs de la zone de développement régional visés par des arrestations

94 personnes arrêtées pour s’être opposées à l’accord de coopération avec le Laos et le Viêt-Nam

Bangkok, le 28 août 2024 – Les autorités cambodgiennes ont arrêté arbitrairement au moins 94 personnes depuis fin juillet au motif qu’elles ont critiqué publiquement la zone du triangle de développement Cambodge - Laos - Viêt-Nam (CLV), ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. Au moins 59 d’entre elles, dont des défenseur·e·s de l’environnement et des droits humains, ainsi que d’autres militant·e·s, sont toujours illégalement détenues et inculpées pour avoir exprimé sans violence leurs opinions, dont plusieurs mineur·e·s. Les autorités doivent abandonner sans attendre toutes les charges qui ne reposent sur aucune accusation reconnue par le droit international.

« Harceler des militant·e·s et leurs familles n’est jamais acceptable »

Le Triangle de développement Cambodge-Laos-Viêt-Nam (CLV) est un plan de développement établi entre les gouvernements de ces trois pays en 2004 afin de faciliter la coopération en matière de commerce et de migration. Les inquiétudes suscitées ont refait surface sur les réseaux sociaux en juillet, en particulier au sujet des concessions foncières et de la question de savoir si le CLV bénéficiait aux intérêts étrangers au détriment des Cambodgien·ne·s. Les personnes arrêtées sont pour la plupart accusées de complot et d’incitation simplement pour avoir exprimé leurs opinions ou organisé des rassemblements pacifiques.

« Les restrictions arbitraires imposées au droit de circuler librement, et aux libertés de réunion pacifique et d’expression ne trouvent aucune justification dans le droit international. Harceler des militant·e·s et leurs familles n’est jamais acceptable. Il est très inquiétant de constater que la réaction brutale du gouvernement cambodgien a conduit des jeunes, dont des mineurs, à être placés en détention illégale et inculpés de crimes graves contre l’État, a déclaré Kate Schuetze, directrice adjointe du bureau régional pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International. Les partenaires du Cambodge doivent appeler publiquement et conjointement à mettre fin à cette offensive contre la liberté d’expression et de réunion pacifique. »

Complément d’information

Au lendemain des premières arrestations de trois militants en juillet, des groupes Telegram comptant des milliers de membres se sont formés et ont organisé des rassemblements publics et des marches pacifiques pour protester contre l’accord. Des Cambodgien·ne·s ont aussi manifesté début août en Corée du Sud [1], au Japon [2] et en Australie [3].

Tandis que le mécontentement de la population s’amplifiait, les autorités cambodgiennes ont renforcé les mesures de sécurité et les restrictions de déplacement [4]. Selon des organisations locales de défense des droits humains, des responsables gouvernementaux à travers le pays ont placé sous surveillance des défenseur·e·s des droits fonciers et des militant·e·s de la société civile ; plusieurs d’entre eux ont notamment reçu l’ordre de ne pas sortir de leur communauté et des membres de leur famille ont été menacés. En outre, des barrages routiers ont été installés sur les grands axes à l’entrée de Phnom Penh et les fourgonnettes et les taxis entrant dans la capitale fouillés de manière aléatoire.

La chaîne Telegram officielle [5] de l’ancien Premier ministre et actuel président du Sénat Hun Sen a diffusé des vidéos d’écoliers à travers le Cambodge scandant à l’unisson leur soutien en faveur de l’accord de développement.

De hauts responsables ont validé la répression par le biais de plusieurs déclarations publiques.

Hun Sen a publiquement appelé en juillet à arrêter et à condamner les trois militant·e·s [6] mentionnés précédemment qui ont critiqué l’accord dans une vidéo sur Facebook. Il a également averti les détracteurs au Cambodge, ainsi que les familles des opposants qui vivent à l’étranger, qu’il mettrait en place des méthodes de surveillance violant le droit à la vie privée et le droit à la vie de famille : « J’engage le gouvernement [cambodgien] à chercher et trouver tous les groupes qui ont engendré ce problème et qui vivent dans le pays. Et à rassembler tous les cas d’individus à l’étranger afin d’étudier leurs antécédents familiaux, et le lieu où se trouve leur famille, s’ils se trouvent à l’extérieur du pays. »

La police nationale a déclaré le 11 août [7] : « Nous nous engageons à faire des sacrifices afin de protéger le gouvernement royal légitime et d’appliquer des mesures strictes visant à prévenir et à éradiquer les actes de trahison sans exception, à tout prix ». Le 16 août, le chef de la gendarmerie [8], Sao Sokha, a également diffusé la vidéo d’un discours à ses subordonnés, dans lequel il leur ordonne de se tenir prêts à faire face à des manifestants équipés d’armes à feu et à tirer si nécessaire.

