CAMBODGE - Le gouvernement doit tenir ses engagements en matière de droits humains

Index AI : ASA 23/007/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

À l’occasion de la réunion du Groupe consultatif sur le Cambodge les 2 et 3 mars 2006 à Phnom Penh, Amnesty International a appelé les gouvernements à insister auprès du gouvernement cambodgien pour qu’il respecte les engagements pris précédemment devant ce Groupe et qu’il s’acquitte pleinement de ses obligations en matière de droits humains.

Dans les courriers qu’elle a adressés aux donateurs participant à cette réunion, l’organisation s’est inquiétée de la situation globale des droits humains au Cambodge. Elle a également souligné que les engagements pris par le gouvernement cambodgien en décembre 2004 n’avaient pas été respectés, ce qui montrait l’absence de volonté réelle de ce gouvernement d’assurer la protection des droits humains de sa population.

L’année qui vient de s’écouler a été marquée par une érosion des droits humains au Cambodge, avec des atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux dénoncées à plusieurs reprises par Amnesty International. Les défenseurs des droits humains, notamment les militants écologistes et les défenseurs des droits relatifs à la terre, ainsi que d’autres membres de la société civile cambodgienne, ont été particulièrement menacés.

Dans une série de recommandations, Amnesty International a demandé instamment à tous les membres du Groupe consultatif, y compris aux donateurs internationaux, d’exhorter fortement le gouvernement cambodgien à :

• mettre un terme au harcèlement et aux intimidations à l’encontre des défenseurs des droits humains, des militants et des membres de l’opposition, et retirer toutes les plaintes en diffamation engagées lors de la récente vague de répression ;

• abroger ou amender les lois sur la diffamation et la désinformation, ainsi que les autres dispositions appropriées du droit pénal, afin de protéger le droit à la liberté d’expression ; veiller à ce qu’aucune nouvelle loi, pas plus que le code pénal, n’érige ce droit en infraction ;

• respecter pleinement ses obligations en matière de droits humains, telles qu’exprimées dans ses engagements auprès du Groupe consultatif en 2004, notamment en s’attaquant aux problèmes qui empêchent la réalisation des droits humains, tels que les confiscations de terres, la corruption et l’utilisation abusive des ressources naturelles et d’autres biens publics, ainsi qu’en prenant de toute urgence des mesures pour accélérer les réformes juridiques et judiciaires ;

• veiller à ce que la liberté d’expression soit étendue aux radios et aux télévisions indépendantes.

Amnesty International a aussi appelé les donateurs à :

• continuer de soutenir fortement les militants de la société civile qui se battent pour améliorer la protection des droits humains, promouvoir l’état de droit, lutter contre la corruption et étendre la liberté de la presse aux radios et aux télévisions indépendantes ;

• renforcer ce soutien en affirmant publiquement que la situation actuelle ne peut plus durer. Les engagements pris auprès du Groupe consultatif ne seront respectés que si les droits humains sont à la base non seulement de la formulation, mais aussi de la mise en œuvre de la stratégie dite « rectangulaire » du gouvernement pour la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement.

Complément d’information

Au-delà de la récente opération de répression qui s’est traduite par une vague très controversée d’arrestations et de menaces contre des militants de la société civile, un nombre croissant de citoyens ordinaires ont aussi été touchés par la détérioration de la situation des droits humains au Cambodge. Les conflits liés à la terre augmentent et les populations rurales continuent de s’appauvrir en raison des concessions industrielles accordées par les autorités sur leurs terres. Des villages sont privés de leurs moyens de subsistance par des entreprises liées aux grandes familles du pays, qui saisissent leurs terres, ainsi que par une utilisation abusive des ressources naturelles et d’autres biens publics, pratiquée avec le soutien ou dans l’indifférence du gouvernement.

Amnesty International a salué la libération récente d’un certain nombre de prisonniers d’opinion, tels que Cheam Channy, Mam Sonando et Kem Sokha, ainsi que les grâces accordées par le roi à des hommes politiques de l’opposition condamnés à des peines d’emprisonnement à la suite de procès inéquitables. Néanmoins, ces mesures gouvernementales sont loin d’être suffisantes face à l’ampleur des violations des droits humains, et aucun progrès significatif n’a été réalisé pour régler les problèmes qui se posent depuis longtemps dans ce domaine au Cambodge.

Les attaques contre des défenseurs des droits humains et militants locaux s’opposant aux activités des concessionnaires, des entreprises et des personnes influentes se sont multipliées au cours de l’année passée. Amnesty International a reçu de nombreuses informations faisant état d’homicides, d’autres violences, de menaces, d’arrestations et de tentatives de réduire au silence les protestations de la population.

Le principal parti d’opposition, les syndicats, les médias indépendants et les organisations non gouvernementales travaillent dans un climat d’incertitude croissante, sachant qu’ils peuvent à tout moment être victimes de la répression gouvernementale pour avoir exprimé publiquement des critiques dépassant le seuil de tolérance extrêmement bas et imprévisible des dirigeants cambodgiens. En outre, les interventions du gouvernement dans le processus judiciaire, comme l’a montré la récente vague de répression contre la liberté d’expression, continuent d’affaiblir l’indépendance et l’intégrité de la justice.

La culture d’impunité protège uniquement ceux qui ont du pouvoir et des relations influentes. Ainsi, personne n’a encore été poursuivi pour l’homicide, en mars 2005, par les forces armées, de cinq villageois qui défendaient leurs terres dans la province de Banteay Meanchey. Ces villageois avaient été expulsés de force à la suite d’une longue et discutable bataille judiciaire. Les terres qu’on leur proposait en échange étaient si loin de la frontière internationale où ils avaient établi leur gagne-pain que leur déménagement se serait traduit de fait par la perte de leurs maigres moyens de subsistance. La majorité des responsables de confiscations de terres, d’exploitation illégale du bois ou de pêche illégale n’ont jamais eu aucun compte à rendre, tandis que les pauvres et les populations marginalisées, qui sont directement victimes de ces pratiques, n’ont droit à aucune voie de recours judiciaire ou autre.

Lors de la réunion de décembre 2004 du Groupe consultatif, le gouvernement cambodgien s’était engagé à mettre en place un système judiciaire indépendant, ainsi qu’à « renforcer l’état de droit, promouvoir la justice sociale, limiter la corruption, éliminer la culture de l’impunité et renforcer la culture de la paix et la primauté du droit ».

Le Premier ministre Hun Sen a ensuite lancé sa politique du « poing d’acier », officiellement destinée à combattre la corruption généralisée au sein du système judiciaire. Cependant, des analystes ont prévenu que cette politique réduisait encore davantage l’indépendance des tribunaux. Les procédures réglementaires ont été bafouées lors des procédures disciplinaires engagées contre plusieurs juges et procureurs, qui ont récemment été condamnés à des peines d’emprisonnement pour corruption. Au lieu de favoriser l’égalité devant la loi, la transparence et l’obligation de rendre des comptes, ces condamnations ont semble-t-il semé l’inquiétude chez les magistrats. Par ailleurs, il n’y a eu aucune réforme du Conseil suprême de la magistrature, alors que c’était l’un des engagements clés obtenus par le Groupe consultatif en décembre 2004. Ce Conseil est censé veiller à l’indépendance et à l’efficacité du pouvoir judiciaire.

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