Cambodge. Il faut mettre un terme aux expulsions forcées

Déclaration publique

ASA 23/008/2007 (Public)

Deux morts, de nombreux blessés et des milliers de personnes sans abri : c’est le bilan de deux expulsions forcées récentes et l’ illustration de la nécessité urgente pour les autorités cambodgiennes de mettre fin immédiatement à cette pratique. Les expulsions forcées obligent un nombre croissant de Cambodgiens à quitter leurs maisons et leurs terres sans consultation préalable, sans les garanties d’une procédure légale, sans protection juridique ou autre et sans que d’autres alternatives leur aient été proposées.

Des terres au prix de vies humaines

Le 15 novembre 2007, deux personnes ont été abattues par les forces de sécurité au cours d’une expulsion forcée dans la province de Preah Vihear, tout au nord du pays. Les victimes, un homme et une femme, faisaient partie d’un groupe de 317 familles – plus de 1 500 personnes [selon des estimations basées sur le recensement de la population cambodgienne effectué en 2004 par l’Institut national de Statistiques et le ministère du Plan, chaque foyer rural compte en moyenne cinq personnes]– chassées de chez elles par plus de 200 hommes en armes, policiers, agents de la police militaire et soldats.

Toeun Chheng, vingt-neuf ans, a été abattue d’une balle tirée à bout portant dans la poitrine alors qu’elle tentait de protéger ses quatre enfants au cours de l’opération d’expulsion. Des témoins ont déclaré aux enquêteurs chargés de veiller au respect des droits humains qu’un des membres des forces de sécurité avait volé un collier et d’autres objets de valeur à cette femme alors qu’elle gisait à terre, en sang. Elle est décédée un peu plus tard dans un centre de santé. Selon des informations fournies à Amnesty International, l’autre victime, Oeun Eng, trente et un ans, a été abattu au cours de l’opération d’expulsion.

Selon les témoignages recueillis par des défenseurs locaux des droits humains, les forces de sécurité n’auraient fait aucune sommation avant d’ouvrir le feu sur ce groupe de familles très pauvres, des journaliers pour la plupart. Au moins six autres personnes expulsées auraient été gravement blessées et sont actuellement soignées à l’hôpital provincial.

Les autorités ont arrêté au moins douze personnes pendant et après l’opération d’expulsion, parmi lesquelles deux blessés qui ont été transférés de la clinique où ils étaient soignés dans les locaux de la police. Trois autres personnes auraient été arrêtées le 14 novembre. Tous les quinze ont été envoyés à la prison de Prey Sar à Phnom Penh.

Les 317 familles étaient arrivées récemment d’autres régions du Cambodge et s’étaient installées sur des terrains vacants du village de Sra Em, dans la commune de Kantuot, près des temples de Preah Vihear – qui attirent de plus en plus de touristes – et de la frontière thaïlandaise. Les autorités locales avaient d’abord décidé qu’elles ne pouvaient pas les laisser s’installer mais à l’issue d’une épreuve de force, une solution négociée avait été trouvée et les familles avaient été autorisées à s’installer temporairement.

Selon le droit international relatif aux droits humains, les expulsions ne doivent survenir qu’en dernier ressort et seulement après notification préalable et consultation avec les parties concernées. Amnesty International craint que, dans ce dossier, l’expulsion n’ait été menée en dehors de tout cadre légal Les expulsions ont eu lieu en violation d’un accord qui aurait été passé entre les autorités locales et les familles, par lequel les familles avaient été autorisées à s’installer temporairement sur ces terres en attendant qu’une solution convenant à tous soit trouvée.

L’accord avait été signé le 9 novembre entre les villageois et les autorités, pour sortir de l’impasse où avait conduit l’intervention de nuit de la police, venue pour tenter d’arrêter deux des chefs de la communauté. Le 11 novembre, le gouverneur du district de Choam Khsan aurait fait deux propositions assez vagues de réinstallation des villageois sur d’autres terres, qui avaient été refusées par la communauté. Les dirigeants avaient expliqué qu’avant de donner leur accord, ils avaient besoin de savoir précisément où on comptait les envoyer.

Ils avaient également demandé un accès à l’eau, aux écoles pour les enfants et à d’autres infrastructures de base. Quatre jours plus tard, sans notification préalable, les forces de sécurité présentaient un arrêté de l’administration provinciale, notifiant l’obligation de partir aux villageois. La mesure d’expulsion était immédiatement appliquée, suivie de l’incendie des maisons.

La plupart des familles ont à présent quitté la province après cette expulsion forcée menée avec violence. Une quarantaine de familles ayant perdu presque tout ce qu’elles possédaient et ne disposant d’aucun moyen pour partir ont été laissées au bord de la route, sans même un abri de fortune, sans nourriture, sans eau et sans aucune sécurité, souci majeur dans cette zone éloignée de tout.

