Les affrontements entre divers groupes armés et forces armées camerounaises se poursuivent sans relâche depuis trois ans et les civils en paient le prix fort, victimes d’homicides illégaux et d’enlèvements, dans un contexte de destructions d’habitations et de villages. L’intervention du gouvernement est limitée et la communauté internationale n’évoque quasiment pas le sujet.
Des violences entre forces gouvernementales et groupes armés séparatistes anglophones – eux-mêmes divisés – ont éclaté en 2017, lorsque des manifestations contre la discrimination et la marginalisation ont été réprimées par les autorités. En s’appuyant sur des témoignages directs et l’analyse d’images satellite, Amnesty International démontre que des dizaines de civils ont été tués et de multiples villages détruits depuis 2019.
« Toutes les parties au conflit dans les régions anglophones du Cameroun commettent des atteintes aux droits humains et des exactions, et la population civile est prise au piège. Dans un cas particulièrement horrible, deux vieilles femmes ont été abattues par des tirs de rafales de séparatistes armés ; autre cas, des membres de comités de vigilance fulanis (peuls) ont incendié des centaines d’habitations et tué quatre personnes lors d’une attaque, a déclaré Fabien Offner, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Il est difficile d’obtenir des informations précises sur la crise des droits humains qui se déroule dans ces régions, qui sont difficiles d’accès par la route et ne sont pas bien raccordées au niveau des réseaux de télécommunications. Mais ce n’est pas une excuse pour détourner le regard. Sans une action déterminée des autorités camerounaises et de la communauté internationale, les civil·e·s continueront d’être les premières victimes de cette crise. »
Les régions anglophones du Cameroun, à savoir le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, représentent environ 20 % de la population du pays. Les violences se sont récemment intensifiées dans certains secteurs de la région du Nord-Ouest.
« La communauté internationale doit engager publiquement les autorités camerounaises à diligenter sans délai des investigations approfondies, indépendantes et impartiales sur les allégations de violations des droits humains et, s’il existe des preuves recevables suffisantes, à intenter des poursuites contre les responsables présumés de ces agissements dans le cadre de procès équitables, devant des juridictions civiles ordinaires, sans recourir à la peine de mort »
D’après l’ONU, au moins 22 civils ont été tués à Ngarbuh dans la nuit du 13 au 14 février 2020, dont 15 enfants et deux femmes enceintes, à la suite d’une opération militaire. Une enquête du gouvernement a conclu que lors de ce même incident, « le commandant du détachement a décidé de se faire accompagner par 17 membres du comité local de vigilance ». Plusieurs sources ont indiqué que les membres de ce « comité local de vigilance » étaient des membres de groupes armés fulanis. La situation accroît les tensions avec les séparatistes armés qui accusent depuis longtemps les Fulanis de coopérer avec les autorités.
Entre juin et juillet 2021, au moins quatre policiers ont été tués dans une embuscade près de la ville de Bali Nyonga, dans la région du Nord-Ouest. Deux gendarmes ont été décapités dans la ville de Babadjou dans la région de l’Ouest, frontalière avec la région du Nord-Ouest, dans le cadre d’une attaque que les autorités attribuent aux séparatistes armés. Autres cas, l’homicide par l’armée dans le 3e arrondissement de Bamenda d’un civil conduisant une voiture et l’enlèvement de six fonctionnaires locaux dans la ville d’Ekondo Titi, dans la région du Sud-Ouest.
L’arrondissement de Nwa est très durement touché par les violences
L’arrondissement de Nwa, situé le long de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, est particulièrement touché par les récentes violences.
Entre le 22 et le 26 février 2021, au moins 4 200 personnes [1] ont été déplacées de sept villages de Nwa, à la suite d’attaques menées par des comités de vigilance fulanis, qui ont coûté la vie à au moins huit personnes. Selon le Centre pour les droits humains et la démocratie en Afrique (CHRDA), les bergers fulanis (peuls) « ont mené plus d’une dizaine de raids contre les habitants des villages de Nwa en moins d’un mois ».
Les images satellite analysées par Amnesty International montrent qu’au moins quatre villages ont été détruits ou incendiés à Nwa en février 2021. On ignore si les comités de vigilance fulanis ont attaqué les villages ou si ces destructions sont dues aux affrontements avec les groupes armés séparatistes, mais les images laissent supposer que les destructions sont plutôt récentes.
Sur les images du village de Sih prises le 5 mars 2021, on peut voir de larges zones de végétation noircie, ce qui indique qu’elle a été récemment calcinée. Le village de Ntong a également été durement touché, comme le montrent des images du 11 février et du 5 mars 2021. Sur des images prises le 3 avril, on voit plusieurs zones où les bâtiments dans le village de Ntim apparaissent endommagés ou détruits.
Comme de nombreux secteurs de la région du Nord-Ouest, les villages de l’arrondissement de Nwa sont mal cartographiés, et il est donc impossible de vérifier tous les sites.
Les communautés Mbororo paient le prix fort
Les attaques ciblent tout particulièrement les communautés Mbororos, qui font partie du groupe ethnique des Fulanis.
Selon des chiffres non officiels que des groupes Mbororos ont envoyés à Amnesty International, faute de données officielles émanant des autorités, depuis 2017, dans les sept départements de la région du Nord-Ouest :
• 162 Mbororos ont été tués
• Environ 300 habitations ont été incendiées
• 2 500 têtes de bétail ont été tuées ou capturées
• 102 personnes ont été enlevées, donnant lieu au versement de presque 270 000 euros de rançon
Un chef traditionnel mbororo dans l’arrondissement de Nwa a déclaré à Amnesty International :
« Les séparatistes armés sont venus m’attaquer à six reprises. Ils ont détruit mon campement, incendié les maisons de mon frère. Sept personnes ont été tuées dans mon campement. Ils les ont regroupées dans une maison, ont tout fermé et ont mis le feu. »
D’après les témoignages, les documents et les images satellite examinés par Amnesty International, les séparatistes armés ont attaqué une communauté mbororo dans la localité de Mbem le 16 février 2020.
