CAMBODGE : Projet d’accord sur la création d’un tribunal spécial pour juger les Khmers rouges : premières considérations et préoccupations d’Amnesty International

Index AI : ASA 23/003/2003

DÉCLARATION PUBLIQUE

Le 18 décembre 2002, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la
résolution 57/228, qui invite le Secrétaire général à reprendre les
négociations avec les autorités cambodgiennes. Tous tentent de parvenir à un
accord sur la création d’un tribunal international qui, placé sous les
auspices de l’ONU, sera chargé de juger les personnes inculpées des crimes
les plus graves aux termes du droit international, commis sous le régime des
Khmers rouges de 1975 à 1979.

Au terme de deux cycles de négociations, à New York puis à Phnom Penh, un
projet d’accord a été établi par les deux parties le 17 mars 2003.
Pour autant qu’elle satisfasse aux plus hautes normes juridiques
internationales, Amnesty International se félicite de toute avancée à même
de garantir que les responsables de très graves atteintes aux droits humains
aient à répondre de leurs actes.

Souscrivant à certaines dispositions de l’accord proposé, l’organisation de
défense des droits humains se déclare toutefois vivement préoccupée par ses
lacunes alarmantes, qui témoignent d’un net repli face aux normes et au
droit international en vigueur. Dans ces conditions, elle demande à tous les
membres de l’Assemblée générale de veiller à débattre sans délai de ces
questions, avant de signer l’accord. Au vu des profondes carences du projet,
l’organisation serait hostile à ce que les Nations unies ratifient cet
accord sans une révision majeure.

Côté positif, les dispositions provisoires dont Amnesty International se
réjouit englobent notamment : l’exclusion de l’amnistie ou de la grâce pour
quiconque fait l’objet d’une enquête ou d’une déclaration de culpabilité
liée à des crimes prévus par l’accord ; une clause susceptible de
s’appliquer à toute personne à laquelle les autorités cambodgiennes ont
précédemment accordé une amnistie (article 11 du projet) ; la disposition
assurant que toute action en justice se déroulera toujours en public
(article 12.2) ; et l’exclusion de la peine de mort (article 10), ce qui
concorde avec les autres tribunaux internationaux.

En revanche, les premières préoccupations d’Amnesty International concernant
le texte du projet d’accord portent sur les éléments suivants :

Garanties insuffisantes au regard des normes internationales en matière de
procès équitables
Le projet d’accord actuel restreint les règles internationales applicables
en matière de justice, d’équité et de respect de la légalité, à celles
définies dans les articles 14 et 15 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (PIDCP) adopté en 1966, omettant d’inclure
certaines dispositions d’importance de ce Pacte (comme l’article 9). À
l’évidence, l’ensemble des articles du PIDCP doit s’appliquer. En outre, ce
projet ne fait aucunement référence à nombre de normes internationales
contemporaines plus vigoureuses, telles que celles du Statut de Rome de la
Cour pénale internationale et d’autres règles des Nations unies comme les
Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature.

Manque de garanties pour un tribunal indépendant et impartial
Selon Amnesty International, le système judiciaire cambodgien est fragile et
soumis à des pressions politiques, notamment lorsque les affaires qu’il
traite sont fortement médiatisées. Ce système est actuellement incapable de
garantir que de tels procès se dérouleront dans le respect des normes
internationales en matière d’équité. Les citoyens cambodgiens mesurent toute
l’importance de ces carences et des ingérences politiques dans le système
judiciaire, au sein duquel règne une corruption généralisée. Aussi Amnesty
International se félicite-t-elle que le projet d’accord prévoie la présence
de juges internationaux, ainsi que d’un juge d’instruction et d’un procureur
internationaux, présence qu’elle estime indispensable en vue de remédier aux
lacunes actuelles.

Toutefois, le projet ne permet pas de garantir l’indépendance et
l’impartialité nécessaires au bon déroulement des procès. La proposition
concernant la participation de juges cambodgiens et étrangers, et le
processus complexe de prise de décision, n’ont aucun précédent dans les
tribunaux nationaux ou internationaux. Par ailleurs, Amnesty International
s’inquiète de ce que certaines dispositions prévoient qu’un mécanisme de
contrôle cambodgien sera chargé de régler d’éventuels litiges entre les
juges d’instruction et les procureurs cambodgiens et étrangers, concernant
les enquêtes et les mises en accusation. L’organisation de défense des
droits humains craint que cette structure ne compromette sérieusement
l’intégrité de la procédure judiciaire.