Des familles à la rue – Phnom Penh

Lors d’une opération d’expulsion menée avant l’aube le 2 novembre 2007, 300 membres des forces de sécurité ont expulsé de force les habitants et détruit la totalité du village de Chong Chruoy, dans la banlieue de Phnom Penh, à l’aide d’excavateurs et avec le concours d’ouvriers embauchés pour détruire les maisons des 132 familles qui vivaient là. Militants des droits humains et journalistes ont été empêchés de couvrir l’évènement.

La raison de l’expulsion de ce village a été donnée par les autorités du district le 30 août 2007 ; il s’agissait, selon le texte de l’arrêté, « d’éliminer tout désordre dans la société, de protéger l’environnement, l’hygiène et la santé publique et de promouvoir la beauté de la municipalité »[traduction non officielle]. Les villageois avaient cinq jours pour quitter les lieux. Toutefois, aucune action n’avait été entreprise et aucune information nouvelle communiquée lorsque les forces de sécurité sont intervenues le 2 novembre. Selon les autorités, le village est situé sur des terres appartenant à l’État ; toutefois, cette affirmation, contestée par les villageois qui se disent propriétaires de leurs terres, n’aurait pas été sanctionnée par les autorités compétentes.

Immédiatement après la démolition, des camions ont emmené les familles vers un nouveau site et en deux jours tous les villageois avaient été réinstallés de force dans le village de Trapeang Anchanh, dans le district de Dangkor, une région où manquent les infrastructures de base, logements, eau potable, centres médicaux, écoles et située en zone inondable. Selon les informations dont dispose Amnesty International, cette réinstallation ne s’est pas faite sur la base d’un accord négocié, mais dans le cadre d’une solution forcée qui n’a été précédée d’aucune consultation significative.

Les 132 familles sans abri, dont la plupart vivaient à Chong Chruoy depuis le milieu des années 90, n’ont reçu aucune aide d’urgence des autorités cambodgiennes, pas même sous forme d’abris ou de matériaux de construction sur le site où elles ont été emmenées. Toutefois, après l’opération d’expulsion, un vice-gouverneur de Phnom Penh a déclaré à la presse que les familles recevraient chacune un terrain et un prêt sans intérêt sur cinq ans pour leur permettre de reconstruire une maison. Jusqu’à présent, cette promesse ne s’est pas matérialisée et les familles vivent sous des tentes et sous des bâches fournies par des organisations non gouvernementales locales.

Le site de réinstallation, situé à une vingtaine de kilomètres de Phnom Penh, a également servi pour reloger d’autres familles, expulsées de force au cours des deux dernières années.

Complément d’information

Les expulsions forcées sont des expulsions menées sans notification préalable, sans consultation avec les parties concernées, sans garanties juridiques et sans l’assurance d’un relogement approprié. Ainsi que l’a précisé le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, les expulsions forcées se définissent comme« l’éviction permanente ou temporaire, contre leur volonté et sans qu’une protection juridique ou autre appropriée ait été assurée, de personnes, de familles ou de communautés de leurs foyers ou des terres qu’elles occupent.

L’ interdiction des expulsions forcées ne s’applique cependant pas aux expulsions assurées par la force conformément à la loi et au [droit international relatif aux droits humains] ».

Les expulsions forcées sont reconnues par la Commission des droits de l’homme des Nations unies comme une violation flagrante de plusieurs droits fondamentaux, notamment le droit à un logement suffisant, garanti par l’article 11(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

En tant qu’État partie au PIDESC et à d’autres traités internationaux relatifs aux droits humains interdisant les expulsions forcées et les atteintes aux droits humains qui y sont liées, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Cambodge a l’obligation de mettre fin aux expulsions forcées et de protéger la population de ce type d’atteintes.

Amnesty International demande instamment au gouvernement cambodgien de ne pas procéder à des expulsions forcées et de décréter et appliquer un moratoire pour toutes les expulsions de masse tant que des mesures législatives et politiques n’auront pas été prises pour que les expulsions soient menées conformément aux normes du droit international relatif aux droits humains.

Amnesty International appelle également les autorités à veiller à ce que les victimes des expulsions forcées de Phnom Penh et Preah Vihear reçoivent dans les plus brefs délais une aide d’urgence, notamment de quoi s’abriter, ainsi que des vivres, de l’eau et l’accès à des soins. Les autorités devraient également prendre dans un délai raisonnable des mesures concrètes et ciblées afin de permettre aux victimes d’obtenir des réparations adéquates, notamment sous forme de relogement et d’indemnisation.

L’organisation s’inquiète des informations qui lui sont parvenues faisant état d’un recours à la force excessive au cours des expulsions, notamment à Preah Vihear et demande l’ouverture effective d’une enquête approfondie et indépendante et la poursuite en justice des auteurs des violences.

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