Au moins 500 personnes sont toujours enfermées dans des centres de détention surpeuplés à la suite des arrestations arbitraires massives qui ont eu lieu dans les régions anglophones du Cameroun et de nombreux manifestants blessés fuient les hôpitaux pour éviter d’être arrêtés.
Les personnes détenues ont été arrêtées à la suite des manifestations organisées dans des dizaines de villes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au Cameroun le 1er octobre, au cours desquelles plus de 20 personnes ont été illégalement abattues par les forces de sécurité.
« L’arrestation massive de manifestants, pour la plupart pacifiques, constitue une violation des droits humains et, par ailleurs, risque fort de s’avérer contre-productive, a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur le lac Tchad à Amnesty International.
« Les autorités camerounaises doivent libérer toute personne détenue uniquement pour avoir exercé son droit de manifester pacifiquement. »
Les arrestations ont eu lieu dans plusieurs villes des régions anglophones. À Bamenda, capitale de la région du Nord-Ouest, au moins 200 personnes ont été arrêtées et la plupart ont été transférées à la prison de Bafoussam. À Buéa, capitale de la région du Sud-Ouest, au moins 300 personnes ont été arrêtées depuis les manifestations du 1er octobre, notamment dans le cadre d’une série d’arrestations arbitraires massives entre le 6 et le 8 octobre. Dimanche 8 octobre, les policiers ont arrêté jusqu’à 100 personnes qui se rendaient à l’église dans le quartier Mile 16, à Buéa, et sont entrés dans le bâtiment pour arrêter le personnel de l’église. Certaines de ces personnes ont été relâchées.
Les forces de sécurité, notamment l’armée – dont le déploiement aux fins de maintien de l’ordre devrait rester une mesure prise à titre exceptionnel en situation d’urgence – ont recouru à une force excessive ou injustifiée lors des arrestations et ont détruit des propriétés et pillé des biens. Le 3 octobre, à Buéa, un policier a lancé une grenade lacrymogène dans un véhicule où se trouvait une dizaine de manifestants, qui ont dû briser la vitre pour pouvoir respirer. Dans tous les cas recensés par Amnesty International, les autorités ont procédé aux arrestations sans mandat.
Inculpés de sécession
Des témoins ont raconté que les prisons ne cessent de se remplir depuis cette vague d’arrestations. À Buéa, la population carcérale est passée d’environ 1 000 détenus avant le 22 septembre à environ 1 500 aujourd’hui. À Buéa, dans un centre de détention géré par le Groupement mobile d’intervention (GMI), une unité de police mobile, les détenus seraient « entassés comme des sardines ». Parmi les personnes arrêtées, certaines sont inculpées de sécession, d’autres d’infractions diverses incluant le défaut de papiers d’identité, la destruction de biens publics ou la désobéissance à un ordre du gouverneur. Certaines ont déjà comparu devant les tribunaux. D’autres ont été libérées après avoir versé des pots-de-vin, des familles de Buéa indiquant avoir versé à des policiers environ 50 euros pour chaque membre de la famille détenu.
La crainte des arrestations et le déploiement à grande échelle des forces de sécurité ont poussé des dizaines de manifestants blessés à fuir les hôpitaux où ils étaient soignés pour des blessures par balles infligées lors des manifestations, mettant leur vie en danger.
Dans au moins un hôpital, les forces de sécurité sont entrées dans le bâtiment pour interpeller des patients.
Ayant recueilli des informations auprès des familles, des témoins, d’avocats et de centres médicaux dans les régions concernées, Amnesty International a appris que dans au moins neuf hôpitaux, des blessés graves sont partis avant que les soins ne soient terminés. Leurs familles sont passées les chercher ou ils ont demandé à signer une décharge contre l’avis du personnel soignant, parce qu’ils avaient peur d’être arrêtés.
Un jeune homme souffrant de fractures multiples après que des membres des forces armées lui ont tiré dans les deux jambes a été ramené chez lui par sa famille avant que son état ne soit stabilisé. Selon un médecin qui l’a soigné : « Il avait perdu plus d’un litre de sang. J’ignore s’il est encore en vie, il va probablement mourir. »
Climat de peur
Un autre médecin a déclaré à Amnesty International : « Certains de nos patients quittent l’hôpital avant même d’être stabilisés, craignant que la police ne vienne les arrêter. » Un troisième médecin a ajouté que les forces de sécurité l’empêchaient, tout comme ses collègues, d’examiner les cadavres afin de confirmer cliniquement des blessures par balles.
Dans un autre cas, un jeune homme a été tué juste devant l’hôpital : alors qu’il s’enfuyait d’une manifestation, il a reçu une balle à l’arrière de la tête. Les balles ont atteint les murs de l’hôpital, pénétrant dans une pièce où un médecin et des infirmières étaient en train d’opérer un patient.
« En raison du climat de peur qui règne dans les régions anglophones, d’autres personnes risquent de mourir des suites de leurs blessures parce qu’elles ont trop peur de recevoir les soins médicaux dont elles ont tant besoin, a déclaré Ilaria Allegrozzi.
« Les forces de sécurité doivent mettre fin aux arrestations arbitraires de manifestants et permettre aux blessés de se faire soigner sans avoir peur. Enfin, les organisations internationales doivent déployer des observateurs chargés de veiller au respect des droits humains afin d’évaluer la situation et du personnel soignant afin de dispenser les soins de premier secours. »