Le 12 août, le porte-parole du ministère de la Défense nationale, Chhum Socheat, a déclaré à CamboJA News [9] que les Forces armées royales du Cambodge (FARC) soutiennent le CLV ; dans un message sur Facebook, le haut commandement des FARC a fait savoir qu’il « ... supprimera et détruira toutes les tactiques qui incitent à détruire la nation et la paix, et toutes les tentatives de sabotage et de renversement du gouvernement royal légitime sous quelque forme que ce soit » [10]. Des représentants du gouvernement aux niveaux national [11] et provincial [12], y compris des forces armées, ont publié une pétition en soutien au projet du Triangle de développement Cambodge-Laos-Viêt-Nam (CLV).

Hun Sen a proféré des menaces publiques contre ceux qui critiquent ce plan dans un discours du 12 août [13], notamment contre Hay Vanna, un opposant établi au Japon : « Vous avez tous essayé d’inciter les autres. [N]ous avons entendu ce que Hay Vanna a dit à l’extérieur du pays [...] Vous devez y réfléchir sérieusement. Si vous faîtes des erreurs, vous pourriez vous mettre en danger. [...] Vous devez y réfléchir sérieusement avant de partir rejoindre la manifestation. »

Le 16 août, les autorités cambodgiennes ont arrêté Hay Vannith, le frère de Vanna, un fonctionnaire du ministère de la Santé, et n’ont fourni aucune information sur le lieu où il se trouvait avant le 20 août, ce qui laisse craindre qu’il n’ait été victime d’une disparition forcée. Sa famille a appris qu’il se trouvait en détention lorsqu’un enregistrement audio dans lequel il « avouait » vouloir renverser le gouvernement a été publié le 21 août sur la page Facebook du porte-parole du gouvernement cambodgien [14].

Le média Fresh News, aligné sur le gouvernement, a diffusé le 19 août les « aveux » » de Lach Tina, une jeune militante hostile au CLV, accusant ses compagnons de lutte d’avoir ourdi un complot contre le gouvernement [15].

Ces soi-disant « aveux » de détenus et les allégations de complots contre le gouvernement avivent les inquiétudes quant à leur sécurité et à celle d’autres détenus, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International.

Sur les 94 personnes arrêtées, au moins 59 sont inculpées et sont toujours en état d’arrestation ou en détention provisoire. Au moins 21 sont inculpées d’incitation à commettre un acte criminel, une infraction souvent invoquée à tort contre des défenseur·e·s des droits humains. En 2021, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme au Cambodge s’était dit préoccupé [16] par l’utilisation abusive des accusations d’incitation, qui sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, tandis que le « complot » est passible d’une peine maximale de 10 ans de prison.

Au moins 33 personnes sont accusées de complot contre l’État, dont quatre jeunes adultes membres de la Khmer Student Intelligent League Association [17]. Récemment, des membres de l’ONG de défense de l’environnement Mother Nature [18] ont eux aussi été inculpés de complot. Le porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Thameen Al Kheetan, avait alors appelé le Cambodge « à organiser de vastes consultations publiques afin de modifier les articles pertinents du Code pénal cambodgien pour les rendre conformes au droit international des droits de l’homme ». Au moins quatre adolescents sont également inculpés de complot, ce qui pourrait leur valoir jusqu’à cinq ans de prison – au lieu de 10 car ils sont mineurs.

Tous les quatre sont maintenus en détention provisoire. La Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, que le Cambodge a ratifiée en 1992, dispose que l’arrestation et la détention d’un enfant doit n’être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible. Elle garantit également les droits des enfants à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

« Les arrestations massives de militant·e·s qui dénoncent le Triangle de développement Cambodge-Laos-Viêt-Nam traduisent la volonté délibérée et coordonnée des autorités cambodgiennes de les intimider et de les empêcher de manifester à Phnom Penh ou de partager leurs opinions sur les réseaux sociaux, a déclaré Bryony Lau [19], directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. Ces détentions et accusations iniques témoignent du manque de respect du Premier ministre Hun Manet pour les droits de ses concitoyens et les obligations internationales du pays en matière de droits humains. »

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