Une enquête vient d’être annoncée mais le ministère de la Communication avait auparavant discrédité la vidéo en la qualifiant d’imposture.
Une analyse approfondie des armes, des dialogues et des uniformes, associée à des techniques de vérification numérique et à des témoignages recueillis sur le terrain, laisse fortement à penser que les auteurs des exécutions sont des militaires camerounais.
« L’affirmation initiale des autorités camerounaises selon laquelle cette vidéo choquante est un faux ne résiste pas à l’analyse. Nous sommes en mesure d’apporter des éléments crédibles qui prouvent le contraire. Compte tenu de la gravité des faits – le massacre délibéré et de sang froid de femmes et d’enfants en bas âge –, les dénégations hâtives et méprisantes suscitent de sérieux doutes quant à la possibilité d’une véritable enquête, a déclaré Samira Daoud, directrice adjointe du bureau Afrique de l’Ouest d’Amnesty International.
« Il est impératif qu’une enquête impartiale et digne de ce nom soit menée et que les responsables présumés de ces actes odieux soient traduits en justice. »
Tous les éléments analysés par Amnesty International jusqu’à présent semblent attester l’authenticité de la vidéo mais on ignore à quelle date celle-ci a été tournée.
Sur les images, on voit les militaires se servir d’un fusil Galil ou Zastava M21, ainsi que de Kalachnikov. Les armes de type AK sont courantes. En revanche, l’arme qui, selon nous, a été utilisée pour l’exécution – un Galil ou un Zastava M21, deux armes extrêmement similaires – est relativement rare. L’Annuaire sur les armes légères qualifie d’« occasionnel » l’usage de Galil par des États et d’inconnu chez les acteurs non étatiques en Afrique subsaharienne. La seule force de la région à être équipée de Galil est un petit sous-ensemble de l’armée camerounaise. L’usage du Zastava M21 n’est pas spécifiquement signalé dans la base de données en ligne de l’Annuaire sur les armes légères.
Compte tenu de la gravité des faits – le massacre délibéré et de sang froid de femmes et d’enfants en bas âge –, les dénégations hâtives et méprisantes suscitent de sérieux doutes quant à la possibilité d’une véritable enquête.
Les armes et les uniformes des militaires apparaissant sur la vidéo sont caractéristiques de l’armée camerounaise et pourraient correspondre à un certain nombre d’unités, parmi lesquelles l’infanterie régulière et le Bataillon d’intervention rapide (BIR), qui fait partie des forces spéciales.
L’auteur des images désigne explicitement deux membres du groupe comme étant des militaires. Le premier est un soldat de deuxième grade qu’il appelle « Cobra » et le second, un caporal-chef qu’il surnomme « Tchotcho ». Grâce à ces noms, il est possible d’identifier le groupe.
L’uniforme du caporal-chef est imprimé d’un motif tigré, typique de l’armée régulière camerounaise. Les autres militaires portent une chemise noire et un pantalon à motif forestier noir et vert. Le ministère de la Communication soutient que l’hétérogénéité et le caractère décontracté des tenues sont le signe que la vidéo n’est pas authentique, mais les enquêteurs d’Amnesty International sont parvenus à la conclusion inverse. Il est courant que des militaires soient vêtus d’un uniforme recomposé ou de parties d’uniforme, en particulier dans les zones reculées comme celles où les faits ont eu lieu. Sur des vidéos filmées dans la région de l’Extrême-Nord et vérifiées précédemment par Amnesty International, on voit clairement des militaires porter des tongs et un T-shirt, ainsi qu’un mélange d’imprimé tigré et d’imprimé forestier.
Ils sont suivis par une dizaine de personnes qui, d’après les sources consultées, appartiennent très probablement au comité d’autodéfense du village voisin (elles sont équipés d’armes légères comme des bâtons et des machettes).
Selon les analystes d’Amnesty International, il y a de fortes chances que la vidéo ait été filmée dans le département du Mayo-Tsanaga (région de l’Extrême-Nord). La végétation est globalement homogène et correspond à celle qui apparaît sur d’autres séquences tournées dans la zone. La culture en terrasses, visible sur les images, se pratique dans le Mayo-Tsanaga. On trouve également dans ce département des rochers, des montagnes et des arbustes (appelés « tchaski » par la population locale) comme ceux que l’on voit sur la vidéo. En outre, une base militaire est installée dans la région, plus précisément à Mozogo.
« Les éléments de preuve que nous apportons constituent une base solide qui permet de supposer que les personnes ayant commis ces atrocités sont des membres des forces armées camerounaises. Plusieurs personnes sont clairement identifiables et leur acte de haine ne peut demeurer impuni, a déclaré Samira Daoud.
« Les crimes de droit international, notamment les crimes de guerre, et les atteintes aux droits humains commis par Boko Haram au Cameroun sont certes abjects, mais absolument rien ne peut justifier les crimes perpétrés par certains membres des forces armées. »
Amnesty International demande que les personnes soupçonnées de porter une responsabilité pénale dans ces crimes de droit international, y compris les supérieurs qui savaient ou auraient dû savoir que leurs subordonnés procédaient à des exécutions extrajudiciaires, soient traduites en justice devant des tribunaux civils de droit commun, dans le respect des normes d’équité des procès.
Complément d’information
Amnesty International a recueilli des informations sur des crimes de droit international, dont certains s’apparentent à des crimes de guerre, et des violations des droits humains commis par des membres des forces de sécurité camerounaises dans le cadre de leur lutte contre Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord.
Dans ce contexte, le recours généralisé à la torture vise à extorquer des « aveux » aux centaines de personnes accusées, souvent sur la base de maigres éléments voire sans la moindre preuve, d’appartenir à Boko Haram.