Cameroun. Tentative d’évasion dans une prison – Amnesty International condamne le recours à une force meurtrière excessive et demande l’ouverture d’une enquête indépendante

Déclaration publique

Index AI : AFR 17/004/2008 (Public) -
ÉFAI

Amnesty International s’inquiète après la mort d’au moins 17 prisonniers tués par des gardiens de prison les 29 et 30 juin 2008 à la prison de New Bell à Douala, au Cameroun.

Amnesty International condamne le recours à la politique consistant à tirer dans l’intention de tuer, employée par les forces de sécurité en réaction à une tentative d’évasion à la prison de New Bell. Une telle politique bafoue le droit des prisonniers à la vie. L’organisation reconnaît que les autorités camerounaises ont l’obligation de maintenir la loi et l’ordre et de veiller à ce que des prisonniers légalement détenus ne s’échappent pas de prison. Cependant, le recours à la force par des responsables de la sécurité doit être proportionnel et nécessaire.

Les forces de sécurité camerounaises ont souvent eu recours de manière excessive et injustifiée à la force meurtrière. Fin février 2008, des membres des forces de sécurité ont tué une centaine de civils, parmi lesquels certains avaient pris part aux émeutes qui avaient éclaté dans de nombreuses grandes villes du pays, y compris la capitale Yaoundé. Les manifestants protestaient contre la montée du coût de la vie, les bas salaires et les projets d’amendement de la Constitution par le gouvernement prévoyant la suppression d’une disposition empêchant le président Paul Biya de se représenter à l’élection présidentielle de 2011. Certaines photographies, vues par Amnesty International, laissent penser que des victimes ont été tuées à bout portant d’une balle dans la tête et auraient donc pu être arrêtées. À Douala, des civils se seraient noyés après avoir été forcés de se jeter dans le fleuve Wouri sous un feu nourri. De nombreux civils blessés n’ont pas reçu de soins médicaux des services de l’État et certains sont morts des suites de leurs blessures par balles.

En juin 2007, au moins 17 prisonniers de l’établissement pénitentiaire de Yoko dans la province de l’Amadaoua avaient été abattus dans des circonstances similaires à celles de la prison de New Bell. Le gouvernement ne semble avoir pris aucune mesure pour traduire les membres des forces de sécurité présumés responsables de ces homicides illégaux devant la justice et indemniser les familles de ceux qui ont été tués.

Selon des défenseurs des droits humains au Cameroun, la tension ne cessait de monter depuis plusieurs semaines dans la prison de New Bell, d’où plusieurs prisonniers projetaient de s’évader. Bien que ces projets aient été connus, semble-t-il, des autorités pénitentiaires, aucune mesure n’avait été prise pour empêcher une évasion massive de détenus. L’après-midi du 29 juin, des dizaines de prisonniers ont tenté de s’évader. Quinze prisonniers auraient été abattus par des gardiens et des membres des forces de sécurité dans la chasse à l’homme qui a suivi, deux autres personnes ont été tuées le 30 juin. Un homme de vingt-trois ans, René Mireille Bouyam, qui habitait près de la prison de New Bell, a été atteint par une balle et blessé mortellement le 30 juin, lorsque des membres des forces de sécurité ont découvert un prisonnier caché dans sa maison. Les membres des forces de sécurité auraient plaqué à terre les deux hommes avant de tirer, tuant le prisonnier sur le champ. René Mireille Bouyam est décédé à l’hôpital le lendemain. On sait avec certitude qu’au moins deux autres prisonniers sont hospitalisés dans un état critique après avoir été blessés par balles.

Lorsqu’il s’est rendu dans la prison le 1er juillet 2008, le secrétaire d’État à la justice en charge de l’administration pénitentiaire aurait remercié l’administration pénitentiaire pour son action face à la tentative d’évasion des prisonniers. Cela est déplorable. Amnesty International lance un appel au ministre de la justice pour qu’il ordonne une enquête sur la tentative d’évasion et les tirs mortels.

Amnesty International appelle le gouvernement camerounais à ouvrir immédiatement une enquête indépendante et impartiale menée par un personnel compétent sur les circonstances de la tentative d’évasion et les homicides qui ont suivi. Tout représentant de l’État reconnu par l’enquête comme ayant ordonné, approuvé ou perpétré des homicides illégaux ou des tirs illégaux ayant fait des blessés devra être traduit en justice. En outre, l’enquête devra aboutir à des recommandations faites aux autorités pour les aider à empêcher des tentatives d’évasion similaires susceptibles de se terminer par des homicides ou autres atteintes aux droits humains. Le gouvernement devra veiller à ce que les personnes blessées par des tirs en février et juin 2008 reçoivent des soins médicaux appropriés et que toutes les victimes d’homicides illégaux ou blessés par des tirs illégaux d’agents de l’État soient indemnisés.

Complément d’information

Prisons et autres centres de détention au Cameroun sont habituellement surpeuplés et les conditions sanitaires y sont déplorables. Construite en 1930 pour accueillir 700 prisonniers, la prison de New Bell en abrite aujourd’hui près de 4 000. Elle ne dispose pas de sanitaires en nombre suffisant et le manque d’hygiène qui en résulte fait que de nombreux prisonniers tombent malades. Le gouvernement ne fournit généralement pas de soins médicaux aux détenus et des dizaines d’entre eux meurent chaque année. Les prisonniers dépendent souvent de leurs familles pour la nourriture et les soins médicaux ; beaucoup de familles n’ont pas les moyens de fournir ces services aux détenus et/ou vivent trop loin pour pouvoir rendre visite régulièrement aux prisonniers. Ces conditions de détention, qui s’ajoutent au fait qu’un grand nombre de personnes sont détenues pendant de longues périodes sans avoir été jugées, sont à l’origine d’émeutes et de tentatives d’évasion. Mal entraînés et mal équipés, souvent peu payés, les gardiens de prison et autres membres des forces de sécurité ont souvent recours à la force meurtrière pour venir à bout des violences en prison et des manifestations de rue.

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