Communiqué de presse

Cambodge. Les droits d’un suspect doivent être respectés devant le tribunal chargé de juger les Khmers Rouges et une enquête doit être menée sur des allégations d’interférence des Nations unies

Les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) examinent actuellement le dossier 004. En mars dernier, un des suspects dans cette affaire a choisi un avocat international mais aucun contrat n’a été proposé à ce dernier. Amnesty International craint que les droits de ce suspect aux avocats de son choix et à une défense efficace soient ainsi gravement bafoués. L’organisation réclame une enquête minutieuse sur les informations suggérant que des administrateurs des Nations unies au Tribunal ont agi de mauvaise foi et interféré dans cette affaire, en ignorant une décision de justice ordonnant que des ressources soient accordées afin que l’accusé soit représenté efficacement.

Les dossiers 003 et 004 examinés par les CETC impliquent cinq suspects qui font l’objet d’une enquête pour plusieurs crimes, notamment des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, commis sous le régime des Khmers rouges au Cambodge. Le gouvernement cambodgien s’oppose à ces investigations. Cependant, Laurent Kasper-Ansermet, le co-juge d’instruction international de réserve désigné par les Nations unies, a lancé des enquêtes sur ces dossiers avant de démissionner et de quitter le Tribunal en mai 2012, accusant des magistrats cambodgiens d’obstruction, notamment son confrère le co-juge You Bunleng.

Le Conseil suprême de la magistrature du Cambodge n’a pas confirmé la nomination du juge Kasper-Ansermet au poste de co-juge d’instruction. Le secrétaire général des Nations unies et plusieurs juges internationaux siégeant à la Chambre préliminaire du Tribunal affirment que cet homme a agi avec la pleine capacité légale, mais les juges cambodgiens du Tribunal ont refusé de reconnaître son autorité et la validité de ses actions judiciaires.

En février 2012, le juge Kasper-Ansermet a notifié aux suspects dans l’affaire 004 qu’ils faisaient l’objet d’investigations et qu’ils avaient certains droits, notamment celui de choisir leurs avocats. Ce droit est inscrit dans le statut des CETC et dans leurs règles internes. Un des suspects a choisi Mom Luch et Richard Rogers, le premier comme avocat national et le second comme avocat international. La Section d’appui à la défense (DSS) en a informé les co-juges d’instruction et demandé que le directeur adjoint du bureau d’administration du Tribunal (DDOA) rédige des contrats pour ces avocats. Amnesty International sait que le juge Kasper-Ansermet a envoyé une note au DDOA dans laquelle il reconnaissait le choix des représentants légaux du suspect et réclamait des contrats pour ceux-ci. Selon Richard Rogers, le DDOA n’ayant pas rédigé les contrats, Laurent Kasper-Ansermet lui a adressé un ordre judiciaire ainsi qu’à la DSS pour qu’ils fournissent des ressources permettant au suspect d’être représenté efficacement.

Néanmoins, en mai 2012, la DSS, après un changement de directeur, a décidé que l’avocat international choisi ne remplissait pas les conditions du Programme d’assistance légale du Tribunal pour être payé et ne devrait pas se voir proposer un contrat. Les raisons de cette décision semblent avoir changé au fil du temps, incluant, de façon contradictoire, des inquiétudes concernant un prétendu conflit d’intérêt, Richard Rogers étant l’ancien directeur de la DSS, et des doutes concernant la pertinence de l’expérience de cet homme dans ce rôle.

Dans une lettre récemment adressée au sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires juridiques, Richard Rogers affirme que le DDOA et la DSS passent outre l’ordre du juge Kasper-Ansermet en ne lui offrant aucun contrat comme avocat international, ce qu’il qualifie d’« interférence dans la procédure judiciaire » et qui compromet réellement le droit du suspect de choisir ses avocats. Richard Rogers ajoute que les administrateurs des Nations unies ont attendu que Laurent Kasper-Ansermet quitte le Tribunal avant de lui refuser un contrat, afin d’éviter un examen judiciaire, et que le DDOA, agissant de mauvaise foi, a demandé au co-juge d’instruction national You Bunleng de clarifier l’ordre du juge Kasper-Ansermet. You Bunleng aurait répondu qu’il estimait que Laurent Kasper-Ansermet n’avait pas l’autorité légale pour émettre un tel ordre. Richard Rogers n’avait pas été mis au courant de cette demande de clarification et il fait état d’« un manque total de transparence et de diligence raisonnable, et [du] non-respect de la procédure ». Si ces graves allégations sont vraies, le droit du suspect de choisir ses avocats serait réellement bafoué.

Le parte-parole des Nations unies au Tribunal a déclaré que Richard Rogers peut désormais faire appel de la décision de la DSS de lui refuser un contrat devant la Chambre préliminaire. Cependant, étant donné que les juges cambodgiens ont déjà annoncé ne pas reconnaître l’autorité du juge Kasper-Ansermet, il est peu probable qu’ils respectent son ordre.

Dans un communiqué de presse récent, le Comité cambodgien d’action pour les droits humains, une coalition d’ONG cambodgiennes de défense des libertés fondamentales, a fait référence à une « tendance obstructionniste » aux CETC, avançant que pour des raisons budgétaires, les représentants des Nations unies au Tribunal semblent penser comme le juge You Bunleng que les actions du juge Kasper-Ansermet ne sont pas valides, et bloquent la désignation d’un avocat international pour le suspect.

Tandis que ce litige perdure, Amnesty International craint qu’un suspect vulnérable, qui fait l’objet d’une enquête pour les pires crimes imaginables et dont le nom a été largement diffusé dans les médias, se retrouve dans une situation incertaine sans un groupe complet d’avocats pour le défendre, composé de spécialistes nationaux et internationaux du droit pénal, auxquels il a droit. Pour garantir que les droits de ce suspect soient respectés, Amnesty International demande que celui-ci reçoive sans délai les ressources nécessaires pour bénéficier d’une défense efficace, y compris un contrat à proposer à un avocat international de son choix, comme l’aurait ordonné le co-juge international de réserve.

Les représentants des Nations unies aux CETC n’ont pas pleinement répondu aux questions d’Amnesty International à ce sujet. L’organisation demande qu’une enquête minutieuse, indépendante et impartiale soit menée sans délai sur les allégations de Richard Rogers. Si les Nations unies ne se plient pas à cette requête, elles pourraient être accusées de pratiquer le système des deux poids deux mesures, étant prêtes à critiquer l’interférence du gouvernement cambodgien au sein des CETC tout en ne répondant pas aux informations suggérant que leurs propres administrateurs se sont immiscés dans les procédures du Tribunal en ignorant visiblement un ordre judiciaire, compromettant ainsi les droits d’un suspect à un procès équitable.

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