« Ces arrestations constituent une offensive choquante contre la jeunesse cambodgienne. Au lieu d’encourager la nouvelle génération à s’investir pleinement dans la construction de l’avenir du pays, le gouvernement de Hun Sen se montre déterminé à effacer toute forme de dissidence dans toutes les sphères de la vie au Cambodge, depuis le clergé jusqu’au milieu artistique », a déclaré Ming Yu Hah, directrice régionale adjointe pour le travail de campagne à Amnesty International.
Dix jeunes gens, dont un moine bouddhiste et un musicien, ont été arrêtés de manière arbitraire et inculpés d’« incitation à la violence » entre le 13 août et le 7 septembre.
Amnesty International considère ces 10 personnes comme des prisonniers d’opinion, car elles sont détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains protégés. Elle demande la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers et prisonnières d’opinion détenus à tort au Cambodge et dans le monde.
Recrudescence d’arrestations ces dernières semaines
Vendredi 4 septembre, trois défenseur·e·s du droit à l’environnement affiliés au groupe militant Mother Nature Cambodia – Thun Ratha, âgé de 28 ans, Long Kunthea, âgée de 22 ans, et Phuong Keorasmey, âgée de 19 ans – ont été arrêtés et inculpés par la suite d’« incitation à commettre un acte criminel », au titre des articles 494 et 495 du Code pénal du Cambodge, dimanche 6 septembre.
Ces arrestations se sont déroulées alors qu’il était prévu que Long Kunthea marche en solitaire à travers Phnom Penh jusqu’à la résidence du Premier ministre Hun Sen, dans le but affiché de débattre avec lui de préoccupations environnementales.
Le vendredi 4 septembre également, le rappeur Kea Sokun, 22 ans, a été arrêté à Siem Reap et inculpé d’incitation à la violence au titre des articles 494 et 495 du Code pénal du Cambodge. Kea Sokun est semble-t-il pris pour cible sur la base d’une chanson qu’il a diffusée en avril, intitulée Dey Khmer (« pays des Khmers »), dans laquelle il évoquait les sensibilités qui perdurent au sujet de la frontière entre le Cambodge et le Viêt-Nam. Sa chanson a atteint 1,3 million de vues sur YouTube avant d’être supprimée dans des circonstances inconnues. D’autres versions [1] de cette chanson ont ensuite été postées sur YouTube.
En marge de ces jeunes et de ces défenseur·e·s de l’environnement, au moins cinq militant·e·s politiques et un syndicaliste ont été arbitrairement arrêtés depuis fin juillet, dans le cadre d’une répression accrue visant toutes les formes de dissidence.
L’arrestation d’un éminent défenseur des droits a déclenché une série d’interpellations
Le prisonnier d’opinion et défenseur des droits humains Rong Chhun, président de la Confédération cambodgienne des syndicats, a été arrêté le 31 juillet et inculpé d’incitation à commettre un acte criminel après avoir évoqué publiquement les préoccupations relatives au droit à la terre à la frontière entre le Cambodge et le Viêt-Nam.
Le 13 août, deux jeunes militant·e·s de Khmer Thavrak – Hun Vannak, âgé de 38 ans, et Chhouen Daravy, âgée de 28 ans – ont été interpellés alors qu’ils réclamaient la libération de Rong Chhun. Hun Vannak avait déjà été incarcéré en représailles de son travail dénonçant le dragage de sable illégal et ses répercussions sur les habitant·e·s au Cambodge.
Dimanche 6 septembre, deux autres défenseurs des droits humains – le vénérable Koet Saray, moine bouddhiste, et Mean Prommony, vice-président de la Khmer Student Intelligent League Association – ont aussi été arrêtés à Phnom Penh, semble-t-il à titre de représailles pour avoir organisé une manifestation au parc de la Liberté à Phnom Penh réclamant la libération de Rong Chhun.
Lundi 7 septembre, deux jeunes militant·e·s ont été interpellés, également à titre de représailles pour avoir tenté de manifester contre l’incarcération de Rong Chhun – Tha Lavy, un homme de 20 ans affilié à Active Citizens for Justice, et Eng Malai (aussi appelé So Metta), une femme âgée de 31 ans affiliée à Khmer Thavrak. Eng Malai a été interpellée dans la soirée de lundi, peu après avoir quitté le bureau du Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations unies au Cambodge, à Phnom Penh, où elle s’était réfugiée.
Plusieurs arrestations récentes sont liées à des allégations d’empiètement sur les terres de villageois cambodgiens à la frontière entre le Cambodge et le Viêt-Nam – une question très sensible aux yeux des autorités cambodgiennes. Bien qu’Amnesty International ne prenne pas position sur les litiges transfrontaliers, ni sur les allégations d’empiètement, les conflits territoriaux sont des questions d’intérêt public légitime et, à ce titre, le droit international relatif aux droits humains protège l’expression d’opinions concernant la frontière, tout comme la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, avec quelques rares restrictions légitimes.
Récentes manifestations organisées par des jeunes
« La jeunesse cambodgienne affirme haut et fort qu’elle ne sera pas réduite au silence. Ils ne se laisseront pas intimider et ils en ont assez. Ces jeunes militant·e·s pleins de courage se mobilisent pour des idéaux de justice, d’égalité et de droits humains. Ils doivent être protégés et encouragés. »
Depuis quelques années, les autorités cambodgiennes étouffent systématiquement le droit de réunion pacifique en interdisant les rassemblements publics et en attaquant et criminalisant les manifestant·e·s pacifiques. Malgré cette répression soutenue, des manifestations sont régulièrement organisées par des jeunes à Phnom Penh depuis l’arrestation de Rong Chhun et se heurtent à un usage abusif de la force et à l’intimidation. Le 18 août, 80 organisations de la société civile au Cambodge ont demandé [2] aux autorités de cesser de frapper et d’arrêter les manifestant·e·s pacifiques.
« La jeunesse cambodgienne affirme haut et fort qu’elle ne sera pas réduite au silence. Ils ne se laisseront pas intimider et ils en ont assez. Ces jeunes militant·e·s pleins de courage se mobilisent pour des idéaux de justice, d’égalité et de droits humains. Ils doivent être protégés et encouragés. »
Les autorités s’appuient sur une loi répressive relative aux ONG
Ce lundi 7 septembre, le ministère de l’Intérieur du Cambodge a publié une déclaration justifiant la répression au motif que ni Mother Nature Cambodia, ni Khmer Thavrak, ne sont enregistrées au titre de la Loi sur les Associations et les Organisations non gouvernementales [3] (LANGO), texte de loi répressif et très critiqué régulièrement utilisé pour justifier la répression d’activités militantes associatives légitimes depuis son adoption en 2015. L’enregistrement obligatoire de toutes les ONG agissant dans un pays viole le droit à la liberté d’association garanti par l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Parallèlement, depuis début septembre, les manœuvres d’intimidation ciblant les organisations de jeunes, les syndicats indépendants et les ONG qui défendent les droits des travailleur·euses se multiplient, par le biais d’inspections policières arbitraires dans les locaux et les dossiers des employé·e·s de la plupart des organisations de renom.