Cameroun : Le prochain gouvernement devra résoudre la crise des droits humains

Le prochain gouvernement du Cameroun doit résoudre d’urgence les crises des droits humains qui cette année encore ont provoqué la mort de plusieurs centaines de personnes et le déplacement forcé de milliers de gens à l’intérieur du pays, dans un contexte de violences commises par les forces de sécurité, Boko Haram et des séparatistes armés dans les régions de l’Extrême-Nord et anglophones.

• Élection présidentielle au Cameroun le dimanche 7 octobre
• 123 civils tués par Boko Haram jusqu’à présent cette année dans la région de l’Extrême-Nord, où 230 000 personnes ont subi un déplacement forcé
• Plus de 400 personnes ont été tuées dans les régions anglophones cette année

« Celui qui remportera cette élection, quel qu’il soit, ne peut ignorer les dangers auxquels sont confrontées les personnes qui vivent dans les régions de l’Extrême-Nord et anglophones, et il devra de façon prioritaire veiller à assurer leur protection, a déclaré Samira Daoud, directrice régionale adjointe pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Depuis trop longtemps, de nombreuses atteintes aux droits humains, notamment des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, sont commises en toute impunité dans trois régions du Cameroun ; le prochain gouvernement devra prendre d’urgence les mesures nécessaires pour mettre fin à cette crise des droits humains. »

Dimanche 7 octobre, les Camerounais seront appelés aux urnes pour élire la personne qui présidera le pays au cours des sept prochaines années. Neuf candidats sont en lice, parmi lesquels le président sortant Paul Biya. L’élection de dimanche aura lieu dans un contexte de violences dans les régions de l’Extrême-Nord et anglophones.

Des opposants politiques au président Paul Biya, notamment le président de l’un des principaux partis d’opposition dans le nord du Cameroun, Aboubacary Siddiki, sont toujours détenus sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.

La situation en matière de sécurité demeure très préoccupante dans le nord du pays

Depuis le début de l’année, Amnesty International a recensé plus de 90 cas de violences impliquant le groupe armé Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord.

Il s’agit notamment d’attentats à l’explosif et d’attaques ayant provoqué la mort de 123 civils en 2018 jusqu’à présent, et de cas de destruction et de pillage de biens privés et publics.

En 2017, 111 cas de violences liées à Boko Haram ont été recensés, dont 41 attentats-suicides ; ces violences ont provoqué la mort de 201 civils. Même si le nombre d’attaques décroît d’année en année, la situation reste précaire dans l’Extrême-Nord, et Boko Haram représente toujours une menace pour les civils.

La situation humanitaire demeure très préoccupante dans cette région, avec globalement plus de 230 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. On dénombre en outre quelque 98 000 réfugiés nigérians dans cette région.

Exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées 

En réaction aux attaques menées par Boko Haram, les forces de sécurité camerounaises ont mené des raids sur des villages de l’Extrême-Nord, détruisant des habitations, tuant des civils et arrêtant de façon arbitraire des centaines de suspects, souvent sur la base de très minces éléments de preuve voire sans aucune preuve.

Parmi les récents cas de violations des droits humains perpétrés par les forces de sécurité camerounaises et dénoncées par Amnesty International, citons l’exécution extrajudiciaire de quatre civils et la disparition forcée de deux autres civils le 26 juin 2018 dans le village de Mouri, dans l’Extrême-Nord.

Ce jour-là, des soldats de l’armée régulière, accompagnés par une dizaine de miliciens, ont tiré sur trois hommes non armés, parmi lesquels se trouvait le chef du village, les blessant grièvement. Ils ont ensuite arrêté quatre autres hommes, qu’ils ont emmenés hors du village.

Les miliciens sont revenus dans l’après-midi et ont arrêté deux autres personnes. Trois jours après, quatre corps ont été découverts par des bergers, qui ont reconnu les victimes : il s’agissait de quatre des hommes arrêtés le 26 juin. Les deux autres hommes n’ont jamais reparu. Amnesty International a identifié de façon précise au moins trois miliciens, âgés de 36 à 47 ans.

En juillet, une enquête menée par des experts d’Amnesty International a permis de confirmer que l’on voit dans une vidéo des soldats camerounais exécuter de façon extrajudiciaire deux femmes et deux enfants.

De plus, dans une vidéo terrifiante obtenue et authentifiée par Amnesty International en août, on voit des soldats camerounais tuer au moins une dizaine d’hommes lors d’une opération menée par l’armée dans le village d’Achigachia. L’organisation avait déjà fait état des violences que l’on voit dans cette vidéo dans son rapport de 2016 intitulé Cameroun. Bonne cause, mauvais moyens : atteintes aux droits humains et à la justice dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Cameroun

Les régions anglophones ravagées par les violences

Dans les régions anglophones, Amnesty International a recensé plus de 360 cas de violences depuis le début de la crise, fin octobre 2016. Plus de 400 personnes ont été tuées l’an passé, et les violences ont provoqué le déplacement de 240 000 personnes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au Cameroun ; en outre, 25 000 personnes ont fui au Nigeria. Toutes ces personnes ont absolument besoin d’une aide humanitaire. 

Les forces de sécurité ont commis de graves violations des droits humains, recourant à une force inutile lors de manifestations pacifiques et d’opérations de ratissage durant lesquelles elles se sont rendues responsables d’arrestations arbitraires, d’homicides illégaux et de l’incendie de plusieurs dizaines de villages.

Le 24 septembre, au moins deux hommes non armés ont été exécutés de façon illégale par des soldats du Bataillon d’intervention rapide dans le quartier de Buea appelé Great Soppo.

Le 23 septembre, les forces de sécurité ont lancé des opérations de ratissage dans deux quartiers de Yaoundé, la capitale du pays, qui ont conduit à l’arrestation arbitraire massive d’une cinquantaine de personnes anglophones. Ces personnes ont été remises en liberté le 24 septembre après avoir donné de l’argent aux forces de sécurité.

Des groupes séparatistes armés se sont également rendus responsables d’actes de violence incluant le meurtre de membres des forces de sécurité et de personnes ordinaires, l’enlèvement de représentants de l’État, d’étudiants et d’enseignants, et la destruction d’écoles, de gendarmeries, de postes de police et de véhicules de l’armée.

Amnesty International a également observé que les séparatistes armés sont de plus en plus organisés, utilisant des armes de plus en plus meurtrières et efficaces, notamment des fusils à longue portée et des mitrailleuses PKM, pris pour certains aux forces de sécurité camerounaises.

« Si le gouvernement issu du prochain scrutin veut mettre fin à l’impunité qui a favorisé les violences pendant plusieurs années dans les régions de l’Extrême-Nord et anglophones, il devra veiller à ce que les membres des groupes armés et des forces de sécurité et les autres responsables présumés d’atteintes aux droits humains soient déférés à la justice, et à ce que les victimes soient indemnisées », a déclaré Samira Daoud.

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