Les personnes prises pour cible incluent sept défenseur·e·s des droits humains et un cyber-militant, qui ont tous dénoncé des violations des droits humains et des abus dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, où ont lieu des affrontements entre les forces armées et des groupes séparatistes armés.
« Amnesty International demande aux autorités camerounaises de garantir la sécurité de ces défenseur·e·s des droits humains et de veiller à ce qu’ils puissent continuer à effectuer leur travail dans un environnement sûr et favorable », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Les autorités doivent diligenter de toute urgence une enquête approfondie, indépendante et efficace sur ces menaces et d’autres abus commis contre les défenseur·e·s des droits humains. »
Des menaces de mort incessantes
Akem Kelvin Nkwain, spécialiste des droits humains au Centre des droits de l’homme et de la démocratie en Afrique (CHRDA), une organisation recensant les violations des droits humains et abus commis par toutes les parties au conflit, a dit à Amnesty International que des séparatistes armés présumés lui avaient adressé des menaces de mort à plusieurs reprises.
La première fois remonte au 24 mai 2022, peu après qu’Akem Kelvin Nkwain a écrit sur Twitter au sujet d’un enfant tué par un engin explosif improvisé qui aurait été placé par des combattants séparatistes à Kumbo, dans le nord-ouest du Cameroun.
Le 16 juin 2022, il a reçu des appels et des messages contenant des photos d’un policier capturé, de civil·e·s morts, de balles, d’armes à feu, de membres de groupes armés, et d’une image de lui-même où il était désigné comme cible.
L’un de ces messages disait : « Nous vous déclarons, toi et ta famille toute entière, comme des traîtres et des ennemis des combattants ambazoniens. Attends un peu que nous arrivions chez toi, voyons si tout cet argent te ramènera à la vie lorsque tu te feras descendre. »
Felix Agbor Nkongho, avocat spécialisé dans la défense des droits humains et fondateur du CHRDA, a lui aussi reçu des menaces de mort de la part de séparatistes armés présumés à plusieurs occasions, par téléphone et sur les réseaux sociaux, après sa participation à une conférence organisée à Toronto du 29 octobre au 1er novembre 2021 par la Coalition pour le dialogue et les négociations, une organisation non gouvernementale (ONG) basée aux États-Unis travaillant sur le conflit au Cameroun.
Enlèvements
Le 22 avril 2022, quatre rapporteuses et rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les défenseur·e·s des droits humains, les exécutions extrajudiciaires, le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion ont écrit au président Paul Biya afin de faire état de leur préoccupation au sujet des menaces de mort adressées de manière répétée depuis 2015 au président et à l’avocat de Organic Farming for Gorillas (OFFGO). OFFGO a mis en évidence des abus perpétrés par des entreprises dans la région du Nord-Ouest du Cameroun.
En mai 2021, l’avocat a reçu des menaces de mort téléphoniques, et le 6 novembre 2021, il a échappé à une tentative d’enlèvement à son domicile, à Bamenda. Il avait semble-t-il également été enlevé chez lui puis relâché deux heures plus tard le 19 février 2019. Dans un rapport rendu public en janvier 2021, intitulé Ultime mise en garde contre les menaces de mort reçues par les défenseurs et défenseuses des droits humains et contre les exécutions dont ils font l’objet, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains a décrit en détail les menaces proférées contre cet homme.
Son frère a également été enlevé et torturé le 16 mai 2019 et le 27 mars 2020, le but étant d’intimider l’avocat. Des inconnus ont par ailleurs tiré deux balles dans la jambe de son beau-frère en sa présence. Plusieurs plaintes ont été déposées ces dernières années par l’avocat d’OFFGO, mais selon les responsables de cette organisation, les autorités se sont abstenues d’ouvrir une enquête.
En mai 2022, « N’Zui Manto », cyber-militant travaillant hors du Cameroun, a été contraint de quitter le pays africain où il vivait, après que les autorités camerounaises l’ont identifié grâce à des informations communiquées par la police locale, qui ont soulevé la crainte d’un rapatriement.
« N’Zui Manto » a déclaré à Amnesty International qu’il avait commencé à recevoir des menaces de mort sur les réseaux sociaux au début de l’année 2019, car il diffuse des informations sur les pertes de l’armée camerounaise dans les régions anglophones. Le 28 mai 2022, il a reçu le message suivant émanant d’un faux profil sur Facebook : « Un jour, tu vas me croiser. Je te tuerai comme si ce n’était rien. »
Tarnteh Amadu Ngangpanweh, défenseur des droits humains au sein de Conscience africaine, une ONG basée au Cameroun, a déclaré à Amnesty International qu’il a commencé à recevoir des menaces de mort après avoir assisté à une conférence de presse à Yaoundé le 18 mai 2020. Cet événement, qui avait été organisé par une coalition d’organisations de la société civile, présentait certaines des conclusions d’un rapport traitant du massacre de Ngarbuh, lors duquel plus de 20 civil·e·s ont été tués durant une opération militaire les 13 et 14 février 2020.
Deux jours plus tard, après que Tarnteh Amadu Ngangpanweh a partagé ce rapport sur Facebook, un inconnu lui a adressé le message suivant sur Facebook : « tu ferais mieux d’arrêter ce genre d’activités, parce que ceci est évidemment la première et la dernière fois, je te mets en garde contre la conspiration en vue de publier de fausses informations, la prochaine fois tu le regretteras. »
Tarnteh Amadu Ngangpanweh a reçu plusieurs autres appels menaçants fin 2020, ainsi qu’en juillet 2021 et en décembre 2021, après qu’il a recueilli des informations selon lesquelles les forces de sécurité auraient exigé des rançons contre la libération de personnes détenues, et qu’il a publié un rapport sur des enlèvements attribués à des séparatistes armés.
« L’inaction apparente des autorités camerounaises, sur fond de signalements d’enlèvements, d’actes d’intimidation et de menaces de mort répétées est profondément inquiétante. Le Cameroun doit honorer de toute urgence les obligations qui sont les siennes en vertu du droit international relatif aux droits humains, en soutenant et protégeant les défenseur·e·s des droits humains et leur travail essentiel », a déclaré Samira Daoud.