Absence de certains principes essentiels en matière de responsabilité pénale
et de législation sur la défense
Le projet d’accord n’inclut pas les principes internationaux les plus fermes
en matière de responsabilité pénale et limite les moyens de défense à ceux
inscrits dans le droit international coutumier et conventionnel. À titre
d’exemple, rien dans l’accord n’empêche un accusé d’invoquer pour sa défense
les ordres de ses supérieurs et d’obtenir gain de cause.

Protection inadaptée des victimes et des témoins
Les dispositions concernant la protection des victimes et des témoins
s’avèrent bien modestes. Amnesty International préconise de pallier ces
déficiences dans un document joint ultérieurement, qui détaillera le
fonctionnement des chambres spéciales. Elles devraient mettre sur pied un
programme efficace de protection des victimes et des témoins, doté de
ressources suffisantes et s’inspirant de la solide expérience acquise par
les tribunaux internationaux en place. Ce programme devrait concerner entre
autres les juges, les procureurs et les avocats de la défense. Les victimes
et les témoins ne viendront pas témoigner sans avoir reçu l’assurance,
d’autorités internationales plutôt que nationales, qu’ils seront en
sécurité.

Absence de dispositions concernant les réparations
Amnesty International note avec une vive préoccupation que le projet
d’accord ne dispose pas l’octroi de réparations par les chambres spéciales.
Si cette lacune n’est pas corrigée, l’accord marquera un recul majeur par
rapport au Statut de Rome. Les chambres spéciales doivent être en mesure
d’accorder toutes formes de réparations aux victimes et à leurs familles,
notamment la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la
réhabilitation et la garantie que les faits ne se reproduiront pas.

Incapacité d’associer la procédure judiciaire proposée à la reconstruction
du système judiciaire pénal cambodgien
Dans le projet d’accord étudié, aucune mesure ou presque ne contribue à
pallier sur le long terme les déficiences et les carences du système
judiciaire cambodgien actuel. Selon Amnesty International, la mise en place
d’un mécanisme judiciaire, conforme aux normes internationales et chargé de
juger une poignée de responsables de crimes graves, représente un
investissement considérable pour la communauté internationale et le
Cambodge. Cet effort doit donc être consenti en vue de renforcer le système
judiciaire cambodgien dans son ensemble. Le travail des chambres spéciales
doit servir à étayer un programme durable centré sur l’assistance technique
et le renforcement des capacités dans le secteur judiciaire. Quelques mises
en accusation spectaculaires ne permettront pas de venir à bout de
l’impunité dans ce pays.

Amnesty International prévoit de commenter plus avant ce projet d’accord
lorsqu’elle l’aura soumis à un examen détaillé.

Depuis de nombreuses années, l’organisation de défense des droits humains
demande que les auteurs de crimes contre l’humanité, perpétrés au cours de
cette période sombre de l’histoire du Cambodge, soient tenus de répondre de
leurs actes. Et ce pour deux raisons : primo, pour garantir que justice soit
enfin rendue aux victimes et aux familles qui ont subi les crimes les plus
graves aux termes du droit international sous le régime des Khmers rouges ;
et secundo, afin de mettre un terme à la culture de l’impunité qui mine le
Cambodge depuis trop longtemps.

Pour en savoir plus, veuillez consulter les documents suivants :

Cambodge. Tribunaux spéciaux pour les Khmers rouges : vider les normes
internationales de leur substance ne sert pas la justice (index AI : ASA
23/012/02, décembre 2002)
Cambodge. Les Cambodgiens méritent de bénéficier des normes internationales
d’équité (index AI : ASA 23/010/02, novembre 2002)
Cambodge. Des procès inéquitables ne sont dans l’intérêt de personne (index
AI : ASA 23/001/02, février 2002)
Cambodia : Amnesty International’s reaction to the charging of Duch (ASA
23/10/99, mai 1999, non traduit)
Cambodia : Time to judge past atrocities (ASA 23/04/99, mars 1999, non
traduit)
Cambodia : International tribunal must not be politically selective (ASA
23/15/98, avril 1998, non traduit)

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