Quatre membres d’une même famille, âgés de 15 à 80 ans, ont été tués, et trois autres blessés, dont deux femmes âgées qui ont essuyé des tirs de rafales et ont été touchées au front, dans les jambes et les cuisses. Les assaillants ont également mis le feu à 30 maisons et à la mosquée, et pillé des biens, dont des motos.
Une victime et témoin dont l’identité a été vérifiée par Amnesty International, a déclaré :
« Nous sortions de la mosquée après la prière, lorsque des séparatistes armés sont arrivés, circulant sur trois motos, et nous ont attaqués. Ils ont incendié toutes nos maisons. 200 personnes ne savaient plus où dormir car leur habitation avait été réduite en cendres. »
Dans la nuit du 30 au 31 mai 2019, une centaine de membres de groupes séparatistes armés de fusils et de couteaux ont attaqué le camp de réinstallation d’Upkwa, près du lac Nyos, incendiant des dizaines d’habitations mbororos et massacrant du bétail.
En octobre 2019, les chercheurs d’Amnesty International ont rencontré deux personnes, dont une travaillait comme chauffeur de moto-taxi, qui a déclaré :
« Les groupes armés me cherchaient parce que je suis chauffeur de moto-taxi et ils pensent que nous sommes des informateurs de l’armée. Ils nous ont dit de retourner d’où nous venions. »
Les leaders de groupes séparatistes et des intervenants sur les médias qu’ils dirigent s’en sont également pris aux communautés Mbororos dans des discours agressifs diffusés en ligne.
Certains de ces discours pourraient constituer une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, au titre de l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Les appels à la haine se sont multipliés après le massacre de Ngarbuh en février 2020.
Le 19 février 2020, une chaîne de télévision sur Internet appartenant à un groupe séparatiste anglophone a relayé l’appel d’un intervenant, qui a déclaré :
« Ces gens [les Mbororos] sont des immigrants et il semble que leur temps soit révolu […] Plus tôt ils partiront, mieux ce sera […] Ou ils paieront le prix comme toute autre citoyen de La République qui habite le Cameroun méridional […] Tous autant qu’ils sont, s’ils ne veulent pas partir, ils mourront. »
Des centaines de maisons incendiées
Les groupes armés fulanis ont aussi perpétré de multiples et graves exactions.
Entre le 30 janvier et le 7 juillet 2020, cinq personnes ont été tuées, 600 maisons incendiées et au moins 4 500 personnes déplacées des villages de Koshin, Fangs et Bu-u (région du Nord-Ouest). Ces violations des droits humains se sont déroulées lors d’attaques perpétrées par quelque 200 membres des comités de vigilance fulanis, d’après les rapports du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).
Un habitant de Koshin, aujourd’hui déplacé, a raconté que son village a été attaqué à trois reprises, en février 2019, février 2020 et juin 2020.
« La communauté internationale doit veiller à ce que l’aide humanitaire destinée à répondre aux besoins des personnes touchées par les violences, notamment les réfugié·e·s et les personnes déplacées, dispose des fonds nécessaires »
« Les Fulanis sont venus deux fois. En février 2019, ils ont tué quatre personnes et en février 2020, ils ont tué deux personnes et incendié un grand nombre d’habitations. Puis, en juin 2020, ce sont les forces de sécurité de l’État qui sont venues, à la recherche de groupes armés non-étatiques, et elles ont détruit le village. Elles ont tué un civil et incendié des centaines de maisons. Environ 3 000 personnes ont dû se réfugier dans la brousse. Elles ont besoin de nourriture, d’un abri, de services de santé, d’éducation et d’eau. »
« Des cadavres partout… »
Environ 350 personnes ont fui le village de Kimbi (dans le département de Boyo), à la suite d’affrontements entre les groupes armés séparatistes et les comités de vigilance fulanis les 25 et 28 janvier 2020.
Kimbi a aussi été attaqué le 12 décembre 2019 par les comités de vigilance fulanis, dont certains portaient des uniformes de l’armée et avaient des armes à feu. Ils ont incendié les maisons et tué des habitants, selon des témoins. L’un d’entre eux a déclaré :
« Ils se sont mis à brûler les plantations de palmiers partout dans Kimbi, harcelant la population, pillant les vêtements des habitants, leur extorquant de l’argent… Le 16 décembre, certains séparatistes armés sont arrivés et des affrontements ont éclaté avec les Fulanis. Il y avait des cadavres partout dans Kimbi. »
« Les autorités camerounaises doivent assumer leur responsabilité et protéger toute la population sans discrimination. Elles doivent donner le feu vert à la mission d’établissement des faits que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle de ses vœux depuis près de trois ans, a déclaré Fabien Offner.
« La communauté internationale doit engager publiquement les autorités camerounaises à diligenter sans délai des investigations approfondies, indépendantes et impartiales sur les allégations de violations des droits humains et, s’il existe des preuves recevables suffisantes, à intenter des poursuites contre les responsables présumés de ces agissements dans le cadre de procès équitables, devant des juridictions civiles ordinaires, sans recourir à la peine de mort. Enfin, la communauté internationale doit veiller à ce que l’aide humanitaire destinée à répondre aux besoins des personnes touchées par les violences, notamment les réfugié·e·s et les personnes déplacées, dispose des fonds nécessaires. »